[tract diffusé au Cimetière du camp de Concentration du vernet à l’occasion des journées du Patrimoine. Parce que la mémoire ne sert à rien si elle n’éclaire pas les luttes d’aujourd’hui …]

Il y a 80 ans, au camp de concentration du Vernet d’Ariège, mourrait Tecle HAGOS. La plaque sur sa tombe indique « 19 août 1941, Ethiopien ». On ne sait pas grand-chose de sa vie, si ce n’est qu’il faisait vraisemblablement partie d’un groupe d’une douzaine d’étudiants originaires de la Corne de l’Afrique, qui s’étaient rendus en Espagne à l’été 1936. L’annonce d’une Révolution, faite par des ouvriers et des paysans, des gens simples, qui avait triomphé du Fascisme le 19 juillet 1936 les avaient enthousiasmés, eux qui avaient vu ce même Fascisme s’emparer de leur terre en Afrique quelques mois auparavant.
Etaient-ils Amhara, Tigréen, Oromo, ou d’une autre ethnie éthiopienne ? Nous ne le savons pas et à vrai dire cela ne nous intéresse pas. Tecle Hagos et ses compagnons n’étaient pas venus donner leur jeunesse pour la Catalogne, l’Aragon ou l’Andalousie, ni même pour l’Espagne, mais ils sont venus pour débarrasser l’Humanité du Fascisme. Et aussi parce qu’ils partageaient avec les révolutionnaires espagnols une idée universelle : celle de la Liberté par l’Egalité et dans la Solidarité.
Là, dans cette corne de l’Europe, ces fils de la corne de l’Afrique avaient partagé les espoirs libertaires de ce peuple qui se mettait à rêver à voix haute. Ils en avaient aussi partagé les désillusions, une fois que les politiciens avaient repris leur pouvoir dans la République espagnole. Comme les anarchistes de la CNT-AIT et les militants du POUM, ils furent accusés sans preuve par les communistes de « trahison » et certains connurent eux-aussi la calomnie et les prisons républicaines [lire après le témoignage du communiste Robert Martin, emprisonné avec l’un d’entre eux]…


Enfin ils partagèrent leurs drames, rejoignant la cohorte de ceux qui à l’hiver 39 prirent les chemins de l’exil à travers les Pyrénées … Ils connurent alors l’accueil par la République – française cette fois – qui les parqua comme des chiens dans des camps de concentration. Anarchistes espagnols, antifascistes éthiopiens ou italiens, allemands anti-nazis et juifs apatrides, toute cette humanité mélangée constituaient, aux yeux de la République et des « biens pensants », des « étrangers indésirables » pour reprendre le terme administratif, « la lie de la terre », pour reprendre l’expression de l’écrivain britannique Artur Koestler qui fut lui aussi interné au Vernet. C’est la canaille ? Et bien j’en suis disaient aussi les communards !
Aujourd’hui, l’Ethiopie est de nouveau en proie à la menace fasciste. Elle ne vient plus de l’étranger, comme en 1935. Le Premier Ministre éthiopien Abiy Ahmed, ironiquement titulaire du Prix Nobel de la Paix de 2019, rêve de rétablir l’Empire d’Ethiopie et mène actuellement une guerre d’anéantissement contre la province du Tigré, en jouant la carte de la différenciation ethnique. Enlèvement et torture des opposants, assassinats de masse, viols, utilisation de troupes mercenaires étrangères et de milices autochtones … les mêmes méthodes qu’utilisaient Franco et ses sbires en 1936 sont appliquées aujourd’hui en Ethiopie.
Ces horreurs feraient presque oublier que le parti au pouvoir au Tigré (le Front de libération du peuple du Tigré, TPLF) est usé, autoritaire et corrompu, et ne vaut guère mieux …
Pendant ce temps, l’ONU envoie des messages d’indignation contre les massacres et la famine organisée, aussi efficaces que ceux de la SDN en son temps. La Russie signe un accord militaire avec l’Ethiopie, la Turquie lui envoie des drones. Et la France a signé un accord de coopération militaire en 2019 … Il n’y aura pas de Brigades internationales pour le Tigré, ce conflit n’intéresse aucune parti car il n’y a pas de bénéfice électoral à faire en affichant sa solidarité avec une zone aride et pauvre
Rares sont ceux qui – tels nos compagnons des anarchistes de la corne d’Afrique – osent exprimer dans cette fureur de folie guerrière leur rêve d’un autre futur libertaire, enfin débarrassé des haines identitaires, en lançant un appel à tous les belligérants pour qu’ils déposent les armes.
Liberté et solidarité !
ነጻነትና ትብብር (Amharic)
ናጽነትን ምትሕብባርን (Tigrinya )
Bilisummaa fi obbolummaa (Afaan Oromo)
Xorriyad iyo midnimo (Somali)
CNT-AIT contact@cnt-ait.info
(merci au Pr. Matthew.F.Delmont, du Dartmouth College, pour les articles du Chicago Defender)
In English : Spain 1936, Ethiopia 2021: the fight against fascism continues …

une initiative de boycott du café d’Ethiopie, principale ressource de l’Etat éthiopien et source de devises pour l’achat d’armes est en cours. Pour en savoir plus ou rejoindre le réseau de de solidarité autour de la campagne « il y a du sang dans mon café », vous pouvez consulter le site http://bloodycoffee.org
አማርኛ / Afaan Oromo / Somali / Français / English / Español
ለተከበራችሁ የመከላከያ፣የፖሊስ፣የልዩ ሓይል፣የሚሊሻ አባላት እና ሌሎች
ታጣቂዎች፣
ጉዳዩ፥ ስለ አለመዝመት ይመለከታል።
አትዝመቱ!
መሪዎቻችን በጭቆና እና በችጋር ውስጥ እንድንኖር ያደርጋሉ:: እነሱ በተንደላቀቀ ቦታ ከአደጋ ነፃ ሆነው ከጦር ሜዳው ርቀው ይቀመጣሉ::
ወደ ጦርነት አትሂዱ: ህይወታችሁን አደጋ ውስጥ አትክተቱ::
ስለ ልጆቻችሁ ሚስቶቻችሁ ቤተሰባችሁ አስቡ:: በየትኛውም ጦርነት ማንም ከ ማንም ጋር ቢገጥም የሚጎዳው ምንም የሌለው ምስኪኑ ደሀው ነው:: የመሪዎች ቤተሰብና ልጆች ግን ምንም አደጋ ላይ አይወድቁም ከጦርነቱ ይጠቀማሉ እንጂ::
መንግስት ጦርነት ከፈለገ እራሳቸው መሪዎቹ ግንባር ላይ ፊት ገብተው ይዋጉ::
እባካችሁ መሳርያችሁን ጣሉ: እምቢ ለመሪዎች ህይወቴን አልሰጥም በሉ::
ከሰላምታ ጋር፣
ሶሻል ሚድያ አክቲቭስቶች
===============
Kabajamtoota miseensota raayyaa ittisa biyyaa, poolisii, hidhataa gandaa fi kkf, dhimmi duula tigray irratti hirmaachuu dhiisuu ilaallata.
Hin Duulinaa!
Gaggeesittotni keenya rakkoo fi gadadoon akka jiraannu nu godhu. Isaan ofii isaanitii jireenya miidhagaa fi miidhaan irra hin geenye keessa tahaanii adda waraanaa irraa fagatanii ta’anii jiru. Gara waraanatti him deeminaa, lubbuu keessan du’aaf hin saaxilina. Wayee ijoollee, haadha warraa fi maatii keessanii yaadaa. Waraana kamuu keessatti eenyus mo’ate eenyu kan miidhamu? uummatuma misgiina. Maatiin gaggeesitootaa garuu homaa him tahan ittuu waraana irraa fayyadamoo tahu malee. Motummaan yoo waraana fedhe ofii isaatii adda waraanatti hirmaachun fakkeenyuman ha lolu. Maaloo meeshaa keessan lafa kaahaa. Lakki lubbu kiyya gaggessitootaf jedhe hin dabarsu jedha.
Nagayaa waliin: Sooshal Aktivistoota irraa.
==========================
Askarta oo difaca qaranka ku jiro Dagaalka ha gelin Qoraalka qabyo militariga diid! Madaxdeena waxay nagu hayaan ciqaab (dhibaato) iyo murugo. Waxaad dhiigaaga siin doontaa iyaga oo ku nool daaraha waaweyn ee dagaalka ka fog.
Ha tagin oo ha dagaalin, naftaada khatar ha gelin. Ka fikir xaaskaaga, caruurtaada, qoyskaaga! Dagaal kasta, cidda uu doono ha yeeltee cidda uu ka hortagayo, waa dadka caadiga ah ee dhimanaya, halka hoggaamiyeyaasha iyo qoysaskooduba ay nabad qabaan oo dagaalka ka faa’iideysanayaan. Haddii maamulku doonayo inuu dagaallamo, waa inay safka hore aadaan laftooda koowaad! Qoriga tuura, dagaalka diid!
#SayNoToWarEthiopia
==========================
Aux membres des forces de Défense, de la Police, des Forces Spéciales, des Milices et autres Armés,
IL ne s’agit pas d’un simple voyage. N’y allez pas !
Nos dirigeants nous font vivre dans l’oppression et la pauvreté. Ils restent en sécurité dans un endroit confortable, loin du champ de bataille. Ne partez pas en guerre, ne risquez pas votre vie.
Pensez à vos enfants, vos femmes et votre famille. Dans n’importe quelle guerre, peu importe de qui contre qui, ce sont les gens ordinaires qui meurent.
Mais la famille et les enfants des dirigeants ne sont pas en danger, ils profitent de la guerre.
Si le gouvernement veut une guerre, que les dirigeants eux-mêmes fassent la guerre.
S’il vous plaît, laissez tomber vos armes et refusez de donner votre vie aux dirigeants.
meilleures salutations,
Activistes des médias sociaux
=================
#SayNoToWarEthiopia
To the Defense, Police, Special Forces, Militia Members and others Armed forces,
The issue is not about traveling. Don’t go !
Our leaders make us live in oppression and poverty. They stay safe in a comfortable place away from the battlefield.
Don’t go to war, don’t risk your life.
Think about your children, your wives and your family.
In any war, no matter whom against whom, it is the ordinary people who are dying.
But the family and children of the leaders are not in any danger, they are benefiting from the war.
If the government wants a war, let the leaders themselves go to war.
Please drop your weapons and refuse to give your life to the leaders.
best regards,
Social Media Activists
==============
A las Fuerzas de Defensa, Policía, Fuerzas Especiales, Milicias y demás Fuerzas Armadas,
No se trata de viajes. ¡No te vayas!
Nuestros líderes nos hacen vivir en opresión y pobreza. Se sientan en un lugar cómodo lejos del campo de batalla. No vayas a la guerra, no arriesgues tu vida.
Piense en sus hijos, sus esposas y su familia. En cualquier guerra, los pobres y los indefensos no hacen daño a nadie. Pero la familia y los hijos de los líderes no corren ningún peligro, se están beneficiando de la guerra.
Si el gobierno quiere una guerra, los propios líderes deben ir al frente y luchar.
Por favor, dejen sus armas y rehúsen dar mi vida a los líderes.
Atentamente,
Activistas de redes sociales
ANNEXE : ROBERT MARTIN DECRIT SON INCARCERATION AVEC RAS IMRU PAR LES COMMUNISTES
DES BRIGADES INTERNAITONALES A LA PRISON COMMUNISTE … par Robert Martin
Robert Martin était un jeune communiste d’Ecosse qui en 1936 se rendit en Espagne pour y participer à la lutte contre le fascisme au sein des Brigades Internationales. Il publia le témoignage sur son expérience et sa déception dans le magazine Controversy : the left forum (Controverse : le forum de gauche) dans le numéro de septembre 1937.
Source : https://www.workersliberty.org/story/2010/01/08/1936-37-spanish-revolution-international-brigade traduction : CNT-AIT France
Ce que j’ai entendu à la radio, lu dans les journaux et vu sur les films m’a décidé à partir en Espagne pour combattre aux côtés des travailleurs. J’ai rejoint la Brigade internationale. Avant cela, j’ai dû obtenir les recommandations d’un membre du Parti communiste. Ce dernier m’a dit que la Brigade internationale était composée de volontaires pour lutter contre le fascisme et pour la révolution ouvrière, mais que celle-ci ne pourrait avoir lieu qu’après la guerre. Je trouvais cela raisonnable, mais je m’attendais à un esprit et une pratique socialistes au sein même de la Brigade.
Je ne donnerai pas de dates ni ne décrirai en détail comment nous, les volontaires, sommes arrivés à Barcelone. Malgré mon expérience, je ne veux rien révéler au gouvernement britannique. Mais, au vu de ce qui s’est passé par la suite, il est nécessaire de préciser que, tant à Paris qu’en Espagne, nous avons été fortement mis en garde contre les anarchistes. En effet, nous avons été amenés à la conclusion que les anarchistes étaient autant les ennemis des travailleurs espagnols que les fascistes.
Nous sommes allés à Barcelone par la mer. On nous a dit que nous ne pouvions pas y aller par voie terrestre car les anarchistes étaient à la frontière et nous tireraient dessus. Notre bateau a été coulé par un sous-marin – on disait que c’était un sous-marin italien. Lorsque la torpille a touché le navire, j’ai basculé et j’ai été récupéré par un bateau de pêche après vingt-cinq minutes de navigation. Soixante-cinq hommes ont coulé avec le navire. J’ai été profondément ému par la façon dont les garçons restés sur le bateau ont chanté l’Internationale pendant le naufrage. Parmi eux se trouvait mon ami Robert MacDonald, qui m’avait enrôlé.
Ma première surprise a été de découvrir que les pêcheurs qui m’avaient secouru dans leur bateau étaient des anarchistes. On m’avait prévenu que les anarchistes étaient nos ennemis au même titre que les fascistes et qu’ils nous tireraient dessus. Et pourtant, ils étaient là, à me secourir, moi et les autres camarades qui étaient à l’eau. À mon arrivée sur le rivage, ces pêcheurs anarchistes m’ont accueilli avec une sympathie et une attention que je n’oublierai jamais. Après avoir été soigné à l’hôpital, j’ai été conduit chez un anarchiste où j’ai été traité avec la plus grande gentillesse.
Ce soir-là, nous avons pris le train pour Barcelone, où nous sommes arrivés tard dans la nuit. Une fois de plus, on nous a mis en garde contre les anarchistes. On nous a dit qu’on ne pouvait pas nous faire entrer dans la ville par les rues principales, car nous serions abattus. On nous a dirigés vers les ruelles et les ruelles et on nous a demandé de rester très silencieux. On nous a conduits à la caserne Karl Marx, où nous avons passé la nuit, et on nous a avertis de ne pas quitter le bâtiment. Nous y sommes restés deux jours.
De Barcelone, nous sommes allés à Valence, où Robert Minor, le correspondant américain du Daily Worker, nous a adressé la parole. Il a répété la mise en garde contre les anarchistes. J’ai commencé à penser que c’était exagéré.
Nous sommes ensuite allés à Albacete, puis au quartier général de la Brigade internationale à Madrigras. Les conditions y étaient mauvaises. Je ne m’attendais pas à une vie facile et j’aurais supporté ces conditions sans me plaindre si nous avions tous dû les partager comme je m’y attendais dans une brigade communiste. Mais, alors que le logement et la nourriture des simples soldats étaient misérables, les officiers étaient logés dans le meilleur bâtiment de la ville et bénéficiaient d’une excellente nourriture, notamment de viande, de beurre et d’œufs. Nous ne pouvions jamais nous procurer de cigarettes anglaises ou américaines, alors que les officiers en avaient en abondance. Nous ne pouvions pas obtenir suffisamment de nourriture ni de viande, tandis que les officiers avaient tout pour leur confort. Je me suis rendu moi-même dans leur bâtiment et j’ai constaté le contraste des traitements.
Le contraste entre les conditions de vie des hommes et des officiers fut l’une des premières choses qui me troublèrent. Il ne me semblait pas que ce soit une armée ouvrière, avec ses différences entre simples soldats et officiers. C’était une armée qui maintenait les différences de classe. J’avais reçu une impression totalement différente du Parti communiste de Glasgow. On m’avait dit que nous serions camarades et égaux.
Lorsque les garçons furent envoyés au front, je n’en fus pas membre. On m’a dit que je devais retourner à Albacete et être envoyé au front de là. À mon arrivée à Albacete, j’ai été conduit devant le commandant Lamont. J’ai demandé quand j’allais au front. Il m’a répondu que je n’irais pas au front, mais en prison. J’ai demandé la raison. Il m’a répondu qu’il l’ignorait, mais qu’il avait reçu l’ordre de me mettre en prison.
J’ai ensuite été placé en prison et je me suis retrouvé avec soixante-dix autres camarades de la Brigade internationale. Parmi eux se trouvaient des camarades qui étaient au front depuis des mois. Désillusionnés, ils avaient demandé à être renvoyés chez eux. Ils ont finalement été emprisonnés. L’un d’eux avait été grièvement blessé par balle au bras ; plusieurs autres avaient été blessés.
J’ai demandé à voir le commissaire politique pour savoir pourquoi j’étais en prison et pourquoi je ne devais pas être libéré. Il est venu me voir huit jours plus tard et m’a dit qu’il ferait tout son possible pour me faire sortir, mais qu’il ne pouvais pas faire grand-chose. J’étais trop dangereux pour être envoyé au front. C’était un communiste gallois.
L’après-midi même, le garde est arrivé et m’a conduit à la Commission de justice, composée du commandant Lamont et d’un autre officier qui parlait français, mais qui, m’a-t-on dit plus tard, était russe. C’est un autre Russe qui l’avait connu avant son incarcération qui m’a informé.
J’ai demandé la présence du commissaire politique, mais cela m’a été refusé. Lorsque j’ai demandé pourquoi j’étais en prison, on m’a répondu que j’étais un provocateur et soupçonné d’appartenir aux fascistes de Mosley en Angleterre. On m’a demandé à quel parti j’appartenais. J’ai répondu que je n’appartenais à aucun parti, mais que j’étais un antifasciste et un ouvrier engagé. On m’a ensuite dit que j’étais un criminel recherché par la police et que j’étais venu en Espagne uniquement par crainte d’être emprisonné. Lorsque j’ai osé demander pourquoi des membres du Parti communiste avaient été emprisonnés et pourquoi les travailleurs de Catalogne étaient abattus, on m’a répondu que c’était une provocation et que cela leur prouvait que j’étais un fasciste. Ils ont donné l’ordre de m’enfermer.
Nous avons entamé une grève de la faim en prison parce que nous manquions de nourriture. Je le répète, nous ne nous serions pas plaints du manque de nourriture s’il y avait eu pénurie. Les meneurs de la grève de la faim ont été renvoyés. J’ignore ce qu’il est advenu d’eux. Nous autres avons été répartis dans différentes cellules, infestées de vermine. Rien n’a été fait pour maintenir la propreté des cellules. Nous avons demandé de l’eau, du désinfectant et des brosses pour nettoyer les cellules, mais en vain. La chaleur et l’étouffement étaient terribles. Nous étions environ trente-cinq hommes dans une pièce avec seulement deux petites fenêtres. Une nuit, un camarade a été amené. Il était très malade : il avait des douleurs à l’estomac et souffrait terriblement. Il était dans un tel état que nous avons frappé aux portes pour attirer les gardes et leur demander de l’emmener à l’hôpital. Il n’a pas été soigné pendant trois jours. Le médecin a alors ordonné son transfert à l’hôpital. À cause de la mauvaise nourriture, de la chaleur et de la vermine, d’autres hommes étaient constamment malades. Ils ne recevaient aucun soin approprié, on leur donnait juste des comprimés.
Nous sommes restés là-bas dix-huit jours. Certains hommes étaient là depuis des mois. Après dix jours, certains camarades ont été emmenés en ambulance et informés qu’ils étaient renvoyés chez eux. Parmi eux, deux Canadiens, Fred Walker et James Bradley, et des camarades français. Les communistes leur ont fait un adieu chaleureux : ils leur ont serré la main, crié « Salud, camerads » et leur ont fait le signe du poing fermé. Les garçons étaient heureux de savoir qu’ils rentraient chez eux et, bien sûr, cela nous a redonné espoir.
Huit jours plus tard, la même chose nous est arrivée. On nous a fait sortir de la prison la nuit, on nous a confisqué notre équipement militaire, on nous a donné des vêtements civils et nos cartes d’identité de membres de la Brigade internationale ont été déchirées. On nous a dit que nous en avions fini avec la Brigade. Nous allions à Barcelone, puis à Marseille.
Avant notre départ, le commandant Lamont nous a dit : « Eh bien, les gars, vous rentrez chez vous », et il nous a adressé un salut sarcastique qui m’a laissé perplexe. Il nous a conseillé de ne pas être trop durs avec le garde, sinon nous serions obligés de marcher de Barcelone à Perpignan (en traversant la frontière).
On nous a emmenés en ambulance très tard dans la nuit pour ne pas éveiller l’intérêt. Nous étions quinze ; un officier français armé nous accompagnait dans l’ambulance.
Nous sommes allés à Valence, puis à Barcelone. On nous a conduits au quartier général de la Brigade internationale, à la caserne Karl Marx. On nous a dit d’attendre que nos passeports soient en règle ; ils nous avaient été confisqués lors de notre incarcération à Albacete. Finalement, on nous a dit de remonter dans l’ambulance pour être conduits par la route jusqu’à Perpignan.
On ne nous a pas conduits à Perpignan. On nous a conduits à la Calle Corsiga, le commissariat central de Barcelone. Nous avons demandé ce qui se passait et on nous a de nouveau répondu que tout allait bien : on nous renvoyait chez nous. On nous a ordonné d’entrer dans le commissariat. Nous avons constaté avec quelques doutes que des gardes avaient été postés à la porte. On a pris nos noms, nos âges et ceux de nos proches.
On nous a ramenés à l’ambulance et conduits à l’hôtel Falcon sous escorte armée. Nous avions alors tous des raisons de douter de la véracité de l’histoire de notre renvoi. L’hôtel Falcon était à l’origine un bâtiment du POUM. Il avait été transformé en prison.
Il était plein de prisonniers et nous y avons retrouvé certains des camarades qui avaient quitté Albacete huit jours avant notre départ et que nous pensions avoir été renvoyés chez eux. Parmi eux se trouvaient les deux Canadiens et les camarades français. Nous avons entendu dire que dans différentes prisons de Barcelone se trouvaient de nombreux membres de la Brigade internationale.
Quand nous avons demandé au capitaine pourquoi nous étions là, il a répondu qu’il l’ignorait. Nous lui avons demandé pourquoi il ne pouvait pas nous libérer. Il a répondu qu’il avait l’ordre de nous garder là. Le quatrième jour, on nous a dit de descendre et que la police allait nous emmener ailleurs. Nous avons de nouveau été conduits rue Corsiga, où la police nous a interrogés à plusieurs reprises. On nous a pris nos photos et nos empreintes digitales. Nous espérions encore que ce serait pour obtenir notre passeport et que nous serions libérés.
À l’hôtel Falcon, nous avons été traités comme des criminels. Les gardes m’ont dit que tous les détenus étaient fascistes ou suspectés de l’être – certains l’étaient sans aucun doute. Nous demandions sans cesse au capitaine quand nous serions libérés, mais il répondait ne pas savoir. J’étais accompagné de plusieurs camarades français membres du Parti communiste, qui refusaient de croire que leur parti puisse être responsable de leur incarcération. J’ai écrit une lettre au Parti communiste de Barcelone pour exiger notre libération. Devant l’absence de réponse, même les communistes les plus loyaux ont commencé à douter.
Parmi les prisonniers de l’Hôtel Falcon se trouvait un camarade venu en Espagne, fils de Ras Imru, le prince abyssin. Il avait été porté aux nues par les communistes et avait immédiatement été nommé commandant de la Brigade internationale. Des photos de lui et des interviews avaient paru dans les journaux communistes, et voilà qu’il était prisonnier !
À l’Hôtel Falcon, la ration alimentaire était synonyme de quasi-famine. Nous n’avions que deux repas par jour : le premier à 15 h et le second à 22 h 30. Chacun consistait en une assiette de soupe – une soupe liquide avec quelques pommes de terre – et un morceau de pain sec. Les garçons avaient toujours faim. Beaucoup d’autres prisonniers avaient des amis à Barcelone qui leur apportaient à manger, mais les membres de la Brigade internationale étaient sans amis. Personne à Barcelone ne savait qu’ils étaient en prison. Le Parti communiste refusait de les aider et ils étaient dans un état désespéré.
Je réalisais qu’il faudrait peut-être des mois avant notre libération. Beaucoup de prisonniers étaient détenus depuis des semaines. Il ne semblait y avoir aucune raison d’espérer la liberté avant la fin de la guerre. J’ai donc cherché un moment opportun pour m’échapper.
L’hôtel Falcon était soigneusement gardé, mais lors d’une forte pluie, voyant les gardes se mettre à l’abri, je me suis laissé tomber de la véranda du premier étage dans la rue. Tout le monde courait à cause de la pluie, et je me suis enfui avec eux.
J’ai trouvé refuge auprès de travailleurs espagnols sympathisants des anarchistes. Une fois de plus, ce sont ces anarchistes dont on m’avaient dit qui allaient me tirer dessus qui m’ont aidé.
Je savais que je ne pouvais pas quitter le pays sans permission. J’ai donc décidé d’aller à la caserne Karl Marx et de demander mes papiers. Lorsqu’ils ont su que je n’avais pas de papiers, ils ont appelé la police, alors j’ai « déguerpi ».
Dans ces conditions, j’ai été contraint de me rendre au consulat britannique pour obtenir une pièce d’identité afin de quitter le pays. Il m’a dit que des hommes de la Brigade internationale venaient le voir chaque semaine pour obtenir de l’aide pour quitter le pays. J’ai embarqué sur un navire français à destination de Marseille et je suis rentré chez moi. À Paris, j’ai demandé de l’aide au Parti communiste. Ils ne m’ont pas aidé, mais lorsque j’ai fait remarquer que je leur avais laissé mes affaires en partant pour l’Espagne et que je les ai exigées, ils m’ont donné des vêtements.
Arrivé à Londres, sans le sou, je me suis adressé à l’ILP. Ils m’ont donné de l’argent pour rentrer chez moi en Écosse. En Écosse, les gens ont été stupéfaits par mon histoire.
Ce fut une expérience amèrement décevante. Je suis parti en Espagne comme ouvrier pour combattre les fascistes. J’ai répondu à l’appel des communistes. Au lieu de me permettre de combattre les fascistes, les communistes m’ont mis en prison. Je dois dire que le traitement que j’ai reçu était peut-être celui que l’on pouvait attendre de fascistes, mais je ne l’attendais pas de communistes. Mon seul tort a été d’avoir protesté contre la différence de traitement entre hommes et officiers dans ce qui était censé être une armée ouvrière.
Je ne veux rien écrire qui puisse rendre plus difficile la lutte contre Franco, mais il est nécessaire et juste que le sort de nombreux camarades de la Brigade internationale soit connu. Je ne peux oublier mes bons camarades – de brillants travailleurs conscients de leur classe – toujours emprisonnés à Barcelone dans des conditions qui doivent les briser physiquement, sinon moralement. J’écris ce récit dans l’espoir qu’il contribuera à faire quelque chose pour eux et afin que de nombreux bons camarades que je connais au sein du Parti communiste comprennent ce que leur parti fait en Espagne.
1 commentaire sur Espagne 1936, Ethiopie 2021 : la lutte contre le fascisme continue …