La guerre d’Algérie : une plaie toujours ouverte

En ces temps malsains où l’on conjugue identité nationale avec stigmatisation des populations issues de l’immigration, sans doute n’est-il pas inutile de revenir quelques décennies en arrière aux années terribles de la sale guerre d’Algérie, alors que se construisait en France cet odieux racisme anti-maghrébin, encore bien vivace, toujours présent dans certaines couches de la population, notamment au sein des « forces de l’ordre » qui continuent à bénéficier aujourd’hui comme hier de la protection bienveillante de la hiérarchie et de la clémente compréhension de la justice en cas de bavure…


Des citoyens de seconde classe

La loi française n’accordait alors aux français de souche nord-africaine (F.S.N.A., en jargon administratif) qu’une citoyenneté de seconde classe ; la guerre viendra inscrire en lettres de feu et de sang cette discrimination institutionnelle. Pendant ces huit années (1954 – 1962) l’Algérie sera livrée à l’arbitraire de la soldatesque, à la violence déchaînée des soudards. L’idéologie qui anime alors l’armée, les administrations et les colons dans leur majorité est fondamentalement raciste. Après la cessation des hostilités, rentrent en France plus d’un million de rapatriés (les anciens colons), des dizaines de milliers de soldats de carrière qui colportèrent avec eux une image très négative de ceux qu’ils ont combattus. Chez les trois millions d’appelés qui ont effectué leur service militaire en Algérie, certains ont été contaminés durablement par le virus de la haine raciale. Étant donné l’importance du nombre de personnes qui a été infecté par la maladie, l’épidémie ne peut que se propager.

A la fin de la seconde guerre mondiale, la victoire sur le nazisme et le retour des « libertés » (du moins en Europe) suscitent chez les colonisés de grandes attentes. Plus de 250 000 jeunes Algériens (ainsi que des milliers de Marocains et de Tunisiens) ont participé aux divers combats de la reconquête du « territoire national » : évidemment placés en première ligne, ils ont payé un lourd tribut et sont en droit d’attendre de « la mère patrie » une « reconnaissance », un « geste libérateur ». Citoyens de seconde zone pour l’administration française, ils n’ont pas les mêmes droits que leurs exploiteurs, les colons ; ils ont par contre les mêmes devoirs : mourir pour la patrie.

Les massacres de Sétif et Guelma

Lors de la célébration de l’armistice du 8 mars 45, à Sétif et Guelma, des manifestations pro-indépendantistes tournent à l’émeute, une centaine de colons est tuée. Immédiatement [1] une répression épouvantable frappe les populations de la région : il y aura au moins 20 000 morts. Police, gendarmerie, armée et milice de colons massacrent avec une férocité incroyable. Ainsi, ce jour de paix et d’armistice du 8 mai 1945 reste à jamais pour les populations algériennes un souvenir sanglant. En Europe une guerre se termine, en Afrique du Nord se prépare un autre conflit (il n’éclatera que le 1er novembre 1954 mais dès le 8 mai 45 les dés sont jetés). Un demi siècle plus tard, les conséquences de ce conflit sont encore infiniment présentes : le racisme, fruit pourri de la guerre et du colonialisme a infecté durablement une bonne partie de la population française, tandis que l’échec de la « révolution algérienne » (remplacement de la caste coloniale par une élite de privilégiés algériens) jetait une part importante de la population, déçue, dans les bras du fondamentalisme religieux (et dans une nouvelle guerre civile). Des deux cotés de la Méditerranée, les suites du conflit pèsent encore lourdement.

Une guerre qui aurait pu ne pas avoir lieu

Pourtant, cette guerre d’Algérie aurait pu ne pas avoir lieu, tellement au départ, dans les années 55, 56 elle semblait impopulaire en métropole. Jamais les appelés n’ont autant rué dans les brancards. Cette fois-ci personne ne vocifère « A Alger, à Alger ! » comme les grand-pères avaient pu le faire en 14 en criant « A Berlin, à Berlin ! ». L’enthousiasme patriotique n’est pas du tout au rendez-vous et les militants de l’époque ont pu espérer un moment que ce coup-ci on pourrait compter sur des désertions massives. Elles n’auront pas lieu hélas, mais les autorités militaires et civiles devront faire face à un nombre très conséquent d’insubordinations collectives et spontanées, avec soutien de la population.

Les « appelés » sont souvent en fait des « rappelés », ils ont déjà fait leur 18 mois de service militaire, ils ont déjà donné et n’ont pas du tout envie de remettre ça. Ils ont souvent déjà un boulot (pas de chômage des jeunes à l’époque) parfois des crédits, ils vivent en couple et voient d’un coup toute leur vie basculer. Ils ne comprennent pas du tout pourquoi ils iraient risquer leur peau pour défendre les colons d’Algérie.

La première manifestation a lieu le 11 septembre 1955 à la gare de Lyon. 600 appelés qui doivent rejoindre le Maroc (également en insurrection, comme l’Algérie), refusent de monter dans le train ; ils scandent « Le Maroc aux Marocains ! » et ignorent complètement les injonctions des officiers qui s’époumonent, s’égosillent en hurlant des ordres le long des quais. Ils seront ramenés dans leur casernement par la police et la gendarmerie et acheminés par avion au Maroc où la police militaire les attend avec impatience.

Trois jours d’affrontements à Rouen

A Rouen, le 7 octobre 55, les appelés du 406ème Régiment refusent de quitter la caserne ; la population avertie de l’insubordination des appelés arrive en renfort autour de celle-ci. Les gardes mobiles interviennent. Les affrontements sont violents et durent près de trois jours. Tout au long des années 55-56 des manifestations souvent violentes vont éclater au moment du départ des jeunes pour l’Algérie. Des wagons sont décrochés voire incendiés, des aiguillages sont mis hors service. La population des villes fait cause commune avec les « jeunes mutins », qui sont souvent accompagnés à la gare par leurs compagnes, leurs parents, leurs amis, leurs voisins. A Lésignan, Grenoble, St Nazaire, des incidents similaires se produisent, toujours avec l’appui de la population. Certains trains, pour effectuer la descente vers Marseille, port d’embarquement, mettent un temps infini : les jeunes tirent sans arrêt le signal d’alarme, descendent aux arrêts et refusent de remonter dans le train. Les autorités militaires et civiles, débordées par la contestation, décident de regrouper les appelés loin des centres villes, pour éviter la contagion.

Mutinerie au camp de Mourmelon

Au camp militaire de Mourmelon (célèbre par la suite pour son adjudant Chanal et ses « disparus  », de jeunes appelés violés et assassinés sans que cela n’émeuve la hiérarchie militaire) en juillet 56, 2 000 rappelés se révoltent et prennent le contrôle du camp. Ils foutent le général Zeller à poil et malgré l’encerclement du camp par les CRS affrètent des autocars et rentrent paisiblement chez eux. L’autorité militaire devra lancer des appels par radio pour récupérer tous ces gars, en les menaçant du pire s’ils ne se rendent pas. Bafouée et ridiculisée en métropole, l’autorité militaire se vengera en Algérie en expédiant les meneurs et les fortes têtes dans les unités disciplinaires… où ils seront livrés au sadisme des officiers et sous-officiers parachutistes.

L’exploitation habile de l’embuscade de Palestro (Algérie) – qui fait 18 morts, tous des appelés – par la propagande gouvernementale va mettre un terme à ces insubordinations collectives de jeunes soldats. Comme d’habitude, l’appel à l’union sacrée, à serrer les rangs « derrière les victimes » va fonctionner.

Les socialistes au pouvoir, les communistes complices

L’ampleur et la détermination de ces « petites mutineries » auraient pu déboucher sur un arrêt de la guerre si une grève générale avait été déclenchée, ou tout au moins une grève des cheminots et des dockers [2], puisque tous les renforts transitent par voie ferrée jusqu’à Marseille et de là partent en bateau pour Alger. Beaucoup de jeunes (de l’époque) estiment avoir été lâchés par le mouvement ouvrier, la gauche.

Mais bon dieu, que fait, justement, la gauche ? Son sale boulot, comme d’habitude, bien sûr ! A l’époque, elle gouverne : Guy Mollet de la SFIO [3], succède à Pierre Mendes-France, autre homme de gauche. Un certain François Mitterand, tour à tour Ministre de la justice puis Ministre de l’intérieur (de la police donc), n’a pas peur de déclarer « L’Algérie c’est la France… des Flandres au Congo, partout la loi s’impose et cette loi, c’est la loi française ». Ce gouvernement socialiste sait déjà pertinemment que la torture est employée à grande échelle, mais il continue à couvrir les exactions sans état d’âme. Pour ces socialistes toujours prompts à brandir leur participation à la résistance contre la nazisme, la bouche pleine de vertus républicaines et d’humanisme, le colonialisme n’a rien de monstrueux et il convient de rétablir l’ordre coûte que coûte.

Les communistes (25 % de l’électorat) soutiennent le « Front républicain » (radicaux et socialistes) qui a été élu pour trouver une issue pacifique à la crise algérienne. Au lieu de soutenir l’action directe et spontanée des appelés contre la guerre, les staliniens [4] jouent la carte Guy Mollet – Mitterand. Ceux-ci se ravisent sous la pression des ultras et se lancent à fond dans la guerre : ils demandent les pouvoirs spéciaux. Les élus communistes votent pour. Dans le même temps, ils créent des « comités pour la paix » ; c’est la logique stalinienne qui obéit à de règles bien spécifiques, dont la secrète articulation ne se dévoile aux yeux du néophyte qu’après de longues études de dialectique.

Les communistes n’appelleront jamais bien sûr ni à l’insoumission ni à la désertion, suivant en cela les commandements sacrés de Lénine : « Un communiste participe même aux guerres réactionnaires, car sous l’uniforme il reste un communiste ».

De 1954 à 58 (avant que De Gaulle ne reprenne le pouvoir), la gauche gouvernementale va porter l’entière responsabilité de cette guerre et donc de la torture érigée en système contre-insurrectionnel ; comme d’habitude, la gauche sert au mieux les intérêts de la classe dominante et des coloniaux. Les staliniens, très soucieux de prouver leur patriotisme, leur sens des responsabilités, leur respectabilité, laissent les jeunes partir à la guerre sans déclencher de grève générale.

De la haine, des tortures, des « zones interdites »

L’armée française (ses chefs et ses officiers notamment) a été ulcérée par la défaite de Dien Bien Phû (Vietnam) : le 7 mai 1954, le Viet Minh les a battus à plate couture. Cette défaite, ils l’ont en travers de la gorge et c’est avec un désir de revanche féroce qu’ils abordent le conflit algérien. Ils emploieront tous les moyens pour, cette fois, remporter la victoire. Dès le 13 janvier 55 l’écrivain catholique François Mauriac dénonçait l’usage de la torture. Jamais sans doute le recours à la torture n’aura été aussi systématisé qu’en Algérie, et, au cours de ces huit années de guerre son usage ira en s’amplifiant. L’insurrection s’étend cependant à travers tout le pays au moins jusqu’en 57.

Pour contrer les insurgés l’état-major va quadriller le pays, les villes. Le principe de responsabilité collective est instauré : les embuscades ou attentats anti-français perpétrés dans les abords d’un village rendent tous les habitants complices. Pour contrôler et assécher « les solidarités », l’armée va se lancer dans des opérations de « regroupement de population » : les villages sont évacués, puis détruits, les zonez vidées de tout habitant sont déclarées « zone interdite », toute personne s’y trouvant est considérée comme rebelle (20 % de la population sera ainsi regroupée dans des camps d’internement où l’on manque de tout). Pour empêcher les infiltrations de « rebelles » qui ont des bases-arrières au Maroc et en Tunisie, l’armée déploie des champs de mines et de barbelés aux frontières. L’Algérie devient ainsi en quelques années un vaste camp d’internement, sillonné par des unités de soldats qui se permettent tout ce que l’on est en droit d’attendre de pire d’une armée d’occupation : vols, saccages, incendies, viols et meurtres, avec au centre de ce système de terreur, comme clef de voute de cet édifice répressif, la torture, partout présente pour extorquer des renseignements, mais aussi pour terroriser, briser les résistances. Un monde de cauchemar

C’est avec effarement que les jeunes appelés découvrent ce monde de cauchemar, quelques uns déserteront (trop peu), la plupart opteront pour une attitude indocile et peu enthousiaste, un certain nombre se laissera entraîner à l’ivresse de la tuerie et aux sombres plaisirs de « faire souffrir ». Ceux-là ramèneront dans leur paquetage la haine et le mépris, la violence et l’irrespect le plus total pour les « Arabes ». Ils regretteront le bon vieux temps où l’on pouvait assassiner en toute impunité avec la bénédiction du gouvernement (de gauche jusqu’en 1958, de droite ensuite jusqu’en 1962), ils dissémineront partout où ils passeront leurs propos racistes et venimeux.

En France métropolitaine, la communauté maghrébine a droit également à des attentions spéciales de la part des autorités. 450 000 travailleurs algériens sont présents sur le sol français dans ces années là : la France manquait de bras pour faire tourner ses usines (chimie, automobile…), pour extraire le charbon, pour reconstruire les villes détruites par la guerre. Tous ces ouvriers immigrés ont un contrat de travail et travaillent tous durement. «  Bêtement  », l’État a pensé à leur « fournir » du travail, mais par contre, il a oublié le logement : à eux de se « débrouiller », ce sera la « solution bidonville », c’est-à-dire l’inconfort, le froid, le manque d’hygiène. Les voilà donc marginalisés par le manque de logement. Avec le conflit en Algérie, ils vont passer du statut de marginaux à celui de suspects.

Le FLN [5] est présent en métropole aussi parmi ces travailleurs, il y collecte notamment une sorte « d’impôt révolutionnaire » pour alimenter ses caisses (pour les achats d’armement entre autres).

Marginalisés par le manque de logement, suspects de sympathie avec la cause indépendantiste, les travailleurs algériens de métropole vont continuer à être discriminés par le pouvoir : le couvre-feu est décrété pour les citoyens originaires d’Afrique du Nord. Dès le début de la soirée, les travailleurs pris dans la rue sont donc en infraction et susceptibles d’être embarqués au commissariat le plus proche où, comme on l’imagine, le meilleur accueil leur est réservé [6].

En discriminant aussi ostensiblement les travailleurs maghrébins, les gouvernements successifs de ces années-là ont contribué fortement à répandre dans une partie non négligeable de la population des attitudes méfiantes et racistes.

La République française organise un massacre en plein Paris

Le 17 octobre 1961, la police massacre à Paris plus de 300 Algériens qui manifestaient pacifiquement [7] pour la levée du couvre-feu. La haine et la violence qui animent les flics [8] sont incroyables. Cette tuerie terrible n’entraîne aucune réaction et les assassins ne seront jamais poursuivis.

A partir de l’été 1956, au moment où la révolte spontanée des jeunes appelés se tarit, faute d’avoir été suffisamment soutenue par la classe ouvrière, un petit nombre d’intellectuels, de syndicalistes, de dissidents communistes, de trotskistes et quelques curés vont franchir le pas et aider directement les nationalistes algériens. Une fraction libertaire, celle de la FCL, (Fédération communiste libertaire) de Fontenis et Guérin les avait précédé dans cette voie, mais leur action s’arrêta rapidement sous les coups de la répression.

Ces militants coordonnent bientôt leurs efforts au sein du réseau de Colette et Francis Janson et se chargeront surtout du transport de l’argent collecté par le FLN : ce seront les « porteurs de valise ». Ils croiseront les libertaires du réseau d’André Bösiger – un ami de toujours de l’AIT – et des Jeunes résistants convoient les insoumis français et algériens vers la Suisse.

Ces militants voient dans l’émergence des luttes de libération nationale une nouvelle étape de la révolution mondiale : dans leur esprit, les colonisés reprenant le flambeau révolutionnaire des mains d’un prolétariat désormais essoufflé. Profondément écœurés par l’attitude de la gauche et largement déçu par l’attentisme du PC qui laisse partir les jeunes à la guerre tout en criant « Paix en Algérie », ces gens vont prendre des risques.

Traqués par la DST [9] pour intelligence avec l’ennemi, certains seront arrêtés, connaîtront la prison, s’évaderont (un groupe de femmes notamment réussira une évasion spectaculaire de la prison parisienne de la Petite Roquette) et trouveront refuge en Algérie. C’est l’époque des « pieds rouges » (militants d’extrême gauche, partis en Algérie pour aider les débuts de ce qu’ils pensaient être une révolution socialiste, appelés ainsi par opposition aux pieds-noirs, les colons d’Algérie) qui se révélera si pleine de désillusions : certains connaîtront de nouveau la prison et les interrogatoires, cette fois-ci infligés par la toute nouvelle police algérienne issue du FLN. Les régimes passent, la police reste.

Les luttes de libération nationale ont certes permis l’éviction des castes coloniales, ont renversé un système d’apartheid, mais c’est une autre clique tout aussi autoritaire (mais locale) qui a pris la place des anciennes élites.

De 1962 à nos jours, la discrimination à l’encontre des immigrés va rester une constante de la politique intérieure française ; elle s’inscrit dans une continuité que ni les politiciens de droite ni ceux de gauche ne chercheront à rompre [10]. La récente campagne identitaire participe de cette tradition : il est toujours utile d’avoir sous la main une frange de la population que l’on peut désigner comme étant à l’origine de tous les maux, un « ennemi intérieur » en quelque sorte, dont le rôle a été tenu successivement par les « rouges », les « juifs » et plus récemment par les « arabes ».

Les seuls ennemis que nous ayons sur cette terre, ce sont les exploiteurs quelque soit leur nationalité. Les exploités eux n’ont aucune patrie. Les identités nationales sont forgées de toute pièce par nos bons maîtres qui savent bien que les guerres et les haines servent au mieux leurs intérêts. Leur règne ne repose que sur les divisions qu’ils suscitent.

Notre patrie, c’est le monde. Notre famille, c’est l’humanité.

A bas toutes les armées. A bas toutes les frontières.

Garga

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Survol du mouvement anarchiste en Algérie

Lors de la période d’occupation coloniale, il y a toujours eu des groupes activistes anarchistes en Algérie. Louise Michel y effectua d’ailleurs sa dernière tournée de conférence, pour y dénoncer l’exploitation capitaliste et le colonialisme barbare.

Ces groupes ont toujours été à l’initiative de militants d’origine européenne. La plupart n’ étaient d’ailleurs pas français, espagnols ( à Oran) ou encore italiens ou portugais, fuyant la misère et la répression policière contre les révolutionnaires. Toutefois ce qui caractérise ces groupes c’est leur cosmopolitisme et leur recherche constante de liens avec les prolétaires maghrébins. La section algérienne de la C.G.T.S.R., ancêtre de la CNT-AIT ans les années 30, organisait ensembles travailleurs européens et maghrébins. Sail Mohamed, le plus connu d’entre eux, était d’ailleurs le responsable du Groupe Internationale de la Colonne Durutti de la CNT -AIT, poste hautement symbolique quand on sait les tirades anti-moros du gouvernement républicain espagnol …

On peut aussi citer la mémoire de Marguerite Aspès, qui n’hésita pas à sortir un pistolet à des policiers trop zélés à faire la chasse aux « agitateurs » (comme on nommait les anarcho-autonomes à l’époque) dans les locaux de la CGT-SR à la Bourse du Travail d’Alger.

La seconde guerre mondiale vit là aussi l’effondrement du mouvement anarchiste. Toutefois à la Libération, une reprise se fit avec de nouveaux militants. Depuis 1950, les communistes libertaires en Algérie, qui vont devenir la FCL, et la CNT-AIT comptent six à huit groupes libertaires et fondent le MLNA (Mouvement libertaire nord-africain). Le MLNA regroupe des militants de toute origine, juifs, magrébins, pieds noirs, ou encore espagnols de la seconde génération, comme Martin, Doukhan, Mohamed Saïl, Idir Amazit ou encore Léandre Valéro. Ce dernier appuyera d’ailleurs le renouveau de la CNT-AIT dans l’Yonne à la fin des années 90.

Dès novembre 54, le MLNA apporte sur place un appui moral et matériel aux « rebelles », essentiellement ceux du MNA avec qui ils ont des liens de longue date. Avec l’évolution du conflit, la pression policière française et des fascistes de l’OAS d’une part, et le FLN qui impose son hégémonie à coup d’assassinats politiques d’autre part, les derniers compagnons du MLNA se voient contraints les uns après les autres de se replier en France, où ils continueront cependant la lutte, certains dans la clandestinité.

Depuis, il n’y a plus de mouvement anarchiste organisé en tant que tel, même si les explosions sociales – notamment celle de 2001 – ont parfois des tonalités libertaires. Restent quelques individualités qui témoignent de sympathie anarchiste, même s’il est souvent difficile de les exprimer ouvertement sur place.

Bibliographie pour ceux qui veulent en savoir plus :

« Les porteurs de valise » de Hamon et Rotman, Albin Michel.
« La guerre d’Algérie » de Mohamed Harbi et Benjamin Stora, Robert Laffont.

« Des Français contre la terreur d’Etat » sous la direction de Sidi Mohammed Barkat, Réflex.

« Les égorgeurs » de Benoît Rey, Le Monde Libertaire.

Hélène Bracco, Pour avoir dit non : actes de refus dans la guerre d’Algérie, 1954-1962, Paris-Méditerranée, 2003, 336 p., 22 euros.

Sylvain Boulouque, Les Anarchistes français face aux guerres coloniales, 1945-1962, préface de Benjamin Stora, Atelier de création libertaire, 2003, 124 p., 11,50 euros.

En DVD :

« La guerre d’Algérie » de Yves Courrière, J.-Philippe Monnier.
« Une résistance oubliée : des libertaires contre la guerre d’Algérie », Daniel Goude, Claude Lenormand
« Comme un seul homme : les réfractaires non violents face à la Guerre d’Algérie », film écrit et réalisé par François CHOUQUET plus d’info Sur le Net :

Refractaires non-violents à la guerre d’Algérie


[1] Le Comité Central du Parti communiste français déclare alors, avec cette pertinence et ce sens de l’a-propos qu’on lui connaît : « Il faut châtier impitoyablement les instigateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute. »

[2] Syndiqués pratiquement à 100 % à la CGT, à l’époque étroitement tenue en tutelle par la PCF. Beaucoup de cheminots et de dockers sont directement membres du Parti communistes (dont ils assure le service d’ordre très musclé).

[3] « Section française de l’internationale ouvrière » !!! C ’est tellement cocasse qu’il faut le rappeler à ceux qui l’auraient oublié. Une très petite minorité de militants et de responsables SFIO, tels le maire de Toulouse de l’époque Badiou, aura le courage de s’opposer à cette politique criminelle.

[4] A l’époque, le Parti communiste, non seulement ne cachait pas son allégeance à Staline, mais faisait des démonstrations publiques d’hommage au sanglant dictateur.

[5] Une lutte fratricide éclatera entre le MNA (Mouvement national Algérien – Ex PPA.MJLD) de Messali Hadj, le leader-fondateur du nationalisme algérien et le FLN (sa jeune garde qui a scissionné et opté pour la lutte armée). Cette guerre civile dans la guerre fera des centaines de morts et c’est finalement le FLN qui l’emportera.

[6] La torture est pratiquée sur le sol métropolitain, notamment à Paris au siège de la DST, rue de Saussaire et dans un certain nombre de commissariats parisiens.

[7] Le jour de la manifestation, quand le cortège passe sous les fenêtres de l’immeuble du PCF, place du Colonel Fabien, les volets se ferment.

[8] Leur supérieur direct s’appelle Maurice Papon, préfet, ministre et, antérieurement … collaborateur notoire des nazis (il fut finalement condamné tout à la fin de sa vie pour des déportations massives d’israélites).

[9] DST = Direction de la Surveillance du Territoire, service de police secrète chargé du contre-espionnage ; vient de fusionner avec les Renseignements généraux dans la DCRI, direction centrale du renseignement intérieur.

[10] Se souvenir des « sauvageons » de Chevènement, du « bruit et l’odeur » de Chirac, du « seuil de tolérance » de Mitterand, du « karcher » de Sarkosy.

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