A propos du contrôle social …

Texte écrit en .. 2008 mais tout à fait d’actualité …

Paru dans Anarchosyndicalisme n°107, juillet août 2008

A l’heure actuelle le capitalisme, désormais « décomplexé », est plus impitoyable que jamais. Dans sa logique jusqu’au-boutiste d’exploiter jusqu’à l’assèchement et la destruction tout ce sur quoi il jette son dévolu (l’homme, les ressources, …), il use et abuse de son pouvoir d’influence. Dans un univers ou tout s’achète et tout se vend, ce pouvoir d’influence s’apparente plutôt à du pouvoir de corruption. Traduit directement en pouvoir politique, celui-ci ramène et réduit l’Etat à ce qui est sa fonction essentielle : un outil policier, maître-casseur en matière sociale.

Je n’ai pas besoin de m’étendre sur les effets du capitalisme pour les populations, car vous les connaissez. Néfastes. Cela passe par la précarité, les inégalités, les restrictions de toutes sortes…, entraînant misère sociale, conflits, déchéances physique, psychique et morale. Et si, aujourd’hui, il y a un peu partout des remous sociaux, certes largement corporatistes, les capacités potentielles d’action, d’organisation, et de solidarité dont ont déjà su faire preuve par le passé les populations, représentent un véritable danger pour le pouvoir et ceux qu’il protège. Le capital ne peut y faire face qu’à travers un état-policier et la création d’un climat social favorisant divisions et conflits. Pour éviter d’être freiné, déstabilisé, voire détruit à un moment où les classes dirigeantes sont plus déchaînées et plus voraces que jamais, l’état met en place une répression policière que beaucoup auraient cru révolue. Faite d’intimidation, de provocation, de violence physique et d’arrestations, cette répression s’accompagne de la mise en place progressive d’un certain nombre de moyens en amont de ces méthodes.

Cette répression – avec ses méthodes – et ces moyens servent à assurer le contrôle social dont les efforts portent sur le nous faire accepter des règles du jeu absurdes et imposées, comme naturelles : « Que ces règles soient acceptées comme des évidences, amen ! » Bien sûr, la propagande omniprésente dans les différents médias, se fait le relais et l’écho de l’idéologie du « chacun pour soi » et du profit à n’importe quel prix. L’objectif est toujours le même : tout en voulant sauvegarder une apparence de démocratie, le climat ambiant vise d’une part, à isoler les gens et à les diviser pour les opposer (par exemple, par le corporatisme).

D’un autre côté, le retour en grâce de l’autoritarisme (à la maison, à l’école ou ailleurs) est une tendance très actuelle (accompagnée par les médias, les paroles d’experts, et autres spécialistes complices) qui prétend cerner l’individu pour lui faire accepter la soumission dès le plus jeune âge. Ce formatage est destiné à faciliter le contrôle social, afin que lorsqu’un individu s’écarte de la ligne imposée, il éprouve malgré lui le sentiment de commettre une faute. Un individu qui se sent « coupable » est isolé avec le poids de sa faute. La culpabilisation, qui a été abondamment utilisée par l’église catholique, permet de créer de faux coupables. D’ailleurs, les prisons sont pleines de faux coupables et de vraies victimes sociales. Souvenez-vous, il y a quelques années : le discours favori du F.N, repris depuis lors par beaucoup d’autres, qui « dénonçait l’insécurité » grandissante subie par les honnêtes gensss » ; suscitant ainsi le sentiment d’insécurité.

Contrôle et infantilisation

Aujourd’hui, les dignes successeurs du F.N. ont décidé, pour contrer les effets perturbateurs des problèmes sociaux, de jouer le tout sécuritaire. Et l’accentuation du contrôle social y tient toute sa place. Le développement à outrance de la technologie qui offre une large gamme de choix futiles, avec son système « mode-moderne » et un renouvellement incessant du tout-gadget, cultive et entretient un esprit infantile, c’est à-dire irresponsable. D’autre part, cette « liberté » de choix, ce « changement » permanent, veut donner l’illusion de liberté tout en nous privant de nos libertés fondamentales, celles d’une vraie autonomie, personnelle et sociale. Cette illusion de liberté permet d’occulter ou de détourner notre attention des vraies inégalités et des vraies injustices qui en découlent, tout en les banalisant. Le combat factice du « pouvoir d’achat » est dans la droite ligne de ces illusions car il se résume à vouloir gagner plus sans s’occuper des causes réelles. Je ne nie pas, ici, les légitimes besoins de la population qui est acculée à toujours plus de restrictions, ni les exigences des laisser-pour-solde-de-tout-compte qui luttent pour une vie décente et pas seulement pour un peu plus de « pouvoir d’achat ». La récupération qui s’illustre par la chimère électorale et partisane, ainsi que le syndicalisme institutionnel sont d’excellents moyens pour diviser et mettre en concurrence les individus.

Ceux-ci, dépossédés de leur autonomie, et donc de la lutte, en sont réduits au « statut social » de supporters. Ce qui n’est pas sans rappeler les grands événements médiatico-sportifs, abrutissement suprême de la plèbe, s’il en est : Pendant ces « grands événements », tout le monde est rendu inquiet de l’état de santé des joueurs de l’équipe nationale, du choix et de la tactique de l’entraîneur. Et pendant ce temps ? … « Le bâteau coule normalement » et dans la plus grande indifférence.

Règlements, lois et autres tabous

Dans le même axe, le piège identitaire, plus que jamais à l’ordre du jour, est lui aussi rentré dans les moeurs, aidé en cela par le pouvoir avec, par exemple, son ministère de l’identité nationale. Parallèlement, les communautarismes de toutes sortes, y compris religieux, sont ainsi présentés comme des droits et des libertés mis en danger. Teintés d’un orgueil malsain et cultivés au niveau corporatiste, ces « pièges à cons » sont d’excellents vecteurs pour une haine de substitution. Elle permet de faire canaliser aux gens pris dans cet engrenage leurs frustrations et leur mal de vivre dans un sens réducteur.

Quelle que soit la direction qu’on prenne, le contrôle social se fait sentir, soit par un règlement, soit par une loi, voire un tabou, avec un net retour de la superstition. La superstition d’aujourd’hui, réflexe toujours irrationnel, n’a plus ce caractère religieux qu’on lui connaissait autrefois, mais le fait de considérer des normes comme immuables et fatales, d’assimiler leur transgression à une sorte de malédiction, s’assimile bien à de la superstition. Dans un état qui puise rigoureusement son inspiration dans l’idéologie d’extrême-droite, le mot droit est mis à toutes les sauces et on nous « vend » l’état de droit, ou plutôt, l’état d’extrême-droits (quel humour, n’est-ce pas ?), comme le meilleur de la civilisation et de l’efficacité. Le recours aux nouvelles technologies de flicage comme la télésurveillance publique, la biométrie, les puces informatiques …, et autres mouchards participe aussi du contrôle social. Traiter avec des machines nous impose de nous conduire comme des machines, des « robots » sans réflexion et résignés. Le facteur humain n’a plus sa place et devient même une faute.

Excusez-moi d’avoir eu un brin d’humanité

Sur ce sujet, je citerai une phrase de Raymond Domenech pendant l’Euro 2008 de foot : « Excusez-moi d’avoir eu un brin d’humanité à un moment où j’aurais dû rester froid et professionnel. » Bien qu’il s’agisse de décisions dans un sport, ce discours est révélateur de l’état d’esprit qui prédomine, en dévalorisant purement et simplement le facteur humain lorsqu’il faut prendre des décisions. – « …froid et professionnel … », voilà le maître-mot : professionnel. C’est censé balayer naturellement tout le reste. Ce langage frelaté en dit long sur la désorientation et la confusion dans lesquelles nous entraîne et nous maintient le contrôle social pour nous rendre dociles et indolents. Le contrôle social, ce n’est pas seulement le maintien de l’ordre, avec coup de matraques et autres, c’est, aussi et surtout, un endoctrinement.

D’ailleurs, dans « contrôle social », il y a deux mots : contrôle, et, social. Le contrôle est vérification, maîtrise, inspection, surveillance et suppose d’être à l’affût (…comme un relent de police, non ?), mais n’est en aucun cas possession. Le social est collectivité humaine, interaction et rapports des individus entre eux, avec les groupes, et entre groupes d’individus. Le contrôle social vise à « tenir » l’individu dans le rôle qui lui est imposé. Le contrôle implique, donc, l’absence de liberté. Faute de pouvoir totalement détruire ou s’approprier la pensée de chacun d’entre nous, le pouvoir travaille sans relâche à l’aliénation de notre esprit critique qui est à l’origine de toute réflexion.

C’est pourquoi tout l’effort du contrôle social porte là-dessus : couper l’individu de sa propre nature et de son « pouvoir » de remettre en question, de remettre en cause, de réfléchir et de se forger sa propre opinion ; en fin de compte, le pouvoir d’être libre. C’est pourquoi, le contrôle social nous interdit de recourir à notre capacité à dire NON, et par là, à notre capacité à intervenir. A mon sens, la liberté commence ici, par cette capacité à dire NON et par le courage de refuser. En refusant, on se tourne, forcément, vers autre chose … et sûrement vers les autres.

En d’autres mots, la nature de l’homme, avec ses besoins d’expression- communication et de sociabilité, instincts de l’espèce, est « quelque chose » de malléable et de façonnable. Un être humain traité humainement (c’est-à-dire comme tel) épanouira toujours son potentiel car il prendra confiance dans son jugement au fur et à mesure qu’il prendra de l’assurance. Mais, le façonnage d’aujourd’hui prend les allures d’un bétonnage qui le fige dans un immobilisme aliénant. C’est l’homme aux normes, l’homme normalisé avec névroses et angoisses, condamné à vivre dans le fantasme, c’est-à-dire en dehors de la réalité. Incapable de comprendre cette réalité, où il est sans cesse manipulé, il est l’homme de la compréhension morte, incapable, a priori, de faire, autre chose que ce pourquoi il a été programmé.

En conclusion, je dirais, simplement, que le contrôle social est l’anti- thèse de la révolution sociale … mais peut-être aurais-je dû commencer par là ? …

Et vous, qu’en pensez-vous ? …

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