[Grève des Loyers] 1871 : La Commune de Paris, la grève de loyer la plus réprimée de l’histoire !

(Chapitre de la Brochure sur l’histoire de la grève des loyers)

A la fin du Second Empire et au moment de la Commune, les conditions de logement des ouvriers parisiens sont déplorables. Les logements sont petits, insalubres, dépourvus de tout élément de confort. La situation a été aggravée par les travaux du baron Haussmann qui ont livré le centre de Paris à la spéculation et rejeté les couches populaires vers les arrondissements périphériques. Pendant le Second Empire, les loyers ont plus que doublé. Les salaires sont très loin d’avoir évolué dans les mêmes conditions. La guerre et l’encerclement de Paris par les Prussiens ont aggravé la situation. La plupart des ouvriers se retrouvent au chômage.

Dès sa formation en septembre 1870, après la chute de Napoléon III, le Gouvernement de la Défense nationale du Général Trochu décide d’un régime d’exception pour les loyers et les logements parisiens : les payements des termes des locataires sont suspendus. C’est l’une de ses premières mesures, car le gouvernement est préoccupé par le risque de révolte populaire. Mais en retour l’une des premières mesures de l’assemblée conservatrice et monarchiste, élue en février 1871 et qui s’est installée à Versailles, est de mettre fin au moratoire sur les loyers. Cette disposition a certainement l’une des causes de l’insurrection qui déclenche la Commune de Paris. À tel point que certains n’hésitent pas à dire qu’elle fut « la grève de loyers la plus réprimée de l’histoire ». [1]

L’historienne Jeanne Gaillard, sans aller jusqu’à la, montre bien que le décret versaillais qui met fin le 13 mars 1871 au moratoire des loyers, alors en vigueur depuis six mois, a probablement joué un rôle important en solidarisant différentes couches sociales[2].

Décret de la Commune du 29 mars 1871

D’ailleurs la Commune, dès sa troisième séance du 29 mars, décrète le rétablissement du moratoire sur les loyers [3],avant d’ordonner un mois plus tard, le 25 avril 1871, la réquisition des logements inoccupés en faveur des habitants de maisons bombardées par les Versaillais [4].

Les réquisitions de logements vides furent aussi monnaie courante, que ce soit en faveur des habitants de la banlieue réfugiés à Paris lors de l’investissement de la ville par l’armée prussienne, ou encore en faveur des habitants de Paris chassés de chez eux par les bombardements prussiens, ou, plus tard, par ceux de l’armée versaillaise lors du second siège. Les autorités qui prononçaient ces réquisitions étaient la plupart du temps les mairies d’arrondissement.

Le 19 mai, une affiche officielle déplorait que les propriétaires et les concierges ne s’empressent guère de signaler aux mairies les locaux vacants… En conséquence, « les logements, appartements et chambres garnies de meubles, abandonnés, appartenant aux fuyards sont réquisitionnés et mis à la disposition des citoyens dont le mobilier aura été atteint par un obus Versaillais, et cela après enquête. »

Toutefois le simple moratoire du payement de trois termes pour les locataires « ordinaires » (non bombardés) mis en œuvre par la Commune semblait insuffisant pour les anarchistes. Ainsi dans son fameux livre « la Conquête du Pain », l’anarchiste russe Kropotkine dans son chapitre sur le logement en fait-il la critique. Il est aussi le premier à parler de la grève des loyers et de la gratuité du logement :

« En révolution ou non, il faut au travailleur un abri, un logement. Mais, si mauvais, si insalubre qu’il soit, il y a toujours un propriétaire qui peut vous en expulser. Il est vrai qu’en révolution le propriétaire ne trouvera pas d’huissier ou d’argousins pour jeter vos hardes dans la rue. Mais, qui sait si demain le nouveau gouvernement, tout révolutionnaire qu’il se prétende, ne reconstituera pas la force et ne lancera pas contre vous la meute policière ! On a bien vu la Commune proclamant la remise des termes dus jusqu’au 11, avril, – mais jusqu’au 1er avril seulement ! Après quoi il aurait fallu payer, lors même que Paris était sens dessus dessous, que l’industrie chômait, et que le révolutionnaire n’avait pour toute ressource que ses trente sous !

Il faut cependant que le travailleur sache qu’en ne payant pas le propriétaire, il ne profite pas seulement d’une désorganisation du pouvoir. Il faut qu’il sache que la gratuité du logement est reconnue en principe et sanctionnée, pour ainsi dire, par l’assentiment populaire ; que le logement gratuit est un droit, proclamé hautement par le peuple. »

Souvenir de la Commune
Eh bien monsieur Vautour on s’la déménage
– Et mes trois termes ?
– Et Vive la Commune… ça compte donc pour des prunes !

Procès-verbaux de la Commune de Paris – Séance du 24 avril 1871

Citoyens, nous avons tous les jours, aux différentes mairies, une foule de gens, qui viennent nous demander des logements. Nous ne pouvons satisfaire à toutes ces demandes. Il faudrait un décret d’urgence, autorisant les mairies à réquisitionner les logements inhabités pour les mettre à la disposition des nécessiteux. Les municipalités se trouvent très embarrassées ; elles ne peuvent faire ce qu’elles désireraient pour le bien de tous ; il faut donc leur donner formellement l’autorisation indispensable pour qu’elles puissent procéder comme je l’indique. Je demande donc un décret d’urgence. Ainsi, pour moi, comme adjoint, au maire, j’ai dû, pendant le Siège, loger dans des hôtels une foule de réfugiés. Depuis, je suis assailli de réclamations incessantes. On m’accuse de violation de domicile, etc., etc. Je le répète, cette position est intolérable ; il faut absolument un décret d’urgence. (Approbations.)

Trinquet. – J’ai déposé, il y a trois jours, une proposition relative aux maisons abandonnées ; j’en demande la lecture.

Le président. – Voici le texte du projet de décret présenté par le citoyen Malon :

« La Commune de Paris,

« Considérant qu’il est indispensable de fournir le logement aux victimes du second bombardement de Paris, et considérant qu’il y a urgence,

« Décrète :

« Art. 1er. — Réquisition est faite de tous les appartements abandonnés depuis le 18 mars.

« Art. 2. — Les logements seront mis à la disposition des habitants des quartiers bombardés au fur et à mesure des demandes.

« Art. 3. — La prise en possession devra être précédée d’un état des lieux, dont copie sera délivrée aux représentants des possesseurs en fuite.

« Art. 4. — Les municipalités sont chargées de l’exécution immédiate du présent décret. Elles devront, en outre, dans la mesure du possible, faciliter les moyens de déménagement des citoyens qui en feront la demande ».

Arnould. – Il y a une lacune dans la proposition Malon. Le citoyen Malon demande la réquisition des logements de tous ceux qui ont quitté Paris depuis le 18 mars ; il faut réquisitionner tous les logements vacants quels qu’ils soient. (Appuyé.)

Le président. – Le citoyen Amouroux propose un amendement qui n’a pas trait directement au projet Malon, mais qui peut s’y rattacher. En voici le texte :

« Chaque arrondissement sera tenu… ».

Un membre. – C’est là une question de réglementation et non pas de décret.

Malon. – Je crois, en effet, qu’il n’est pas possible d’obliger les municipalités à fournir chacune un nombre de 50 voitures ; les unes le pourront, et ce sera impossible pour d’autres. Qu’on les invite seulement à faire ce qu’elles pourront. Aujourd’hui, à Batignolles, nous avons plus de 50 voitures toutes prêtes, mais, je le répète, beaucoup de mairies ne pourront en faire autant.

Amouroux. – Ma proposition est plutôt une invitation urgente à faire aux municipalités qu’un amendement ; elle n’aurait d’effet que pour l’armistice.

Babick. – On parle d’armistice ici. Je ne sache pas cependant que la Commune ait voté un armistice.

Le président. – Si tout le monde parle ici, nous ne ferons rien de sérieux.

Lecture du projet Malon.

Tridon. – Il faut ajouter au projet que l’on mettra les scellés sur les armoires. (Bruit.) Mais, il faut mettre les points sur les i.

Clémence. – J’ai déposé un projet analogue, dans lequel je demandais d’abord qu’on disposât des logements de ceux qui ont été décrétés d’accusation.

Malon. – C’est l’affaire des municipalités.

Le décret, proposé par le citoyen Malon et amendé dans le sens indiqué par les citoyens Arnould et Tridon, est adopté.

Vaillant. – Il y a aussi beaucoup de gardes nationaux qui se trouvent sans asile, par suite de la loi sur les loyers. Il faut qu’on en fasse mention.


[1] Manuel Castells, The city and the grassroots. A cross-cultural theory of urban social movements, Berkeley and Los Angeles, University of California Press, 1983, p.23.

[2] Gaillard, Jeanne, Paris, la ville (1852-1870), Paris, L’Harmattan, 1997, p.118.

[3] Guerrand, Roger-Henri, Propriétaires et locataires…, op.cit., pp.171-172. Il s’agit bien d’une remise et non d’une prolongation du moratoire, comme il l’a parfois été écrit.

[4] Il s’agit donc de la première réquisition publique pour loger des civils dont on ait connaissance.

Ce texte est un des chapitre de notre brochure en 2 tomes : « GREVE DES LOYERS : ACTION DIRECTE CONTRE LA VIE CHERE ET POUR UN LOGEMENT DIGNE »

Chapitre suivant : 1890 : Si tu veux être heureux, pends ton propriétaire ! L’invention de l’action directe

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COMPLEMENT :

6 mars 1871, une locataire écrit au Cri du Peuple

La question des loyers — comment les payer? — s’était bien aggravée depuis le déclenchement de la guerre et la proclamation de la République en octobre 1870

Jules Vallès, auteur en janvier 1870 de la belle anaphore « C’est demain le terme » (dans La Marseillaise datée du 8 janvier 1870), qu’il va d’ailleurs republier demain, ne pouvait manquer d’ouvrir une « Tribune des locataires » dans son journal Le Cri du peuple. Ce fut fait dès le numéro 2 du journal, daté du 23 février.

La rubrique a reçu et publié des lettres de commentaires généraux (23 février, 28 février, 2 mars, 5 mars…), l’avis de la création de la Ligue des locataires (25 février), des lettres de locataires incapables de payer (27 février), ou congédiés, contenant des descriptions de situations extrêmement dramatiques (26 février, 28 février, 2 mars, 4 mars)…

Des pétitions étaient adressées à l’Assemblée de Bordeaux et, dans le journal daté du 6 mars, un lecteur écrivait (dans cet article, les citations sont en vert):

Monsieur le rédacteur,

L’Assemblée nationale a ratifié les préliminaires de la paix.
Parmi les questions les plus importantes qui restent maintenant à résoudre, se présentent en première ligne :
La prorogation des échéances,
Les loyers échus et à échoir…
Toutes les communications sont, encore trop irrégulières pour avoir permis d’effectuer des recouvrements. Les locations faites en d’autres temps ne peuvent être maintenues à des taux aussi élevés… les propriétaires doivent se montrer conciliants.
En outre, les receveurs des contributions doivent ajourner leurs contraintes.

À cet effet, nous réclamons l’appui de votre patriotique et courageux journal, en faveur de ceux qui ont le plus souffert depuis le commencement de la guerre.
Nous vous offrons, monsieur le rédacteur, l’assurance de notre parfaite considération.

AM. RICHY.

La lettre que je vais publier aujourd’hui est celle d’une ouvrière, elle est parue dans le numéro d’aujourd’hui, daté de demain 7 mars. La voici:

LA TRIBUNE DES LOCATAIRES

Paris 3 mars 1871.

Citoyen rédacteur,

Je viens vous prier d’insérer quelques lignes dans votre courageux journal, car il faut réellement être courageux pour s’occuper des pauvres locataires congédiés, et dire la vérité, telle quel [sic] est, sur le gouvernement de la honte nationale.
C’est pourquoi j’espère en vous, j’espère que vous serez mon organe par la voie de votre journal, et que, parmi les milliers de lecteurs qui verront ces lignes il s’en trouvera quelques-uns dans la même position, et, d’autres, émus de compassion qui voudront bien entendre nos cris de détresse. Depuis trois ans que je reste dans la même maison, j’ai toujours bien payé, il fallait cette maudite guerre dont je ne suis point cause. J’en ai supporté toutes les conséquences: la faim, le froid, la maladie, j’ai souffert plus que je pouvais, puisque je n’espère pas m’en guérir.

Ouvrière mécanicienne veuve depuis six ans, n’ayant pas droit aux 75 centimes des femmes des gardes nationaux, sans ouvrage, sans argent, me privant de tout, souffrant tout, plutôt que de m’abaisser à demander quelque chose. C’est plus fort que moi, je ne pourrais [sic] jamais être mendiante.

Vous vous demanderez de quoi j’ai vécu?

Ah! il a fallu prendre son courage à deux mains pour se soustraire à la vigilance du portier [il ne faut pas que le concierge, chargé de collecter l’argent du terme voie qu’elle enlève des objets qui pourraient être saisis] et pouvoir engager [au Mont-de-piété] ou vendre tout ce que l’on pouvait passer sans être vu, il n’y a que la faim qui peut vous suggérer de pareilles idées. Et quand on vous fait remonter avec votre paquet, ce jour-là, il faut se passer de manger!
C’est que mon portier est des heureux de ce monde, il a bon feu, bonne table.
La guerre! qu’est-ce que c’est que ça! — dit-il, — au 8 avril, vous payerez trois termes, ou vous laisserez votre mobilier sans toucher à une épingle. Ainsi le veut la propriétaire de la maison que j’habite; elle a besoin d’argent, elle ne peut attendre; elle compte sur les meubles, c’est pour cela qu’elle n’a pas paru au juge de paix où je voulais un arrangement à payer tant par mois [le terme se payait par trimestres].

Je ne puis, me dit ce digne magistrat, — la propriétaire n’est pas là; et puis elle a tant attendu! ce serait porter une atteinte grave, très grave, à la propriété.

Agréez, monsieur le rédacteur, mes salutations dévoué [sic et sic, je suppose que le journal avait décidé de ne pas corriger l’orthographe de cette lettre].

Veuve PASQUET.

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Texte extrait de la Brochure : GREVE DES LOYERS : ACTION DIRECTE CONTRE LA VIE CHERE ET POUR UN LOGEMENT DIGNE

Chapitre précédent : Grèves de loyers (Dictionnaire des mouvements sociaux, 2009) p. 22

Chapitre suivant : – 1890 : Si tu veux être heureux, pend ton propriétaire ! L’invention de l’action directe

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