ANARCHISTES, PAS REPUBLICAINS … DES ANARCHISTES ESPAGNOLS EN RESISTANCE (intro)

Introduction de la brochure « ANARCHISTES, PAS REPUBLICAINS … DES ANARCHISTES ESPAGNOLS EN RESISTANCE (tome 1) « 


De tout temps, pour faire face aux crises internes comme externes qui le menace, l’Etat a eu recourt aux exhortations à l’Union Nationale, pour que la Nation fasse corps autour de ses dirigeants. Pour ce faire, l’Etat a besoin de mobiliser des symboles puissants, capable d’incarner son discours idéologique. On assiste donc régulièrement à une instrumentalisation des faits historiques, selon les besoins circonstanciels de ceux qui sont au Pouvoir … ou qui y aspirent

La République française n’échappe pas à ce mouvement, et la Résistance au Nazisme est une pièce de choix dans son dispositif idéologique. L’Histoire de la Résistance a connu plusieurs versions, selon les nécessités du moment du Pouvoir : dans l’après-guerre, les Gaullistes ont écrit la fable d’une résistance massive et générale des français qui se libérèrent eux-mêmes de l’envahisseur honnis. De leur côté les Communistes se sont érigés comme le Parti des Fusillés, résistants de la première heure et plus patriotes que les patriotes.

Pourtant, il faut bien le reconnaître : jusqu’’à ce que la victoire Alliée ne fasse plus de doute en 1944, la Résistance est surtout le fait de « marginaux », souvent étrangers. Comme l’a dit si bien l’humoriste et véritable résistant Pierre Dac « pendant plus de 4 ans, les français ont surtout résisté … à l’envie de résister » Le rôle des réfugiés espagnols dans la Résistance, et encore plus des anarchistes espagnols, fut donc ignoré car ne cadrant pas dans le dispositif idéologique que servait le récit gaullisto-communiste de la France Résistante.

Si aujourd’hui l’Union Nationale est toujours à l’ordre du jour du programme de tous les hommes ou femmes de pouvoir, le consensus social se construit autour de nouvelles figures identitaires. Le discours idéologique dominant actuel proclame que la République, bonne fille, est capable d’accueillir tous ses enfants, dans le respect de leurs différences, dès lors qu’ils se rangent derrière son drapeau pour la défendre. Ainsi, la mémoire des Espagnols de la Résistance est-elle désormais convoquées dans les manuels d’histoire, les noms de rues et lors des commémorations officiels … mais à la condition qu’on les baptise « républicains espagnols » et qu’on « omette » que nombre d’entre eux étaient des anarchistes qui n’avaient qu’un amour très modéré pour la République. Opération de réécriture de l’Histoire d’autant plus facile que les protagonistes sont désormais tous morts. Pas de risque qu’ils viennent contredire le discours officiel d’un Macron évoquant « les camps espagnols » lors de la commémoration du 6 juin 44, en lui rappelant que ces camps de concentration étaient français et bien républicains, car bâtis par la République Française, pour y parquer en février 39 dans des conditions pire que des bêtes ceux qui avaient fui les fascistes franquistes après leur avoir tenus têtes – seuls – pendant 3 ans…

Dans le même mouvement idéologique de réécriture de l’histoire, un Ministre de l’intérieur, le sinistre Castaner l’éborgneur, peut dire sans honte que la Police française fut globalement Résistante. Heureusement, des témoignages écrits, tels celui d’Arthur Koestler – qui gouta les délices de cet internement Républicain au camp du Vernet – permettent de remettre les pendules de l’Histoire à l’heure : « [en 1939] Les flics lisaient les journaux du matin, et ce matin justement, les journaux publiaient un communiqué officiel expliquant que la foule des étrangers qui venaient d’être arrêtés ces jours derniers par « notre vigilante police » représentait les éléments les plus dangereux du Paris interlope, la véritable lie de la terre. »[1] La mémoire aussi est acte de Résistance. Nous n’oublions pas ce que fit la police française.

La mémoire, en même temps qu’elle s’estompe avec les générations, est devenue un enjeu politique. Les enfants et les petits-enfants de « républicains espagnols » deviennent des enjeux électoraux, qu’il s’agit de flatter dans le sens de la mémoire, en espérant capter quelques voix, surtout quand les élections se jouent désormais dans des mouchoirs de poche … Les « gestes symboliques de reconnaissance» envers les descendants se multiplient, en même temps que le potentiel subversif de cette mémoire est désamorcé. Ainsi Hidalgo peut-elle inaugurer à Paris, sous le regard ému des associations de fils et fille de réfugiés espagnol « et en même temps » de la ministre de la Justice du Royaume d’Espagne, un square « Federica Montseny » mais en faisant suivre son nom du qualificatif réducteur et pacifié d’« écrivain libertaire »…

Cette brochure a donc une ambition idéologique et non commémorative. Notre objectif n’est pas de verser une larme nostalgique sur de glorieux ancêtres, mais de partager des faits et arguments pour réfuter le bourrage de crâne et l’enrôlement des anarchistes d’aujourd’hui sous le drapeau républicain.

Nous avons voulu rassembler ici des textes d’analyses, des témoignages, des biographies pour essayer de saisir les trajectoires (dans leur succès comme dans leurs échecs, mais sans jamais renoncer) et les motivations de ces anarchistes espagnols qui, bien que vaincus et exilés dans un pays dont les institutions républicaines les traitaient en parias[2], avaient continuité la lutte pour ce qui fait la Dignité Humaine : la Liberté, la Solidarité, l’Egalité.

Ce qui frappe en lisant le récit de leurs vies, c’est d’une part le fait qu’il s’agit essentiellement de gens simples, des « petites gens », ébénistes, mineurs, ouvriers, paysans, éboueurs même, sans aucune prétention d’héroïsme ni recherche de gloire aucune  ; et d’autre part l’existence d’un principe commun qui les guida en toute circonstances, la conscience de la Dignité et l’esprit de Résistance, c’est-à-dire le refus des capitulations et du conformisme ambiant.

Cette brochure comporte un texte inédit à notre connaissance, le rapport de la Police de Vichy sur les anarchistes espagnols, et la réponse du Directeur du camp de concentration du Vernet au sujet de ses pensionnaires les plus surveillés. Au-delà du caractère historique du document, cela permet de voir en creux l’intelligence tactique et opérationnelle de ces militants qui – malgré leur internement et la surveillance serrée dont ils faisaient l’objet, réussissaient à maintenir un réseau anarchosyndicaliste opérationnel.

Tel le coq qui chante dans la nuit (pour reprendre le titre d’une nouvelle de l’anarchiste Chinois Pa Jin, qui a la même époque résistait avec ses moyens contre le fascisme impérial japonais), ces exemples sont autant d’hymnes au courage et à la liberté et nous donnent malgré-tout des raisons d’espérer.

Pour paraphraser un résistant célèbre, quoiqu’il arrive, la flamme de la Résistance anarchiste ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas …


[1] Arthur Koestler, La Lie de la terre, Paris, Calmann-Lévy, 2013, 302 p., p. 76

[2] Même si heureusement des « français moyens », individus lambda, n’avaient pas oublié ce que le mot Fraternité voulait dire.

Version papier disponible contre 3 euros (port compris) à CNT AIT, 7 rue St Rémésy 31000 TOULOUSE

Guérilleros espagnols de la 9e brigade de l’Aveyron. Dans cette unité, il y avait une forte présence anarchiste, d’une quarantaine de membres dont celui deviendra l’écrivain Antonio Téllez.

Guerrilleros españoles de la 9ª Brigada del Aveyron. En esta unidad había una fuerte presencia anarquista, estaba el escritor Antonio Téllez y alrededor de 40 libertarios más.