Premier tome d’une série de deux brochures sur la CNT-AIT en Mai 1968, à télécharger ici : https://cnt-ait.info/wp-content/uploads/2025/05/BRO_CNT-MAI-68-Tome-1.pdf
Second tome : Mai 68 à Bordeaux, l’affaire des orphelins du mois de Mai (A venir)
LA CNT-AIT en 1968 :la réapparition des drapeaux rouges et noirs
Beaucoup d’encre a coulé sur Mai 68. L’histoire en a été écrite et surtout réécrite. De nombreux commentateurs l’ont arrangé à leur sauce, mettant en lumière ce qui leur a réussi et « oubliant » d’analyser les échecs de certains choix stratégiques, pourtant massifs, de 68 et surtout de l’après 68 qui, de la « Gauche prolétarienne »[1] et du maoïsme à l’entrée massive des « révolutionnaires » à la CFDT[2] en passant par le confusionnisme genre PSU[3] ont largement contribué à détruire le mouvement social dans les années 70.
Pour ne pas tomber dans le même travers, il nous a paru plus sain de publier essentiellement ce qu’on pourrait appeler du document brut, c’est à dire des articles de l’époque avec juste ce qu’il faut de commentaires pour les remettre dans leur contexte, à quoi nous avons ajouté une courte réflexion en forme de conclusion. Les articles ont été pris dans « Le Combat Syndicaliste » (CS) et ses suppléments. D’autres sources documentaires existent. En particulier le journal « Espoir », qui paraissait à l’époque à Toulouse, a publié à chaud un certain nombre d’analyses de militants de la CNT-AIT Ceux qui voudraient faire un véritable travail d’historien pourraient sûrement y trouver un matériel assez abondant et pertinent. Mais venons-en au but…
1 – COUP DE TONNERRE DANS UN CIEL SEREIN ?
Après les turbulences causées par la guerre d’Algérie, les quelques années qui ont précédé Mai 68 ont été bien calmes en dehors de quelques conflits localisés (comme les grèves de mineurs en 63). Les forces politiques et syndicales étaient relativement stables. Le gaullisme semblait inébranlable. Si le Parti Communiste (PC) avait déjà amorcé sa lente érosion, il contrôlait totalement des forces nombreuses, en particulier la Confédération Générale du Travail (CGT) qui, elle, restait puissante dans les années 60. La CFTC[4], devenue depuis peu, dans sa majorité, CFDT avait un discours modéré. La CNT avait une existence symbolique. La révolution était moins que jamais à l’ordre du jour.
Dans ce contexte, l’analyse de la situation que tire, sous le titre « Vive l’Action Directe » le journal de la CNT-AIT, le Combat Syndicaliste (le CS) du 22 février 68[5] est prémonitoire et tout à fait remarquable. Les conclusions décrivent assez précisément en les anticipant quelques-unes des caractéristiques de mai 68.

« VIVE L’ACTION DIRECTE » (Le Combat Syndicaliste du 22 février 68)
– Nantes, 20 janvier 1968 : « L’installation du nouveau conseil d’administration de la Caisse primaire de sécurité sociale a donné lieu à une manifestation des unions locales des syndicats ouvriers. Des C.R.S. venant prêter main forte aux gardiens de la paix, des projectiles divers étaient lancés sur les forces de police et les premières sommations étaient faites
– Redon, 20 janvier 68 : « Les ouvriers de l’usine Jean GARNIER, fabrique de machines agricoles ont, au nombre d’environ cinq cents, de nouveau débrayé jeudi soir et parcouru la ville. Ils ont encore jeté quelques pierres et boulons contre les fenêtres de l’appartement particulier du sous-préfet et de la gendarmerie. …
– Caen, 24janvier 68 : « Le climat s’est durci à Caen. A proximité de l’hôpital, la police voulut barrer la route aux ouvriers qui arrivaient au coude à coude. Le heurt fut violent avec les manifestants armés de morceaux de bois… Une autre échauffourée avait eu lieu le matin sur la R.N. 13 à l’entrée de Caen, où les gardes mobiles ont dû dégager la route bloquée pendant trente minutes par les ouvriers en grève de la Sonormel
– Angers, 27 janvier 68 : plusieurs centaines de viticulteurs ont manifesté contre les conditions d’application de la TVA à leur profession…. C’est alors que quelques incidents éclatèrent, des manifestants lançant des pétards dans la cour de la préfecture. Ensuite une centaine de manifestants, malgré l’ordre de dispersion, se dirigèrent vers la gare et envahirent les voies. A 18 h 30, deux trains ont ainsi été bloqués
– Caen, 27 janvier 68 : « La manifestation organisée à Caen vendredi après-midi pour appuyer les revendications des ouvriers métallurgistes en grève s’est prolongée dans la soirée par de véritables scènes d’émeutes. 18 blessés, 86 personnes, jeunes pour la plupart, furent appréhendées. Mais dès qu’un cortège se forma, il apparut très rapidement que des manifestants, particulièrement des jeunes, étaient très échauffés. Ces manifestants ne dissimulaient guère leurs intentions : ils tenaient à la main des barres de fer et avaient les poches bourrées de projectiles. Les gardes mobiles apparurent bientôt lançant des grenades lacrymogènes. La nuit tombée, pendant trois heures, de violentes bagarres se multiplièrent au centre de la ville. En même temps, des vitrines, des feux de signalisation, des enseignes étaient brisées, des voitures endommagées. La B.N.R a été lapidée, un camion de pneus a 1 été la proie des flammes. ( .. )
Caen : témoignage d’un « appréhendé » : « On nous parque à quarante-cinq dans une « cabane » de 3 mètres de long sur 2,5 de large jusqu’à 4 ou 5 heures du matin. Nous assistons à des passages à tabac un peu sérieux : coups de crosse dans les reins, sur le crâne et le visage, coups de pied dans le ventre et les parties sexuelles. Un ouvrier portugais a été tabassé trois fois, avec grand renforts de seaux d’eau pour le ranimer.
On pourrait poursuivre cette énumération, on pourrait citer bien d’autres exemples d’actions directes menées ces derniers temps par les travailleurs de tous les secteurs d’activité.
Mais il parait beaucoup plus utile d’analyser les faits et d’en tirer un certain nombre de conclusions :
1 – LA POUSSEE REVOLUTIONNAIRE DES TRAVAILLEURS VA EN S’AMPLIFIANT :
Les événements qui se sont déroulés à Caen l’ont montré : les premiers heurts violents avec les forces de l’ordre, loin d’effrayer les travailleurs, leur permettent de prendre la mesure de leur force et d’accroître leur confiance en la force collective qu’ils représentent. Aussi les, manifestations qui suivent sont-elles non seulement plus violentes encore mais mieux dirigées, plus efficaces. Lorsque les organisations syndicales réformistes organisent des manifestations monstres mais pacifiques, les travailleurs n’en retirent aucune expérience valable, précisément parce que ces manifestations ne sont que des « démonstrations » et qu’elles ne permettent en aucune façon aux travailleurs de mesurer leur puissance d’action directe. Or, ne l’oublions pas, la victoire des revendications ouvrières est conditionnée par les rapports de force existants dans la société capitaliste et il est fondamental que les ouvriers puissent avoir l’occasion de mesurer ces rapports de force pour prendre conscience qu’en définitive ce sont eux qui peuvent être les plus forts.
2 – L’ACTION DIRECTE DEBORDE LES DIRIGEANTS SYNDICAUX REFORMISTES :
Ce sont très souvent les mouvements de dernière heure, lorsque les manifestations sont « officiellement » terminées, lorsque les dirigeants réformistes ont donné l’ordre de se disperser, qui sont les plus violents et qui prennent un caractère nettement révolutionnaire. L’explication est simple : les meetings, défilés, etc. … organisés par les syndicats « officiels » laissent les travailleurs sur leur faim.
3 – L’ACTION DIRECTE EST SOUVENT LE FAIT DES JEUNES MILITANTS
Nous y voyons le signe que le syndicalisme réformiste, de dialogue et de collaboration de classe, s’il peut satisfaire encore les vieux militants traditionalistes ne correspond absolument pas aux aspirations et aux exigences de la « montée » des jeunes. Le rajeunissement de la masse des syndiqués par l’arrivée des jeunes sur le marché du travail à un moment particulièrement difficile (chômage, etc. … ) paraît devoir faire éclater le syndicalisme réformiste et placer les syndicats traditionnels à leur véritable place, en arrière de la poussée révolutionnaire des travailleurs.
4 – LES MILITANTS DE PROVINCE, MOINS SOUMIS AU BUREAUCRATISME, DEVANCANT LES DIRECTIONS REFORMISTES PARISIENNES
C’est un fait que la plupart des mouvements revendicatifs puissants ayant mis en pratique l’action directe des travailleurs contre le capital et le patronat se sont déroulés en province (Rhodiaceta à Lyon, la SAVIEM à Caen, etc.). Il est vrai que la disparité des salaires entre la région parisienne et la province exaspère les travailleurs provinciaux. Mais on peut aussi y voir le fait qu’à Paris les mouvements revendicatifs sont étroitement canalisés par les directions syndicales réformistes et que cette emprise s’estompe dans les villes de province. Paris doit se lancer lui aussi dans l’action directe car c’est à Paris où se trouvent concentrés les pouvoirs publics et les directions patronales, que l’action aura le plus d’éclat et sera le plus efficace.
5 – L’ACTION DIRECTE NE S’OPPOSE PAS SEULEMENT AU PATRONAT MAIS A TOUT CE QUI REPRESENTE LE CAPITAL ET L’ETAT
A Caen, les ouvriers se sont attaqués à la B.N.P, symbole de la puissance de l’argent, de la domination du capital sur les travailleurs. Ils ont aussi frappé la Chambre de Commerce. « Le Monde » du 7 février 1968 écrit : « Voilà les assises mêmes de la société remises en cause ». Et c’est vrai que la satisfaction des revendications ouvrières et l’émancipation des travailleurs ne peuvent, en définitive, être conçues qu’à travers une réorganisation de la société, une refonte des structures sur le principe de l’égalité économique et sociale. ( .. ) »
Quelques semaines plus tard (14 Mars 68), avec une analyse moins poussée, le CS revient sur la question et affirme, sous le titre « LE VOLCAN GRONDE » que la situation est analogue à celle de 1936, ce qui anticipe bien les choses également.

LE VOLCAN GRONDE (Le CS, 14 Mars 68)
Certains camarades nous ont écrit pour nous demander de faire une déclaration publique situant la position de notre Confédération face aux difficultés toujours croissantes du monde du travail. Il nous est facile de répondre que notre position reste toujours la même : que nous sommes plus que jamais les fidèles défenseurs du syndicalisme authentique de nos aînés (Bakounine, Varlin, Pelloutier et tant d’autres) ; que le fédéralisme est pour nous la forme d’organisation sociale la plus parfaite. Et partant de ces affirmations, notre position face aux problèmes angoissants qui étreignent l’humanité, ne se prête à aucune équivoque.
Que ce soit sur le plan national ou international la CNT-AIT se déclare contre toutes les guerres, toutes les dictatures, toutes les spéculations, les privilèges, les hiérarchies ; elle condamne toute forme de racisme, d’esprit religieux et dogmatique, toute croyance aveugle et irraisonnée. ( … )
Il faut être aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas voir que le volcan gronde, le malaise s’étend à toutes les couches laborieuses et à tous les pays, les capitalistes eux-mêmes sentent une sorte d’inquiétude en pensant à ce que sera demain et les journaux financiers parlent de « la fièvre de l’or « . Les quotidiens sont pleins de faits divers qui relèvent plutôt du drame social ( … )
Il ne s’agit pas de regretter les insuffisances de tel ou tel gouvernement, de telle ou telle loi de tel ou tel plan ; ce qu’il faut c’est la cohésion, le regroupement de tous les travailleurs pour dénoncer, certes, les initiatives criminelles de nos exploiteurs, mais surtout pour les contrer, pour les anéantir et créer une ambiance plus respirable, plus fraternelle et plus humaine. Ce sera alors une véritable lutte sociale… Une révolution. Mais écoutons ce que disait DELMAS, un syndicaliste de 1936 : « Ceux qui voudraient aujourd’hui écarter la révolution économique indispensable et inévitable pour ramener le syndicalisme ouvrier à émettre des revendications limitées, ne se rendent pas compte de la situation générale «
Nous sommes dans une situation analogue à celle de 1936, du moins en ce qui concerne le marasme économique ; dans le domaine de la politique, toujours assujetti au capitalisme international, Hitler et Mussolini ont disparu mais il reste encore suffisamment de Francos et de Boumédiennes pour asservir les peuples et ensanglanter l’humanité.
« Quand on a soin de se rendre un compte exact de la grandeur de la tâche considérable à laquelle on doit besogner sans trêve, alors les pas en avant, les victoires transitoires, sont un réconfort pour les besognes plus décisives« . disait Griffuelhes. »
Les événements que les quelques militants de la CNT-AIT pressentent exigent un effort d’organisation. Le 21 mars 68, les jeunes de Paris[6] publient dans le CS un appel aux organisations anarchistes pour qu’elles se donnent les moyens de répondre aux besoins qui ne vont pas tarder à apparaître, en rejoignant la CNT.[7]

« Les faits montrent … qu’anarchisme et syndicalisme révolutionnaire se sont parfaitement complétés pour donner naissance à une arme et à une doctrine spécifiques : l’anarchosyndicalisme.( .. ) … c’est à l’intérieur des masses exploitées, parce qu’il est lui-même un exploité, que l’anarchiste doit mener son combat, qu’il doit agir, éduquer, organiser. C’est avec les masses exploitées que les anarchistes feront la révolution ou bien la révolution anarchiste n’aura pas lieu.
Cette lutte menée à l’intérieur des masses avec les travailleurs, l’anarcho-syndicalisme en est la voie en même temps qu’il peut devenir, comme l’a montré l’expérience de nos camarades espagnols, un puissant moyen d’organisation et d’éducation.
Aujourd’hui, le syndicalisme officiel est en passe de devenir un syndicalisme d’Etat, intégré à l’appareil de coercition bourgeois, un moyen pour les capitalistes de tenir en laisse les travailleurs et de canaliser leurs efforts d’émancipation.
Le syndicalisme réformiste intègre tellement bien aux structures capitalistes qu’il est en passe de devenir l’un des Piliers de la société bourgeoise. Que, lors des grèves sauvages, les bureaucrates du syndicalisme réformiste se heurtent aux travailleurs révolutionnaires, illustre parfaitement le rôle contre-révolutionnaire que s’apprêtent à jouer les syndicats dits « représentatifs.
Mais la méfiance croissante des travailleurs à l’égard des bureaucrates réformiste, défenseurs de la hiérarchie des salaires aujourd’hui et briseurs de grève demain peut-être, montre aussi qu’au sein du mouvement ouvrier une tendance syndicaliste s’affirme.
C’est pour affirmer et développer cette tendance que doivent lutter aujourd’hui les anarchistes parce que c’est le seul moyen pour eux d’agir dans et avec les masses, de propager et de fortifier au contact du réel la doctrine anarchiste.
Mais entreprendre cette tâche, comme certains ont voulu le faire au sein des organisations syndicales réformistes est un leurre. C’est ou bien se faire exclure à brève échéance, ou bien cesser d’être révolutionnaire. En 1906, le syndicalisme officiel était encore en pleine gestation, aujourd’hui il est totalement pourri.
Ce à quoi nous vous invitons c’est à venir construire avec nous, syndicalistes révolutionnaires de la CNT, une véritable centrale syndicale ouvrière et anarcho-syndicaliste. ( … ) »
La CNT-AIT française à l’époque avait une existence essentiellement symbolique et servait surtout de paravent aux activités de la CNT-AIT Espagnole en exil. Ainsi, le meeting qu’elle organisa le 7 avril 1968 à la Mutualité, alors que le mouvement de Mai 68 était encore dans sa phase de gestation, était surtout un meeting des anarchosyndicalistes espagnols. Toutefois Federica MONTSENY fit l’effort d’y prononcer – non sans difficulté – un discours en français. Car si la banderole derrière la tribune proclamait en espagnol « solidarité avec les ouvriers et les étudiants espagnols », les militants anarchosyndicalistes espagnols, et singulièrement Federica Montseny étaient attentifs à ce qui était en train de se passer dans les rues et les universités françaises et entendaient bien y faire entendre la voix anarchosyndicaliste, pour passer le témoin. Ainsi le compte rendu de cette réunion dans le Combat syndicaliste du 18 avril annonce un « Horizon nouveau » : «La jeunesse d’aujourd’hui est inquiète, elle cherche sa voie et nous devons faire en sorte que ce ne soit pas les partis politiques qui inspirent leur combat, Nous devons profiter de d’échec actuel de ceux-ci pour redonner un nouvel essor à notre idéal. C’est en donnant la sensation aux nouvelles générations que nous sommes une force intelligente et coordonnée, que nous pourrons préparer la société libertaire de demain. »

2 – LES ETUDIANTS ENTRENT EN SCENE
Réflexe hérité du passé, dans les articles précédents, l’attention de CNT-AIT est centrée sur « les travailleurs« . Il faut dire que les jeunes possédaient leur propre structure, les Jeunesses Syndicalistes Révolutionnaires – CNT (JSR).

« L’avenir de la société dans laquelle nous vivons dépend, dans une large mesure, des options qui seront celles de la jeunesse face aux problèmes qu’elle a et saura résoudre. Et ces problèmes sont nombreux parce que la société capitaliste est une société de CONCURRENCE forcenée, c’est à dire une société antisociale qui fait appel à l’individualisme égoïste, à l’arrivisme, bien plus qu’à l’entraide et la puissance COLLECTIVE des hommes qui, théoriquement, sont les fondements de toute société.
Le nombre des jeunes augmente régulièrement, le chômage augmente tout aussi régulièrement : c’est là l’une des contradictions fondamentales de la société capitaliste. Le développement de l’automation devrait non seulement amener la réduction des horaires de travail mais aussi l’augmentation de la durée des études et surtout du nombre des étudiants : la libération des contraintes du travail matériel permet d’entrevoir des perspectives pour le développement intellectuel et culturel de tous.
Mais, pour le capitalisme, une seule chose est importante : réaliser des profits. Aussi, du point de vue bourgeois, le problème de la jeunesse est à peu près le suivant : comment insérer dans le cycle économique capitaliste cette masse de jeunes de façon à en retirer le maximum de bénéfices ? L’orientation actuelle de l’enseignement répond en partie à cette préoccupation.
Pourtant, c’est autre chose que les jeunes veulent : ils « bougent », d’une façon ou d’une autre, ils fermentent, ils bouillonnent, ils explosent parfois. Mais, dans leur quête « d’autre chose » souvent aveugle, ils sont en grande majorité les plus vulnérables à toutes les formes de contrainte intellectuelle de « bourrage de crâne », qu’utilise la société de consommation capitaliste (radio, télévision, « modes » diverses, publicité, presse, etc.).
C’est en modelant les jeunes, en les sollicitant de toutes parts, en triturant leur personnalité naissante que le régime capitaliste en fait des adultes aliénés, des travailleurs résignés, des esclaves modernes.
C’est à travers la REVOLTE CONSCIENTE ET ORGANISEE que les jeune pourront réaliser demain le socialisme authentique. »
Les JSR dressent ensuite une analyse du monde étudiant dans laquelle ils se placent volontairement en dehors d’un certain milieu étudiant. Ce qui compte pour eux, c’est avant tout la position de classe. Dès lors, il n’est pas étonnant que – vu la composition majoritairement bourgeoise des étudiants en Mai 68- ils n’aient que mépris pour l’hédonisme et le folklore du milieu gauchiste étudiant. Ils n’y voient que des « fils à papa » qui passent là leur crise d’adolescence[8]. Si ces analyses se sont a posteriori révélées justes en partie (que l’on pense aux positions qu’occupent aujourd’hui les Serge July, Alain Geismar et autres Cohn Bendit … ), leur ton grave et sérieux (pour ne pas dire sentencieux) les a certainement empêché de percevoir ce qu’il y avait de novateur dans le mouvement qui s’annonce.
« ETUDIANTS
Notre but n’est pas ici de tracer une fois de plus le tableau de la rentrée universitaire dans son aspect matériel : bousculades et désorganisation pendant les inscriptions, insuffisance des locaux et, surtout, des enseignants, etc… Tout le monde l’a dit et redit, et l’UNEF[9] ne manque pas une occasion de le répéter : interventions aux Travaux Pratiques et aux cours, colloques, etc. Des tracts sans nombre sont distribués, signés de l’UNEF, mais également de toutes les organisations « de gauche » trouvant audience chez les étudiants, les unes se disant encore révolutionnaires, les autres ne prenant même pas cette peine.[10]
Les chiffres s’ajoutent aux chiffres pour constater la carence du « pouvoir gaulliste » et les revendications tournent surtout autour de deux questions :
– la sélection à l’entrée des facultés,
– l’assiduité aux travaux pratiques.
C’est dans ces deux problèmes que se cristallise la contradiction inhérente à tout « syndicat étudiant » dans le cadre du système actuel.
En effet, QUI sont les étudiants ? Chacun sait que les fils d’ouvriers et d’employés accèdent dans une quantité infime aux études supérieures. D’autre part, le problème étudiant ne se résout pas aux questions spécifiquement estudiantines : l’étudiant est un ADULTE et doit être considéré comme tel : il doit pouvoir, s’il veut rester un être complet, mener une vie sociale normale, fonder une famille, vivre et non pas « subsister » en « ascète » dans le plus complet dénuement moral et matériel, uniquement dans le but d’arriver au bout de ses études transformées alors en véritable sacerdoce et n’ayant plus aucun rapport avec la réalité.
Ceci dit, il apparaît qu’à l’heure actuelle les seuls individus pouvant poursuivre dans des conditions valables leurs études sont les représentants -jeunes, bien sûr, mais représentants tout de même d’une seule classe : la BOURGEOISIE. De toute manière, il est bien évident que dans une société de classes, c’est à dire dans une société où la gestion économique et sociale est monopolisée par une classe donnée et dans laquelle le produit du travail est également monopolisé, la formation permettant d’accéder aux postes de commande ne peut être également qu’une formation DE CLASSE.
Mais, direz-vous, il y a tout de même au sein de l’université ces quelques fils d’ouvriers et d’employés ainsi qu’un certain nombre d’étudiants salariés, et c’est pour eux que nous devons éviter la sélection et le contrôle d’assiduité. Bien sûr, ils existent. Mais, qui sont-ils ? une minorité d’individus qui s’accrochent, qui cherchent, en dernière analyse, à « resquiller« , à monter dans un wagon marqué « réservé« , à grimper dans la pyramide sociale, à passer d’une classe dans l’autre et, bien souvent, à renier leurs origines prolétariennes et à abandonner la lutte de leur propre classe d’origine.
Quelles sont donc les revendications des syndicats étudiants ? Pas de contrôle, pas de sélection. Et alors ? Pensent-ils que ne pas assister aux TP (alors que, par ailleurs, ils en réclament à corps et à cris) puisse constituer un avantage pour un étudiant qui travaille à l’extérieur, alors qu’au contraire il s’agit là du seul contact qu’il puisse avoir avec la « faculté ». Pensent-ils que cette « liberté » qui leur serait accordée pourrait leur être profitable ? Tout étudiant sérieux ne peut y voir que pure démagogie.
Quant à la sélection, elle fait également couler beaucoup d’encre et tous les syndicats s’entendent pour la dénoncer comme une mesure « anti-démocratique » (il s’agirait d’ ailleurs de s’entendre pour définir la démocratie, mais ce n’est pas ici notre propos). Leur argument favori : « Nous ne pouvons pas accepter une sélection qui serait, dans le contexte actuel, une élimination, à la fin du secondaire, des individus défavorisés par leur héritage culturel, donc des représentants des couches sociales défavorisées. »
Tout d’abord, s’il est vrai que la notion « d’héritage culturel » est une réalité, on peut penser qu’elle ne joue plus tellement au niveau du deuxième baccalauréat et qu’elle cède la place à des problèmes beaucoup plus matériels. Dans une large mesure, la sélection sous forme d’examen (intelligemment conçu bien entendu) ne toucherait réellement que les moins doués. Et l’on ne peut s’empêcher de penser qu’elle toucherait précisément un certain nombre d’étudiants fantaisistes, qui font quelques études dans l’attente, pour les filles, d’un mariage « heureux » et, pour les garçons, d’hériter de l’usine de papa ou encore, pour les deux, d’entrer « par piston » dans telle ou telle profession bien rémunérée. Dans ce sens, ni la sélection ni le contrôle dl assiduité n’apparaissent « anti-démocratique ».
Et pourtant, tout ceci n’exclue pas que les problèmes sont là, mais BIEN PLUS GRAVES ET BIEN PLUS PROFONDS que ceux qui agitent tous les syndicats « représentatifs ». Il ne s’agit en effet pas « d’accommoder » l’université bourgeoise, à l’aide de quelques mesures plus ou moins démagogique, pour permettre tant bien que mal à quelques étudiants pauvres d’aller jusqu’au bout de leurs études. Il s’agit de permettre REELLMENT à TOUS, c’est-à-dire à tous ceux qui en ont réellement le désir et les capacités, d’avoir la possibilité de faire des études dans les meilleures conditions possibles. Et c’est là que le problème étudiant rejoint le problème social en général, le problème de la TRANSFORMATION REVOLUTIONNAIRE DE LA SOCIETE BOURGEOISE.
Vouloir « aménager » la faculté bourgeoise actuelle, c’est vouloir « aménager » la société bourgeoise elle-même, « aménager » le Capitalisme : ce n’est pas et ne peut être notre rôle. »
Cette brochure, publiée en Janvier 1968, se termine par déclaration, véritable annonce prémonitoire des évènements de Mai : « … la jeunesse éclatera comme la chaudière d’une machine à vapeur, la jeunesse n’a pas d’issue en France, elle y amasse une avalanche de capacités méconnues, d’ambitions légitimes et inquiètes. Quel sera le bruit qui ébranlera ces masses ? Je ne sais, mais elles se précipiteront dans l’état actuel et 1e bouleverseront. »
Dès que les étudiants commencent à remuer, la CNT-AIT en tant que tel s’en fait l’écho, même si dans le CS du 9 mai, les JSR marquent une certaine distance avec les étudiants de Nanterre, considérés comme des intellectuels utilisant un langage ésotérique dans leur tour d’ivoire coupés des réalités (lire l’article « A propos des étudiants »en annexe). Toutefois les JSR pronostiquent que « lorsque ces mouvements prennent de l’ampleur, lorsqu’ils doivent affronter une répression policière véritable, les nécessités de la lutte, le fait d’affronter des problèmes matériels, l’obligation de se solidariser avec d’autres mouvements en lutte contre le système et de se battre de plus en plus aux côtes des exploités toutes ces circonstances leur font peu à peu prendre conscience des problèmes réels, les chassent de leur tour d’ivoire intellectuelle, les obligent à simplifier leur langage, à analyser plus justement les problèmes sociaux, à rejoindre les revendications des exploités et à s’intégrer progressivement à la lutte de classe générale. »

Les militants de la CNT-AIT participent aux manifestations et notamment la manifestation géante du 13 mai. Plus d’un million de personnes (200 000 selon la préfecture) défilent dans les rues de Paris, selon les organisateurs. Pour la première fois depuis le début du mouvement, étudiants et ouvriers manifestent derrière la même banderole pour demander le départ du général de Gaulle. Arrivée à Denfert Rocherault, alors que le PC, la CGT et l’UNEF appellent à dissoudre le cortège d’autres, dont les militants anarchosyndicalistes, passent en tête de cortège et appellent à poursuivre jusqu’à la prison de la Santé ; comme cela est relaté dans le tract « contestons, contestons toujours » diffusé les jours suivants (cf. le tract en annexe) : « notre cause peut rallier celle des jeunes du 13 mai qui, au Champ-de-Mars, déclaraient qu’il fallait continuer la contestation de la société d’exploitation de l’homme par l’homme jusqu’à l’abolition du capitalisme.
Bien sûr, sur ce terrain nous ne serons pas suivis par ceux qui ont ordonné Denfert-Rochereau la dislocation et empêché les manifestants d’emprunter le boulevard Raspail pour nous suivre au Champs de Mars ; mais nous pouvons et nous devons nous passer d’eux. »

La participation de la CNT-AIT à cette manifestation ne passe pas inaperçue. Son cortège est même filmé et intégré dans le film « Mr. Freedom » de William Klein, tourné pendant les évènements et qui propose donc les seules images en 35 mm et en couleurs des manifs de mai.





Les militants présents à la manifestation transmettent en direct les informations sur le déroulement des évènements à l’équipe qui dans le même temps est en train de boucler le numéro du journal. Dès lors la CNT-AIT affirme son engagement plein et solidaire avec les étudiants et appelle tous les travailleurs à les rejoindre dans la lutte :
« HARDIS LES GARS!…
Au moment de mettre sous presse, une très importante manifestation marche de la place Denfert-Rochereau vers « La Santé », où sont gardés derrière les barreaux de nombreux étudiants jugés dangereux par le gouvernement.
Pendant plus d’une heure, l’avenue Arago, occupée sur toute sa longueur par des dizaines de milliers d’étudiants est devenue un concert populaire et sympathique où l’on entendait crier en choeur « Libérez nos camarades! »,
« CRS = SS !», « De Gaulle à l’hospice ! », « A bas l’Etat policier! »
La CNT a déjà fait connaitre par tract sa sympathie et sa solidarité pour les étudiants, qui cherchent à mettre en évidence la sclérose .sociale actuelle.
Nous continuerons de leur accorder notre appui et demandons à tous les travailleurs de se joindre à cette action de contestation d’une société bourgeoise. »
Dans le CS du 16 Mai, le premier paru depuis la nuit des barricades du 10 mai et la manifestation du 13, les anarchosyndicalistes s’adressent aux étudiants révolutionnaires :

« AIT – Confédération Nationale du Travail AUX ETUDIANTS REVOLUTIONNAIRES
Nous saluons votre lutte contre la sclérose et la routine bourgeoise des universités.
Nous comprenons voire angoisse en ce qui concerne votre avenir et partageons votre colère contre une société incapable de satisfaire les besoins le plus légitimes des êtres humains, alors que nous avons atteint l’ère de l’abondance.
Ce mécontentement profond et pleinement justifié que vous manifeste, avec tant de courage malgré la répression policière, n’a peut-être pas encore trouvé l’écho qu’il méritait parmi les travailleurs et pourtant …
Qu’il s’agisse des travailleurs de la terre, des mineurs, des métallos et des gens de mer, il y a chez tous un sentiment d’opposition à toutes le contradictions et les insuffisances du régime d’exploitation et de profit qui nous régit, mais il manque la préoccupation indispensable d’une action coordonnée, d’une lutte commun » …
Face à la répression de l’Etat, à la démagogie des partis politiques et à carence des organismes officiels pour résoudre les problèmes angoissants qui se posent à la jeunesse, tous les travailleurs doivent s’associer à l’action des jeunesses estudiantines.
Assez de réformes, nous voulons une véritable révolution sociale. »
Dans le N° suivant, (23 mai 68), le CS, qui porte en manchette « Vive la Grève Générale », titre « l’avenir est aux jeunes » rapporte les violences policières, publie un tract du Mouvement du 22 mars et analyse le chômage engendré par la technologie[11]

Pour essayer de se saisir de l’opportunité qu’offre ce mouvement, les anarchistes redoutent d’effort pour étendre leur propagande. Un grand meeting est organisé le 17 mai conjointement par la Fédération anarchiste française et la IIème région (la région parisienne) de la CNT-AIT.

Les orateurs sont Maurice Laisant, Aristide Lapeyre et Maurice Joyeux pour la FA, José Muñoz Congost et Federica Montseny pour la CNT-AIT mais qui sont en fait des exilés espagnols … C’est José Muñoz Congost, 50 ans à l’époque, qui est chargé d’évoquer les libertaires et la révolte des jeunes. IL est vrai que c’est le plus des orateurs, les autres ayant entre 58 et 69 ans … Il y a un réel fossé générationnel. Néanmoins on sent un certain espoir poindre chez ces vétérans de la lutte. Ainsi dans l’article « Grève Générale » du 20 juin, Blanquet écrit : « La encore les étudiants ont donné le ton et les ouvriers ont suivi, je veux dire qu’ils ont entrepris leur mouvement de grèves et d’occupation d’usines sans attendre les dictats de leurs centrales, lesquelles furent forcés de suivre.
Si nous ajoutons à ce qui précède la présence, dans les manifestations, et surtout dans le formidable défilé du 13 mai, du drapeau noir à côté du drapeau rouge, nous sommes en droit de penser que nous ne sommes plus au temps de la bande à Bonnot.
C’est, en effet, avec stupéfaction mais aussi avec un intérêt certain que l’ensemble du pays a appris présence d’anarchistes dans les manifestations récentes.- Une certaine curiosité se manifeste peu à peu partout et les gens se demandent déjà « Qui sont ils ? que veulent-ils ? »
Même les méprisantes allusions à leur endroit que l’on a pu entendre de la bouche de certains des princes qui nous gouvernent, Pompidou entre autres, n’ont fait qu’attirer cette curiosité.
Tout cela ne peut être que bénéfique pour nous, anarcho-syndicalistes, surtout si l’on considère que les jeunes ouvriers, à l’encontre de leurs ainés, commencent à se demander si la société actuelle, hiérarchisée et dominée par l’Etat omnipotent, n’est pas l’abomination de la désolation.
Et qu’ils commencent à se demander, aussi, si l’Etat social qui existe dans les pays communistes est bien le Paradis dont on leur a tant parlé. »
Aussi les vieux militants se sentent revigorés par ce mouvement et n’hésitent pas à se lancer dans la mlée étudiante, tel Joseph Vincent[12] : 50 ans à l’époque, cet ouvrier du bâtiment est un vétéran des luttes antifascistes et sociales d’avant-guerre. Il a connu les grèves de juin 36, la Révolution espagnole, l’occupation.

à Toulouse dans les années 1950 https://cnt-ait.info/2001/05/01/joseph-vincent/
Aussi quand il intervient dans les amphis étudiants pour prononcer les mots d’autogestion, de révolution, d’anarchosyndicalisme et de son expérience militante, qui tranche avec les discours uniquement théoriques des jeunes leaders essentiellement marxistes, ses interventions ne laissent pas indifférents. Certains jeunes étudiants – dont Felix Navarro, franchiront en sens inverse le pas de la distance générationnelle et s’intéresseront à la CNT-AIT. Ils seront à l’origine de la relance de l’organisation dans la ville rose.
3 – QUE FAIRE ?
Rapidement, le mouvement des étudiants faisait tâche d’huile. Il y eut bientôt 9 ou 10 millions de salariés grévistes, des usines occupées, des manifestations partout. Dans ce brassage hétéroclite, on parlait d’autogestion, de révolution, de libération personnelle[13] et collective. Le général De Gaulle s’enfuyait de l’Elysée pour aller s’assurer du soutien des troupes stationnées en Allemagne[14]. Un instant, l’Etat vacilla. Mais les syndicats représentatifs (CGT, CFDT, FO) calmaient le jeu grâce à l’ouverture du dialogue social, des négociations. La CNT-AIT dénonçait ces positions en publiant dans le CS daté du 6 juin le tract suivant, diffusé en région parisienne.

« CNT-AIT : DU DIALOGUE A L’AUTOGESTION
Ni les puissantes manifestations des étudiants, ni les millions de travailleurs en grève, ni les impératifs qui ont provoqué la psychose révolutionnaire actuelle, rien n’a éclairé les dirigeants des centrales « représentatives » sur les véritables aspirations du peuple.
Ils continuent à dialoguer sur des augmentations de salaire variant selon les entreprises et dans le respect de la sacro-sainte hiérarchie. Quant à la diminution de la durée du travail, tout ce qu’ils ont « arraché » reste nettement insuffisant.
Comment peut-on admettre un dialogue en dehors de la garantie absolue de l’emploi, par la réduction permanente du temps de travail en fonction du progrès technique qui doit permettre l’élévation du pouvoir d’achat, à commencer par les classes les plus défavorisées.
C’est donc en dehors de ces « élus » syndicaux (ils ne peuvent parler qu’au nom de 14 % de la population active) que les travailleurs doivent continuer avec les étudiants, le combat contre les structures sclérosées de la société capitaliste.
… Sud-Aviation de Nantes … donne l’exemple à suivre en préconisant la reprise du travail sur la base de la gestion ouvrière.
La Confédération Nationale du Travail salue cette heureuse initiative qui porte à la pratique ce que certains ont refusé comme étant des ‘formules creuses »[15]…

Dans le numéro daté du 20 juin, la C.N.T. répond « Non aux urnes » aux élections législatives anticipées, et lance un nouvel appel « Organisons l’autogestion » tandis qu’un article analyse la grève générale :
» … tout d’abord, dans le soulèvement des étudiants nous voyons une application particulièrement spectaculaire de l’action directe. … L’action directe a révélé au pays tout entier, depuis longtemps blasé sur les habituels procédés de discussions ou de négociations … que d’autres formes d’action existent et peuvent être employés. Les étudiants-enseignants ont donné là une leçon aux ouvriers, prisonniers de leurs organisations réformistes …
En second lieu il a été parlé, ici et là, de participation à la gestion des entreprises… Cette participation à la gestion ou co-gestion, si elle se faisait, serait un premier pas vers le véritable objectif qui devrait être celui des syndicats de toute obédience, je veux parier de la gestion ouvrière. Celle-ci dont l’initiative est purement et entièrement d’origine libertaire, a déjà été discutée à deux reprises en France, en 1936 et dans les premiers mouvements de grèves qui ont eu lieu immédiatement après la libération [en 1947]. …
En troisième lieu, enfin, l’idée de l’organisation par la base . «
4 – L’HEURE DES BILANS
Le mouvement donnait dès juin des signes d’épuisement. Dans le numéro du 27 juin, la CNT-AIT critique le comportement de fossoyeurs de la révolution joué par le Parti Communiste.

« LES GAUCHISTES »
Ce mot ne veut rien dire, il n’a pas de signification, pas plus que n’ont de sens les mots : gauche, droite ou centre. Or le PC et la C.G.T l’ont utilisé comme une sorte d’épouvantail à moineaux, de loup-garou pour les adhérents peu évolués. Ils ont pensé, après d’autres, que plus un mot est incompréhensible plus il fera de l’effet dans les esprits demeurés. L’ennui c’est que les esprits demeurés sont en diminution ces temps-ci et c’est ce qui explique la mauvaise humeur du P C. au lendemain du premier tour des élections législatives. ( … )
… pendant tous les évènements de mai-juin, le PC et son appendice la C. G. T n’ont fait que freiner quand ils ne l’ont pas combattue, toute action populaire qui n’était pas sous leur patronage. De plus, ils n’ont cessé d’attaquer les diverses formations qui prenaient une position en pointe ; leurs amis de la C.FD.T et du PS.U. en savent quelque chose. Il suffisait de parler d’autogestion pour être qualifié de provocateur et ceux qui défilaient derrière le drapeau noir de l’anarchie n’étaient que des aventuriers qui tournaient le dos à la démocratie et au socialisme ( … )
Ceux qui assistaient à la manifestation du 13 mai à Paris[16] doivent bien rire de ces élucubrations : surtout quand on sait que les drapeaux noirs et rouge-et-noirs, la banderole CNT-AIT en tête, étaient devant la CGT malgré le service d’ordre de cette dernière, qui avait voulu imposer ses directives. Nous aurions même pu reprendre les paroles de Cohn-Bendit, qui disait le soir du 13 mai à la Mutualité : « j’étais en tête d’une manifestation dans laquelle les canailles staliniennes étaient à la queue ( … ) «

Les élections et les vacances[17] sonnèrent le glas du mouvement. A la rentrée, les « masses » étaient au travail ou à l’école. Le CS du 12 septembre titre « Septembre ! Très belle rentrée pour les veaux », faisant écho à la fameuse phrase de De Gaulle « les français sont des veaux ».
Cependant, même si seule une minorité poursuivait son action, les idées de Mai allaient entraîner de véritables bouleversements dans la vie quotidienne.
Pendant plusieurs mois, toute la presse publia des commentaires, des analyses, des leçons de Mai 68. Parmi celles publiées à chaud, on peut lire dans le numéro du 22 août, un bilan sous le titre « l’étape 68 ».

» L’ETAPE 68 «
La révolution ne peut être basée sur l’utopie et le rêve, mais au contraire sur des réalités lesquelles nécessitent la constitution de programmes et de forces suffisamment imprégnées parmi la population pour garantir le succès. En 1936, Durruti en Espagne, déclarait : » je n’attends aucune aide d’un gouvernement du monde « . Il ne pouvait en être autrement, comment une révolution libertaire pourrait-elle obtenir l’aide d’un Etat quelconque, dors que c’est l’anéantissement de l’Etat que nous recherchons par la révolution ?
… La trahison des syndicats inféodés au pouvoir a permis de saboter la révolution de mai 1968. Il nous faut donc affranchir la classe des travailleurs et leur démontrer à quel point ils ont été bernés par ceux-là même qui se prétendaient leurs défenseurs.
Notre action pré-révolutionnaire consiste, présentement, à lessiver les cerveaux, à donner sa véritable expression au mot humanité ; la préparation de l’action révolutionnaire consiste à forger le fer qui nous permettra, demain, quand nous aurons la force, quand nos programmes de société future reposeront sur des bases certaines et seront compris d’un grand nombre de travailleurs, à vaincre, avec certitude, tous les malfaiteurs de la classe prolétarienne.
Notre tâche de propagandistes est immense, il appartient à tous nos camarades d’y participer, notre espoir ne repose que sur l’effort permanent et journalier qui seul peut nous permettre de trouver audience auprès des travailleurs inconscients, voués à l’esclavage et à la soumission. Si nous entendons que la société de demain connaisse enfin la justice et la liberté, nous devons participer, aujourd’hui même, à la plus grande diffusion de la vérité, au mépris du capitalisme, de I’Etat et de ses suppôts pseudo syndicalistes qui dirigent les forces ouvrières sur les voies de garage.
Il nous faut créer, de plus en plus, des groupes de sympathisants, faire évoluer ceux-ci de groupes sympathisants en groupes de militants. Le militantisme est le nerf de la révolution réelle et complète de demain ; l’affranchissement du peuple ne peut venir que par l’affranchissement des travailleurs. Ne pas participer à cette tâche, aujourd’hui même, après a leçon de mai 1968, est renoncer à la révolution libératrice de demain ( .. )
A la brioche des laquais, nous préférons le pain du travail. A l’injustice des grands et des soumis de ce monde, nous opposons nous, travailleurs anarcho-syndicalistes, notre esprit révolutionnaire pour un monde nouveau dont les bases de justice libéreront les travailleurs de l’esclavage déguisé que nous subissons. »
CONCLUSION
Trente ans après[18], on peut constater la lucidité et l’actualité de ces textes. Les faits ont d’ailleurs prouvés que les conclusions avancées par les anarcho-syndicalistes de l’époque étaient largement exactes. On ne s’étonnera donc pas que Mai 68 ait amené à l’anarcho-syndicalisme, représenté par la CNT-AIT, une nouvelle génération de militants. Pourtant, globalement, la parole des militants de la CNT trouva un faible écho tant dans la société en général que dans le mouvement libertaire. Ce dernier faisant preuve d’une déficience d’analyse, participait majoritairement à la CFDT[19] croyant y faire la Révolution ! Erreur stratégique fatale au mouvement s’il en fut !
Aujourd’hui, les libertaires, les révolutionnaires, ou tout simplement toute personne consciente des impasses sociales dans lesquelles le système nous accule ne devrait-elle pas se poser une question identique, à savoir celle de la cohérence profonde entre ses pensées et son action ?

ANNEXE : Chronologie de Mai 1968
12-18 janvier 1968 | Troubles universitaires en Espagne |
15 janvier 1968 | Premiers affrontements entre étudiants et police à la faculté de lettres de Nanterre |
22 février 1968 | Le patronat et les syndicats signent un accord sur le chômage partiel |
23 février 1968 | Violentes manifestations étudiantes en Italie |
17 mars 1968 | Grève générale des étudiants à Varsovie (Pologne) Violentes manifestations étudiantes à Rome (Italie) |
22 mars 1968 | Incident à la faculté des Lettres de Nanterre, les cours sont suspendus et ne reprendront que le 1er avril Création du « Mouvement du 22 mars » |
29 mars 1968 | Deux cents étudiants occupent un amphithéâtre à la Sorbonne |
1 avril 1968 | Manifestations étudiantes à Rio de Janeiro (Brésil) |
2 avril 1968 | Incidents à la Faculté de Lettres de Nanterre |
11 avril 1968 | En Allemagne de l’Ouest de violents affrontements opposent étudiants et policiers, à la suite d’un attentat ayant visé Rudi Dutscke, leader des étudiants berlinois |
2 mai 1968 | Début du voyage du premier ministre Georges Pompidou en Iran et en Afghanistan, le ministre de l’Intérieur Louis Joxe assume l’intérim Incidents à la Faculté de Nanterre, où le doyen Grappin suspend les cours |
3 mai 1968 | La police fait évacuer la Sorbonne Violents incidents à Paris |
4 mai 1968 | Fermeture de la Sorbonne |
5 mai 1968 | 13 manifestants interpellés le 3 mai sont condamnés en flagrant délit |
6 mai 1968 | Nouveaux incidents au Quartier Latin à Paris |
7 mai 1968 | Défilé dans Paris qui parvient jusqu’à l’Etoile Nuit d’émeute au Quartier Latin |
8 mai 1968 | Débat à l’Assemblée nationale, Alain Peyrefitte annonce la réouverture des facultés |
9 mai 1968 | Réouverture de la faculté de Nanterre |
10 mai 1968 | Nuit « des barricades » à Paris. 60 barricades sont élevées au Quartier Latin |
11 mai 1968 | Retour à Paris de Georges Pompidou qui prononce un discours télévisé le soir |
13 mai 1968 | Manifestations étudiantes à Paris et en province. La Sorbonne réouverte est occupée par les étudiants. Déclenchement de la grève générale avec occupation des locaux |
14 mai 1968 | Le général de Gaulle part pour la Roumanie Occupation de l’usine Sud-Aviation à Nantes |
15 mai 1968 | L’Odéon est occupé par les étudiants L’usine Renault à Cléon est occupée |
16-17 mai 1968 | La grève avec occupation d’usines s’étend. Les services publics sont touchés. Les ouvriers refusent toute collusion avec les étudiants. La CGT dénonce « l’incroyable prétention des étudiants de discuter de la conduite des luttes ouvrières » et fait savoir qu’il n’accepte « aucune ingérence extérieure dans le mouvement ouvrier » |
18 mai 1968 | Retour en France du général de Gaulle |
20 mai 1968 | La France entière est paralysée par la grève Plus de 10 millions de travailleurs sont en grève |
22 mai 1968 | La motion de censure est repoussée Les syndicats se déclarent prêts à négocier |
24 mai 1968 | Allocution du général de Gaulle au cours de laquelle il annonce un référendum sur la participation pour assurer « la rénovation » de la France. Il précise : « Si la réponse est non, je n’assumerais pas plus longtemps mes fonctions » Emeutes à Paris et en province |
25 mai 1968 | Grève à l’ORTF (la télé qui n’avait alors qu’une seule chaîne) Ouverture des négociations entre le gouvernement, les syndicats ouvriers et le CNPF [le MEDEF de l’époque] au ministère des Affaires sociales rue de Grenelle |
27 mai 1968 | Signature d’un protocole d’accord à Grenelle. Les ouvriers des usines Renault puis des principales entreprises refusent cet accord Manifestation au stade Charléty organisée par le PSU et l’UNEF en présence de Pierre Mendès-France. La CFDT s’associe à la manifestation. |
28 mai 1968 | Démission d’Alain Peyrefitte Mitterrand annonce sa candidature à la présidence de la République en cas de vacance du pouvoir |
29 mai 1968 | Le Conseil des ministres est ajourné Le général de Gaulle quitte Paris pour Colombey et disparaît pendant quelques heures créant un choc dans l’opinion. Il se rend à Baden-Baden en Allemagne où il a un entretien avec le général Massu avant de rentrer à Colombey Pierre Mendès-France se déclare prêt à assumer « les responsabilités qui pourraient lui être confiées par toute la gauche réunie » Importantes manifestations syndicales dans toutes les grandes villes de France. |
30 mai 1968 | Déclaration radiodiffusée du général de Gaulle dans lequel il annonce la dissolution de l’Assemblée nationale, le maintien du Premier ministre, le remaniement du gouvernement, l’ajournement du référendum prévu le 16 juin et l’organisation d’élections législatives Manifestation de soutien au général de Gaulle sur les Champs-Elysées qui rassemble près d’un million de personnes |
31 mai 1968 | Importantes manifestations de soutien au général de Gaulle dans toutes les grandes villes de France Remaniement du gouvernement. Les gaullistes de gauche y font une entrée en force en détenant quatre portefeuilles Signature par Georges Pompidou de deux décrets l’un portant le SMIG à trois francs de l’heure à partir du 1er juin, l’autre rétablissant le contrôle des changes |
3 au 6 juin 1968 | Reprise du travail dans certaines usines et dans les services publics Le 3 juin, Georges Pompidou constate : « La tendance à la reprise du travail se manifeste un peu partout » Il ajoute : « L’important c’est dans l’immédiat de sauver la République et les libertés » |
7 juin 1968 | Violents incidents aux usines Renault de Flins Entretien radiotélévisé du général de Gaulle avec Michel Droit au cours duquel il donne son interprétation de la crise de mai revenant sur « la mutation de la société » et proposant « la participation » Pierre Viansson-Ponté, dans Le Monde du lendemain, écrit que le général de Gaulle a convoqué « toutes les ressources de son talent, qui est immense, pour convaincre, reconquérir, rassurer les Français » |
11 juin 1968 | Dernière grande journée d’émeutes étudiantes à Paris Violents incidents aux usines Peugeot de Montbéliard |
12 juin 1968 | Fin de la grève à l’ORTF |
16 juin 1968 | Evacuation de la Sorbonne |
18 juin 1968 | Reprise du travail dans la métallurgie et l’automobile |
23-30 juin 1968 | Elections législatives. Ecrasante victoire de la majorité présidentielle qui totalise 358 députés sur 485 |
ANNEXE : QUELQUES ANALYSES A CHAUD
A propos des étudiants
Paru dans le Combat Syndicaliste du 9 mai 1968
Depuis quelques semaines les « mouvements » étudiants défraient la chronique. La fréquence et la simultanéité des manifestations estudiantines diverses, dans de nombreux pays ont fourni beaucoup de matière à rédaction aux commentateurs bourgeois, qui ont vu dans ces divers actes de révolte une menace grave pour l’ordre établi. Certains ont même cru voir là, les signes avant-coureurs de la formation d’une Internationale révolutionnaire. Face à ces commentaires qui, tout à la fois trainent plus bas que terre les étudiants révoltés, et amplifient exagérément l’importance de leur mouvement, il importe de rétablir la vérité à sa mesure exacte, d’essayer de voir, d’un point de vue révolutionnaire, quels sont les motifs, les méthodes, la valeur et les limites de la révolte estudiantine, et dans quelle mesure elle peut s’inscrire dans le processus de lutte de classe et de décomposition de la société bourgeoise.
La première chose qui frappe, lorsqu’on examine les revendications de ces étudiants, c’est le caractère théorique de la plupart de leurs mots d’ordre et leur façon « savante » et compliquée de contester la société actuelle. Alors que les mouvements ouvriers, quand ils existent, partent de revendications matérielles simples, correspondant à des besoins ressentis par la plupart des exploités, pour aboutir à une contestation radicale de la société actuelle suivant des méthodes aisément assimilables par chacun, les mouvements d’étudiants eux, partent de revendications intellectuelles dont l’importance n’est pas primordiale, même pour eux, et débouchent sur une contestation abstraite et partielle de la société. De plus, ils semblent souvent mettre un point d’honneur â utiliser un langage et des mots d’ordre ésotériques et ambigus, et à donner une importance démesurée a des revendications secondaires, masquant ainsi .les problèmes fondamentaux et communs à tous. II ne faut donc pas s’étonner que ces mouvements d’étudiants soient considérés, au départ, avec méfiance par les ouvriers, qui en comprennent difficilement les objectifs, et qui n’y retrouvent que de façon lointaine et déformée leur propre conception de la lutte.
Cependant, il faut constater que lorsque ces mouvements prennent de l’ampleur, lorsqu’ils doivent affronter une répression policière véritable, les nécessités de la lutte, le fait d’affronter des problèmes matériels, l’obligation de se solidariser avec d’autres mouvements en lutte contre le système et de se battre de plus en plus aux côtes des exploités toutes ces circonstances leur font peu à peu prendre conscience des problèmes réels, les chassent de leur tour d’ivoire intellectuelle, les obligent à simplifier leur langage, à analyser plus justement les problèmes sociaux, à rejoindre les revendications des exploités et à s’intégrer progressivement à la lutte de classe générale.
Ainsi, les événements actuels nous montrent trois étapes du mouvement estudiantin :
En France, la « révolte » des étudiants de Nanterre et de leurs adeptes, qui groupe quelques centaines de membres, ne constitue actuellement aucune menace pour la bourgeoisie française, et n’apporte qu’une gêne très limitée à l’Université traditionnelle. Ses mots d’ordre « Université critique », « liberté sexuelle », « la culture est l’inversion de la vie », sont ambigus, secondaires et partiels, ils ne contiennent qu’en pointillé la contestation des structures bourgeoises de l’Université, leur outrance marque une absence de perspective de lutte efficace et une méconnaissance des problèmes ouvriers.
Les étudiants de Nanterre, qui se rallient avec enthousiasme aux théories les plus ésotériques se heurtent à l’incompréhension des masses ouvrières, dont ils ne semblent pas chercher sincèrement le soutien et, si leur mouvement n’évolue pas, il risque d’être rapidement « récupéré » par la bourgeoisie sous forme d’un quelconque snobisme artistico-littéraire.
En Allemagne, on trouve encore beaucoup des caractères du mouvement français, mais sous une forme nettement atténuée, et une prise de conscience des problèmes généraux et des méthodes de lutte révolutionnaire, authentique semble nettement amorcée. Le mouvement est beaucoup plus vaste, il pose des problèmes sérieux à la bourgeoisie allemande, se heurte à une répression conséquente. Ce mouvement s’attaque non seulement aux problèmes de l’Université, mais â des problèmes généraux tels que la renaissance du nazisme, l’emprise de la presse bourgeoise, la solidarité révolutionnaire internationale, certains problèmes syndicaux ; ses mots d’ordre, une partie de ses analyses et ses formes de lutte sont souvent explicites, et il pratique avec divers mouvements révolutionnaires la solidarité et le soutien mutuel dans la lutte. Le mouvement allemand, donc, malgré certaines caractères « folkloriques » semble se rapprocher relativement des luttes ouvrières et montrer parfois l’exemple d’une « action directe » encore que timide.
Enfin dans des pays tels que l’Espagne, les luttes estudiantines en butte à la même répression féroce, semblent presque intégrées aux luttes ouvrières; étudiants et ouvriers combattent au coude-à-coude suivant les mêmes méthodes et sur les mêmes mots d’ordre, et semblent an même stade de la prise de conscience.
En conclusion, que dire des mouvements d’étudiants ? Il semble que dans les pays où les luttes ouvrières sont affaiblies, les étudiants, issus de la bourgeoisie, restent des bourgeois parce qu’ils n’ont pas à choisir entre la fausse contestation intellectuelle et un mouvement authentique qui n’existe pas; mais si un mouvement de lutte syndicale réelle se développe, il faudra bien qu’ils choisissent entre garder le fard d’intellectualisme qui préserve leurs privilèges (et les fait donc rester du même côté de la barrière que la bourgeoisie) ou rejoindre notre lutte, franchir la barrière, et rejeter leur fierté absurde.
Que les étudiants de Nanterre y réfléchissent.
Jeunesses Syndicalistes Révolutionnaires CNT
ANGERS : Mise au point
Cet article, paru dans le CS de juin 1968 illustre bien à la fois le fossé générationnel entre la vieille garde anarchosyndicaliste et les jeunes entrés dans le mouvement à la faveur des évènements de Mai, la difficulté de communiquer, mais aussi les impasses stratégiques suivies par nombre de ces jeunes.
L’usine Rapidex à Angers, comme beaucoup d’autres a été occupée pendant trois semaines sous la protection du drapeau noir. Les piquets de grève ont été plusieurs fois menacés par le concierge, un nommé Flamant, armé d’un revolver, qui voulait tirer sur les copains. Ce triste individu a un salaire de 200.000 balles par mois et c’est pour ça qu’il s’est montré sous son vrai visage d’agent provocateur du patron et de la police. De toute façon il a perdu la partie et il faudra bien qu’il quitte les lieux.
D’autre part, deux jeunes militants se disant anarchistes, sont venus me voir, en me faisant des offres d’adhérer à FO.
1° je ne connais pas ces deux jeunes
2° je tiens à faire savoir que je me refuse de servir de valet à FO.
Le syndicat peut être valable. Il y a la CNT, et le rôle des anarchistes est de faire bloc dans la CNT.
A titre d’anarchiste, membre de l’AOA, je refuse toute compromission avec les syndicats officiels quels qu’ils soient. Et comme mon rôle est de lutter avec la CNT, je serai partout avec ceux qui luttent pour la révolution sociale et contre toute ingérence politique d’où qu’elle vienne. Toujours à la pointe du combat dans la grève, je mettrais tout en oeuvre pour transformer celle-ci en grève expropriatrice et gestionnaire.
Contre le pouvoir de droite et de gauche. Contre toutes les dictatures. Pour la suppression du patronat et du salariat. Pour la suppression de l’Etat et des hiérarchies, par la grève insurrectionnelle. Aux vents les urnes et vive la sociale.
René Alexandre. 13, Cité des Capucins. Angers.
P. S. Je fais appel tous les étudiants révolutionnaires de la région pour établir des contacts.
Activité de la Section SIA de Brest en 1968
SIA (Solidarité Internationale Antifasciste) était une organisation créé en 1937 par la CNt-AT espagnole pour venir en aide aux réfugiés espagnols de la Guerre civile. Même si ses actions étaient essentiellement humanitaires, certains groupes locaux comme celui de Brest s’impliquèrent dans les évènements de Mai 68, notamment pour défendre le point de vue anarchiste
… Evénements de mai-juin.
Le 13 mai, parution dans la presse locale d’un communiqué de la SIA se solidarisant avec les étudiants ; quelques jours plus tard communiqué dans le même sens pour les travailleurs en lutte ; 1er juin, dans un quotidien, communiqué sur le drapeau noir indiquant qu’il fut l’emblème des martyrs de Chicago, des fondateurs de la CGT, et du plus prestigieux militant syndicaliste que Brest ait connu. Communiqué dans la presse locale protestant contre l’arbitraire de de Gaulle interdisant divers groupements. Adhésion au Comité local de lutte contre la répression. …
Activités CNT en Loire-Atlantique
Le Combat Syndicaliste, 20 Juin 1968
Pendant la révolution sociale de mai 1968, les camarades de Loire-Atlantique furent les premiers en grève générale.
Le 13 mai dans la presse ils invitaient ouvriers et étudiants à se tenir au coude à coude ; le journal l’Eclair passait intégralement notre communiqué syndicaliste révolutionnaire.
Le 1er juin 68 un second communiqué invitait les syndicalistes de la base, les enseignants, les étudiants, à reprendre conscience du véritable syndicalisme, qui réside dans le syndicalisme révolutionnaire qui s’est opposé au syndicalisme réformiste, au pouvoir et s’y oppose encore.
Le 4 juin 68 la presse de Loire-Atlantique passait dans sa rubrique «Vie sociale» un assez long passage d’une déclaration de la CNT : « Les comités de vigilance des syndiqués de la Confédération Nationale du Travail, et ses affinitaires de Nantes et Saint-Nazaire, s’élèvent contre l’interprétation mensongère que les serviteurs du pouvoir donnent à la pensée des travailleurs syndicalistes révolutionnaires. Ils affirment que loin de toutes les politiques, les religions, ils demeurent des syndicalistes à part entière ; héritiers du premier mouvement ouvrier international : en 1936 en France, ensuite en Espagne; en Europe pendant l’occupation des nazis, ils furent toujours à la pointe du combat[20] pour les libertés humaines, pour la justice sociale.
Par un communiqué paru dans 1’ « Eclair » du 13 mai 1968, ils avaient indiqué qu’ils étaient et resteraient auprès des travailleurs de la base des centrales réformistes, des enseignants, des étudiants de Bretagne, de France, qu’ils repoussaient les états-majors des centrales syndicales réformistes et tous les politiciens de gauche et de droite.
C’est pourquoi le conseil CNT de Loire-Atlantique avait mis sur pied dans le Café Flesselle une permanence le 2 juin pour renseigner les travailleurs manuels et intellectuels sur l’action du syndicalisme révolutionnaire et préparer la rencontre des syndicalistes bretons de la CNT qui se tiendra à Lorient en septembre 1968.
Ces communiqués devaient nous permettre au cours des meetings de prendre contact avec divers groupes d’étudiants et ouvriers afin de leur parler de la CNT.
Egalement Biget, qui occupait les locaux de la Sécurité Sociale à Nantes avec les camarades de base des autres formations syndicales distribuait des copies du COMBAT SYNDICALISTE ; il indiquait par le dialogue intersyndical combien le mot démocratie devait se prononcer « merdocratie », que les termes participation et cogestion étaient vides face à l’action directe des travailleurs.
La CNT en Loire Atlantique a fait son devoir social, rien que son devoir ; elle regrette l’écho de la révolution sociale de mai 1968, forte de son passé, ardente dans le présent, avec tous les copains elle attend le jour de la véritable victoire ; oui, l’avenir est aux travailleurs de la base.
PARALLELE ENTRE DEUX REVOLUTIONS
Espoir, numéro spécial, 16 juin 1968
Les événements qui ont eu pour théâtre la France pendant le mois de mai, ont pris de telles proportions que nous n’hésitons pas à les qualifier de révolution. Il n’y a pas eu de combats dans les rues dans le pur style des révolutions du XXe siècle, mais les barricades qui hâtivement dressées à Paris, à Bordeaux, à Lyon et dans d’autres villes de France, rappelaient fortement la Commune et les révolutions de 1830 et de 1848.
Pour qu’une révolution se produise dans un pays, il faut que se trouvent réunis plusieurs éléments créant un climat déterminé, et des problèmes spécifiques suffisamment importants pour déclencher, à un moment donné, l’explosion de la révolte qui peut se convertir, très rapidement, en révolution.
Généralement, malgré les théories en vogue maintenant et qui l’étaient au XIXe siècle, aucune révolution n’est un produit spontané. Elle couve depuis longtemps dans la mémoire inconsciente des masses, s’accumulent des facteurs qui, à un moment donné, servent de détonateurs. Cette fois-ci, le détonateur principal aura été l’inquiétude de la jeunesse, étudiante et ouvrière, devant un avenir incertain et devant une impulsion intérieure qui la conduisaient à mettre en cause les bases même de la société. En vérité, tous les éléments nécessaires à une révolution se sont trouvés réunis en France pour aboutir à un changement profond, pas seulement de système politique, d’équipe au Pouvoir, mais des structures mêmes de la société.
Pourquoi tout cela a-t-il échoué ? Pourquoi la révolte des étudiants, épaulée, malgré la volonté des dirigeants, par la majorité des ouvriers, emportés eux aussi, par l’élan et la révolte des jeunes, n’est-elle pas parvenue à triompher ? L’analyse est peut-être prématurée. On n’arrive pas à débrouiller toutes les ficelles qui furent tirées derrière le rideau apparent des prises de position et des déclarations publiques. Mais, d’ores et déjà, on peut mettre en évidence certaines attitudes.
D’une part, l’hésitation des forces politiques, qui effrayées, dans une certaine mesure, par le caractère de contestation absolue de la société qui traversait le mouvement étudiant, se sont efforcées, dès la première heure, de donner un sens politique, de simple opposition au gaullisme, aux manifestations. Il ne faut pas oublier que, dans le fonds, tous, même les socialistes, tiennent à la conservation de la société capitaliste. Tous appartiennent à la bourgeoisie et la solidarité de classe est très puissante parmi eux. Ils voulaient faire basculer la situation politique; ils voulaient s’emparer du Pouvoir — présidence de la République et gouvernement — : ils n’ont pas voulu, à aucune moment, prendre des initiatives pouvant amener un profond bouleversement social.
Il faut souligner, d’autre part — facteur très important — l’attitude du Parti communiste et de la centrale syndicale qui en est la cheville ouvrière, la CGT. Pour les communistes, la chute de De Gaulle n’a jamais été souhaitée. L’aventure révolutionnaire non plus. De Moscou, les ordres ont été précis : ne rien faire pour précipiter une chute du gaullisme, qui mène actuellement la politique internationale qui convient à l’Union Soviétique; éviter aussi toute aventure révolutionnaire, non souhaitable, pour le moment.
Voilà la raison de l’attitude de Séguy et des dirigeants du P.C, et de la CGT depuis le début des manifestations. Ilss n’ont pas pu s’opposer aux grèves, qui se sont déclenches à leur insu et contre leur volonté. Mais ils ont fait tout leur possible — et leurs possibilités se sont avérées, hélas, trop grandes — pour laisser isolés les étudiants et pour endiguer le flot des protestations vers des revendications d’ordre purement matériel. Il est trop tôt pour parler de collusion secrète entre De Gaulle et les communistes : mais nous sommes certains que les uns comme les autres savaient pertinemment que, par-delà les excès verbaux, derrière l’épouvantail pour moineaux nationalistes du communisme totalitaire agité par de Gaulle et les attaques au pouvoir personnel brandies par Waldeck-Rochet [le secrétaire du Parti Communiste], une entente tacite les liait, les faisait marcher, en fait, la main dans la main.
D’ailleurs, personne, pas même Pompidou, n’a eu des phrases aussi méprisantes pour le jeune Cohn-Bendit et pour l’action étudiante que Séguy [le secrétaire général de la CGT] et les bonzes communistes.
Tout cela nous conduit point par point à ce parallèle que nous nous proposions de faire entre la révolution de mai en France et ce que fut la révolution de juillet 1936 en Espagne.
Car, bien que les circonstances n’aient pas été les mêmes; bien que les faits ne se soient pas produits de la même façon, que les éléments réunis n’aient pas été tous semblables, il y a plusieurs points où la comparaison est possible et peut même s’avérer fructueuse.
A l’origine, il y a eu la même crainte des gauches politiques à laisser la bride sur le cou aux masses… Si en Espagne, en 1936, il n’y avait pas eu la CNT et la FAI [Fédération Anarchiste Ibérique] — il ne faut pas parler, à l’époque, du Parti communiste, car il était réellement un « groupuscule » en nombre très inférieur au POUM[21] — le coup d’Etat franquiste aurait triomphé immédiatement.
Ce furent la CNT et la FAI qui surent entraîner au combat les ouvriers socialistes, républicains et sans parti, mais pourtant hostiles à la dictature militaire et au fascisme. Les étudiants ne jouèrent aucun rôle à ce moment-là. Quant aux républicains ils croyaient pouvoir faire face à la situation avec les forces dites « de l’ordre » : livrer des armes au peuple les effrayait. Là où le peuple ne sut pas se les procurer par la force, attendant que les gouverneurs civils — l’équivalent des préfets en France — les livrent, la subversion militaire triompha.
Dès que les armes de l’Union Soviétique commencèrent à arriver flanquées de consignes; dès le moment où les communistes réussirent à créer la force qu’ils n’avaient pas le 18 juillet, le curieux phénomène commença. D’une façon systématique, le PC fut le frein de la révolution. Bien plus que le parti socialiste et que les républicains, qui, complètement débordés, n’osaient affronter les forces qui avaient gagné la lutte, dans l’Espagne restée républicaine. Le PC, fort de toutes ses armes russes, fort de sa politique contre -révolutionnaire, ouvrit alors ses portes à tous les anciens membres de la CEDA[22] et des partis conservateurs.
En Catalogne, chacun savait que tous les anciens membres de la Lliga Regionaliste — mouvement catalan de droite — vinrent rejoindre et grossir les rangs du Parti Socialiste Unifié de Catalogne [le Parti Communiste en Catalogne]. Les consignes de Moscou, alors comme aujourd’hui, furent précises : freiner la révolution; ne pas dépasser le stade de la démocratie bourgeoise. Rassurer les possédants; détruire les collectivisations, par trop avancées; rouvrir les églises et autoriser à nouveau le culte. Faire en sorte que, face aux anarchistes et aux trotzkystes, le PC soit le parti de l’ordre, du respect de la propriété, du retour au système bourgeois démocratique.
On sait que, mises à part les raisons d’ordre international, qui pouvait conseiller une telle politique — hier, pacte germano-soviétique, par lequel Staline espérait faire reculer l’attaque hitlérienne de quelques années ou éviter, tout au moins, que la guerre ne commence pas par l’invasion de la Russie ; aujourd’hui, nécessités de la politique internationale russe s’opposant aux Etats-Unis dans les pays du Moyen-Orient, au Vietnam, dans le monde arabe, politique que de Gaulle sert mieux que ne la serviraient un Mitterrand ou un Mendès-France — toujours, de tout temps, hier comme aujourd’hui et aujourd’hui comme demain, tout mouvement révolutionnaire, tout soulèvement, toute contestation qui n’est pas dirigée par le Parti communiste est vouée aux gémonies. Le Parti communiste fera tout ce qui est dans ses moyens pour les faire échouer. Ils se rallieront à n’importe qui, mais ils empêcheront le mouvement de triompher, la force de contestation de s’organiser. Ceux qui en prendront la tête seront victimes de toutes les attaques et de toutes les calomnies. Voilà ce qui arrive aujourd’hui à Daniel Cohn-Bendit ; voilà ce qui arriva en Espagne, lorsque nous osâmes nous opposer à la politique du PC.
Toute révolution qui ne sera pas déclenchée par lui, au moment voulu par lui et dans les cadres et limites imposés par lui, est condamnée d’avance à devoir lutter avec le Pouvoir en place, avec les classes possédantes et dirigeantes ET AVEC LE PARTI COMMUNISTE, celui-ci utilisant évidemment d’autres moyens.
Une amère expérience nous dicte ces lignes. Expérience qui s’est trouvée enrichie par ce qui est arrivé à Cuba ; par ce qui arrive aujourd’hui en Algérie, par ce qui arrivera à tous les pays arabes qui tomberont sous la coupe de Moscou.
Nous ne sommes pas anti-communistes par principe. Nous nous indignons quand on prétend faire du communisme le bouc émissaire de tous les dictateurs. Mais nous savons que, là où se produira un mouvement révolutionnaire contre une dictature — soit en Espagne, en Grèce, au Portugal, en France ou ailleurs — si les communistes ne le contrôlent pas, s’ils ne le tiennent pas en main, ils feront tout pour le faire échouer, préférant la permanence de la dictature ou leur triomphe, si celle-ci n’a pas encore réussi à bâillonner tout un pays, plutôt que de voir d’autres forces, d’autres conceptions révolutionnaires, d’autres idéologies, prendre la direction des événements et gagner la confiance et l’adhésion des masses.
A quoi bon des conseils ? Nous les avons nous aussi écoutés avec une certaine impatience, car nous voulions arriver par nous-mêmes à dégager des idées et des solutions de la crise dans laquelle était plongé notre pays, crise identique à celle qui secoue la société française et la société occidentale toute entière.
Mais que les jeunes soient attentifs; qu’ils sachent tirer des interrogations des expériences vécues par d’autres : allemands, avant le nazisme ; italiens, avant et après Mussolini ; espagnols, avant et après Franco.
Qu’ils se méfient, qu’ils défendent leur droit à la contestation absolue et qu’ils affirment leur volonté de construire un monde meilleur, une société plus conforme aux besoins et aux rêves humains.
Si, de ce sillon révolutionnaire qui vient tout juste d’être ouvert, ils peuvent débusquer la conscience des masses ouvrières et de la jeunesse étudiante et prolétaire ; s’ils parviennent à créer un nouvel état d’esprit ; s’ils réussissent à entretenir jamais étanchés la soif de critique de l’ordre établi et de recherche d’un ordre nouveau, l’aube de la révolution auréolera vraiment leur pays… A condition de que tout cela ne soit pas dévié, meurtri, désorienté, écrasé par la collusion des forces que les étudiants et les jeunes ouvriers révolutionnaires ont en face depuis le 6 mai : celles qui tiennent, pour des raisons diverses, mais par des intérêts semblables, à la conservation de la société de classes.
Frédérique [sic] MONTSENY
ANNEXE : TractS de la CNT-AIT
Du dialogue à l’autogestion…
CNT-AIT
CONFEDERATION NATIONALE DU TRAVAIL
Ni les puissantes manifestations des étudiants, ni les millions de travailleurs en gréve, ni les impératifs qui ont provoqué la psychose révolutionnaire actuelle, rien n’a éclairé les dirigeants des centrales « représentatives », sur les véritables aspirations du peuple.
Ils continuent à dialoguer sur des augmentations de salaire variant selon les entreprises et dans le respect de la sacro-sainte hiérarchie. Quant à la diminution de la durée du travail, tout ce qu’ils ont « arraché », reste nettement insuffisant.
Comment peut-on admettre un dialogue en dehors de la garantie absolue de l’emploi, par la réduction permanente du temps de travail en fonction du progrès technique ? De plus, ce progrès technique doit permettre l’élévation du pouvoir d’achat, à commencer par les classes les plus défavorisées.
C’est donc en dehors de ces « élus » syndicaux (ils ne peuvent parler qu’au nom de 14% de la population active) que les travailleurs doivent continuer avec les étudiants, le combat contre les structures sclérosées de la société capitaliste.
Il faudra se battre pour obtenir une véritable gestion ouvrière dans tous les services sociaux, en commençant par la Sécurité Sociale et les Caisses de Retraite.
« Le problème qui se pose est de ne pas demeurer sur les premiers succès, c’est de marcher de l’avant, de prendre des mesures pour empêcher les capitalistes de nuire. » (Benoit Frachon[23]. Juin 1950.)
Les temps ont bien changé, ou bien ce sont les hommes qui changent mais nous avons encore Sud Aviation de Nantes qui donne l’exemple à suivre en préconisant la reprise du travail sur la base de la gestion ouvrière.
La Confédération Nationale du Travail salue cette heureuse initiative qui porte à la pratique ce que certains ont refusé comme étant des « formules creuses ». Elle considère que ce moyen est le plus rapide et le plus efficace dans la lutte des travailleurs qui aspirent à la satisfaction des besoins de toute la population.
Comme l’a dit Barjonet[24] « En ne répondant pas à cette aspiration profonde des travailleurs et des étudiants qu’elles n’ont pas su ou pas voulu comprendre, les grandes formations syndicales et politiques se réclamant de la classe ouvrière et de la gauche portent une lourde responsabilité historique. »
Mais la classe ouvrière, qui n’a pas attendu les consignes de ces centrales et les partis pour décréter la grève générale et illimitée, saura, au même titre, continuer le combat et balayer en cours de route, tous ceux qui freinent son action et retardent son émancipation.
Face au dialogue paralysant et inefficace, exigeons une forme rationnelle de société dans laquelle les techniques et le matériel moderne seront utilisés pour réduire au minimum l’effort des ouvriers et qui permettra une répartition plus équitable des biens de consommation afin d’atteindre au plutôt le stade de l’égalité économique.
Vive l’autogestion !

A.I.T. – Confédération nationale du travail – A.I.T.
CONTESTONS !… CONTESTONS TOUJOURS !
Toute la presse ou presque ne parle plus maintenant que de l’aspect insolite de la Sorbonne et des inquiétudes estudiantines au sujet des examens. Il semblerait qu’en dehors de la consécration de leurs connaissances, aucun autre problème n’existe pour les étudiants.
Ils ont pourtant contesté les structures sociales actuelles, mais au pied des barricades…
Faut-il rappeler qu’à l’origine c’est la hantise du chômage et l’inquiétude pour un avenir incertain qui ont déclenché le mouvement ? Il est impensable qu’une éventuelle modification dans la sélection des étudiants puisse changer en quoi que ce soit la situation sociale actuelle.
Étudiants et ouvriers sont à la merci d’un système d’exploitation et il faut, tous ensemble, continuer la contestation des structures d’une société qui, à l’ère de l’abondance, est incapable de satisfaire les besoins de toute la population.
Les jeunes d’aujourd’hui doivent donc se préparer pour la réalisation d’une société nouvelle basée sur cette satisfaction des besoins et non sur le seul profit d’une minorité parasitaire.
Se préparer comme statisticiens pour prévoir les quantités de produits nécessaires ; comme chercheurs pour améliorer la qualité de ces produits ; comme techniciens pour alléger ou réduire l’effort humain dans la production ; ou même comme simples collaborateurs, si utiles dans le développement de la nouvelle société.
Organisés sous une forme fédéraliste et acceptant la discipline librement consentie, par chaque membre de la commune libre, notre cause peut rallier celle des jeunes du 13 mai qui, au Champ-de-Mars, déclaraient qu’il fallait continuer la contestation de la société d’exploitation de l’homme par l’homme jusqu’à l’abolition du capitalisme.
Bien sûr, sur ce terrain nous ne serons pas suivis par ceux qui ont ordonné Denfert-Rochereau la dislocation et empêché les manifestants d’emprunter le boulevard Raspail pour nous suivre au Champs de Mars ; mais nous pouvons et nous devons nous passer d’eux.
L’avenir est aux jeunes, mais pour qu’il soit plus brillant que le présent ils doivent concevoir une structure sociale basée sur l’égalité économique et débarrassée de la corruption des politiciens. Les anarcho-syndicalistes ont toujours orienté le syndicalisme dans ce sens et aujourd’hui la CNT-AIT servira avec enthousiasme la cause de tous les jeunes qui poursuivent la contestation.
CONTRE LE CHÔMAGE
CONTRE LA REFRESSION BOURGEOISE ET TOUTE DICTATURE, Y COMPRIS CELLE DU PROLETARIAT
CONTRE LA SCLEROSE DES VIEILLES GENERATIONS
VIVE L’ACTION DIRECTE DES JEUNES
VIVE LE SYNDICALISME REVOLUTIONNAIRE.

C.N.T. L’explosion révolutionnaire A.I.T.

La France a été secouée par un mouvement spontané de contestation globale de la société actuelle, parti des étudiants.
Les travailleurs se sont solidarisés.
Les structures mêmes de la société sont remises en question.
AVEC NOUS :
Rejetez tout pouvoir capitaliste et totalitaire !
Contestez totalement la société hiérarchisante, oppressante, aliénante pour l’individu !
Revendiquez l’autogestion économique de la société dans une structure fédéraliste !
N’attendez plus les mots d’ordre des partis politiques, ni des bonzes syndicaux, toujours prêts à la dérobade, au recul, à la trahison !
S’il y a des défaillances dans l’action, le risque est grand !
La réaction et le fascisme, s’appuyant sur l’appareil de répression militaire et policier, sont aux aguets…
CONFEDERATION NATIONALE DU TRAVAIL.
[Tract confédéral, paru dans Espoir, numéro spécial, 16 juin 1968 ]
Au-dessus de la politique qui nous divise…
ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS
CONFEDERATION NATIONALE DU TRAVAIL
… L’élan de la jeunesse étudiante ajouté à celui des ouvriers en révolte a surpris les différentes structures en place, qu’elles soient politiques ou syndicales.
De Gaulle lui-même a déclaré qu’il faut transformer les structures sclérosées.
L’occupation des lieux de travail s’est avérée la plus valable des tactiques modernes de lutte. C’est donc l’action directe des étudiants et des ouvriers, en dehors de tout compromis et de toute intégration, qui a ébranlé l’état de choses existant.
Si les mots d’ordre et les procédés vieux de cent ans ont été repris par la majorité de la jeunesse, ce n’est donc pas par hasard.
Pour nous, syndicalistes révolutionnaires, l’état de crise ne constitue pas une surprise, car nous savions que le capitalisme n’avait jamais renoncé au maintien de son hégémonie, et que pour cela il s’entourait directement ou par l’entremise de ses valets, de certaines structures qui se voulaient inattaquables. Nous savions aussi, que lorsque cela lui était nécessaire, il établissait, pour sauver les situations difficiles, tous les compromis adéquats avec n’importe qui et n’importe quoi, y compris avec ceux qui, au nom de l’anticapitalisme visent, sans s’attaquer aux causes et effets de l’exploitation de l’homme, à en changer le nom.
Dans les deux cas un intérêt suprême, venant d’on ne sait où, est imposé par le chantage et la démission opportuniste des forces réformistes qui se laissent intégrer par des promesses à courte échéance.
Nous n’acceptons, nous, ni l’emprise capitaliste ni l’emprise du groupement confus. Dans les deux cas ce sont les intérêts et les aspirations du monde du travail qui sont bafoués.
A l’heure où la répression met ses dispositifs en état de fonctionnement accéléré pour soumettre encore une fois les forces libératrices de l’ensemble de la population qui viennent de prendre le dessus, il est nécessaire de prendre conscience du moment actuel.
— Face à la répression de de l’Etat.
— Face à la démagogie des partis politiques qui sautant sur la conjoncture se présentent comme les avocats de la dernière heure.
— Face à la carence des organismes officiels pour résoudre les problèmes angoissants de l’heure.
— Face au syndicalisme traditionnel acceptant la règle du jeu et dont les objectifs ne sont qu’une escroquerie à la bonne foi des travailleurs.
— Face à toutes les menaces brandies pour instaurer la terreur dans les esprits, ce qui facilite la répression, y compris la répression économique.
— Face à la répression et au totalitarisme.
NOUS MANIFESTONS :
Notre solidarité effective avec tous ceux qui luttent contre cet état de fait.
Notre mépris pour les jeux politico-parlementaires qui aboutissent simplement au partage du gâteau entre les grands pontes de la société et… ceux qui gravitent autour d’eux.
Nous estimons que notre lutte ne doit connaître ni trêve ni défaillance dans le moment présent.
Nous entendons poursuivre le combat, dans la mesure de nos possibilités, en allant au-delà des revendications parcellaires pour que les instruments de production passent directement dans les mains des travailleurs en vue de leur gestion directe, et pour que nous puissions déterminer de nouvelles formes de vie en société.
PARCE QUE la pensée libertaire lutte contre l’exploitation socio-économique ;
PARCE QU’ELLE prône l’égalité.
PARCE QUE nous luttons pour une société où chaque homme puisse être une entité en soi, dans un cadre fraternel et digne.
PARCE QUE nous affirmons qu’il n’y aura pas de liberté effective tant que l’homme ne sera pas à l’abri des contraintes morales ou économiques.
Nous nous sentons obligés de dénoncer tous les autocrates, qui spéculent sur le danger anarchiste pour semer la confusion, et faire oublier leurs responsabilités passées, présentes ou futures.
Notre position confirmée, avec plus de force que jamais par les évènements actuels. Tant à l’Est comme à l’Ouest nous voyons naître de justes révoltes. Que ce soit en Pologne, en Tchécoslovaquie, en U.R.S.S., dans les deux Allemagnes, aux U.S.A., en Espagne, en France, toute la jeunesse du monde se rejoint dans le refus des structures existantes et dans la recherche de la liberté et d’un lendemain fraternel.
Nous ne cesserons jamais d’affirmer que l’avenir est dans la liberté.
Restons au coude-à-coude pour donner l’essor nécessaire à notre conception libertaire de la vie.
Continuons à faire prendre corps à notre syndicalisme révolutionnaire, garant de l’émancipation intégrale des individus, qui ne pourra se réaliser que par la prise en charge de toute l’économie par des organismes créés et gérés par les producteurs.
Pour la justice sociale et la fraternité humaine !
CONFEDERATION NATIONALE DU TRAVAIL.
Prise de position de la CNT-AIT de la 17e Union (Rhône-Alpes)
Paru dans Espoir 23 Juin 1968, Tract distribué dans la région lyonnaise.
Les camarades de la 17e Union de la CNT se solidarisent entièrement au mouvement revendicatif des étudiants de France.
Les travailleurs Anarcho-Syndicalistes proposent à tous les « camarades exploités » de contribuer par la grève générale, aux justes revendications de la jeunesse étudiante… Nous, travailleurs, devons réaliser que les centrales syndicales réformistes sont aux service de la bourgeoisie. Voici le taux des cachets que perçoivent annuellement ces centrales :
855 MILLIONS DE NOS ANCIENS FRANCS, REPARTIS COMME SUIT :
250 millions pour F.O., autant pour la C.F.D.T.
60 millions pour la C.G.C.
26,5 millions pour la C.G.T. et à peu près les mêmes chiffres pour la C.F.T.C.
CAMARADES, REFLECHISSONS !… NOUS SOMMES EXPLOITÉS !…
Nous vous informons que seule la centrale syndicale CNT ne perçoit aucun cachet de l’Etat.
POURQUOI ?
Parce que seul le syndicat CNT suit la ligne de la Charte d’Amiens de 1906, qui est la suppression du salariat. Le syndicat CNT défend véritablement les travailleurs et il engage tous ses adhérents et sympathisants à manifester la solidarité avec le mouvement étudiant. Contrairement à ce que dit la presse bourgeoise : Les étudiants qui se révoltent à l’heure actuelle sont des fils d’ouvriers et non des fils de GROS BOURGEOIS.
La CNT lance un appel à la grève générale révolutionnaire, non à la grève de 24 heures. Tant qu’il n’y aura point d’égalité économique et sociale, l’égalité politique sera un mensonge… (Michel BAKOUNINE.)
[1] La Gauche Prolétarienne (GP), créée e en septembre 1968 et auto-dissoute en novembre 1973, est une organisation d’extrême gauche qui se réclamait de l’héritage du Mouvement du 22 Mars (antiautoritaire et spontanéiste) et d’une fraction dissidente des marxistes-léninistes (maoistes) de l’UJC (ml).
[2] Confédération Française Démocratique du Travail est un syndicat réformiste, né de la Confédération française des travailleurs chrétiens, mais dont elle abandonne la référence confessionnelle en 1964. Pour se démarquer de la CGT communiste, elle prône alors l’autogestion, et attire de nombreux jeunes après 68 qui lui fourniront les cadres qui lui faisait cruellement défaut dans sa compétition bureaucratique avec les autres syndicats FO et CGT.
[3] Le Parti Socialiste Unifié était un parti de gauche alternatif, qui regroupait des courants disparates, des chrétiens de gauche aux trotskystes et maoïstes, et qui était très proche de la CFDT. Il fournira de nombreux cadres au Parti Socialiste, notamment le futur premier ministre Michel Rocard.
[4] Confédération Française des Travailleurs Chrétiens
[5] Rappelons qu’il s’agit là de la date de parution du Combat Syndicaliste Le CS était imprimé en linotypie et le délai de tirage « était de l’ordre d’au moins une semaine. Les articles ont donc été écrit en règle générale 10 à 15 jours avant la date de parution.
[6] Il y avait avant le mois de Mai aux « Jeunesses Syndicalistes Révolutionnaires » (JSR), qui deviendront par la suite « Jeunesses Anarcho-Syndicalistes » (JAS), un petit groupe à Paris et un à Marseille. Après Mai de nouveaux groupes sont apparus : Lyon, Toulouse,… Certains des JSR étaient des étudiants, mais pas tous.
[7] Cet appel ne fut pas entendu, le mouvement libertaire resta totalement dispersé. Une majorité de militants étant dans les organisations réformistes comme Force Ouvrière.
[8] Cf. en Annexe l’article « A propos des étudiants » publié dans le CS du 9 mai 1968 et qui étrille les étudiants de Nanterre : «
[9] Union Nationale des Etudiants de France. Il n’y avait à l’époque qu’une seule UNEF. La scission entre socialistes (UNEF ID) et communistes (UNEF-SE) ne viendra que plus tard.
[10] Vous ne rêvez pas, ce texte a bien été écrit en … janvier 68. On pourrait presque le reprendre mot à mot aujourd’hui !!!
[11] Il y avait à l’époque 500 000 chômeurs en France, 700 000 en R.F.A et autant en Angleterre.
[12] Joseph Vincent (1918-2009), militant de base depuis 1931
https://cnt-ait.info/2001/05/01/joseph-vincent
[13] « Vivre sans temps morts, jouir sans entrave «
[14] A cette époque l’Allemagne était divisée en plusieurs zones d’occupation militaire – Russe en Allemagne de l’Ouest, Américaine, Britannique et Française en Allemagne de l’Ouest.
[15] » L’autogestion est un mot creux « , répétaient à la suite de leurs dirigeants les militants communistes et cégétistes.
[16] Cette manifestation fut numériquement la plus importante de Mai 68. L’anecdote est vraie. On trouve des photos des drapeaux et des banderoles de la C.N.T. dans l’Encyclopédie Alpha, ainsi que dans divers manuels d’histoire.
[17] Il fit particulièrement beau cet été là…
[18] NDLR : le texte initial a été rédigé en 1998, pour le trentenaire de Mai 68
[19] Les plus vieux restèrent prudemment à FO ou à la CGT…
[20] Yves-Michel Biget , le rédacteur de ce texte, pendant l’Occupation, participa à la résistance en Bretagne dans le réseau Libération-Nord. Il avait également, comme marin, participé à plusieurs débarquements de matériel sur les côtes sud de la Bretagne.
Au début des années 1950, Biget soutenait l’action du CAGI (Comité d’action des gauches indépendantes) de Claude Bourdet. En 1954, domicilié à Vertou (Loire-Inférieure), il animait le Cercle d’études socialo-syndicalistes de l’Ouest-Nantes. Leur Lettre affirmait : « Au seuil de cet automne 1954, nous pensons que refuser les vieux legs anarcho-syndicalistes (au dessus des partis et philosophies) pour se livrer aux nouveaux syndicalismes réformistes, confessionnels, politisés (CGT-FO, CFTC, CGT) c’est favoriser la régression sociale, c’est livrer le syndicalisme au patronat ou à l’État, c’est donc nier la continuité de l’esprit syndicaliste fait de l’union des idéaux : syndicalisme révolutionnaire et socialisme révolutionnaire. » Il rejoignit alors la CNT-AIT, dont il fut le secrétaire de la 10e union régionale,
[21] Parti Ouvrier d’Unification Marxiste. [Parti Marxiste indépendant, ni inféodé à Moscou, ni Trotskyste]
[22] Confédération Espagnole des Droites Autonomes
[23] Benoit Frachon, un des principaux dirigeants de la CGT et du Parti Communiste des années 1930 jusqu’à sa mort en 1975. Anarchiste dans sa toute jeunesse, mais vite converti au bolchevisme en 1920 puis stalinien indécrotable, il sera le théoricien de la « bataille de la production » dans l’immédiat après-guerre.
[24] Claude Barjonet s’engage dans la résistance communiste pendant la Seconde Guerre mondiale. Il milite ensuite à la CGT. Il occupe de 1946 à 1968 le poste de secrétaire du Centre d’études économiques et sociales de la CGT, parallèlement à son activité au parti communiste. En 1968, il s’oppose aux accords de Grenelle. Anti-stalinien, déjà ébranlé par la répression de Budapest en 1956, il quitte le PC et la CGT en mai 1968 ainsi que le Conseil économique et social. Il publie alors La Révolution trahie. Il rejoint le PSU dont il intègre le bureau national.
La version initiale de ce texte a été écrite en 1998, à la demande des Jeunes Libertaires de Toulouse pour servir de support de formation, par Felix Navarro, qui était lui-même lycéen au moment de Mai 68 et qui a rejoint la CNT-AIT pendant ce mouvement. Il a été l’un des moteurs du redémarrage de la section française de l’AIT dans les années 70 et 80, tout en participant au relancement de la CNT-AIT espagnole pendant la phase de transition.

Sur le même thème :
Histoire de la CNT Française (1945 – 1993)
Brochure disponible en ligne :
https://cnt-ait.info/2019/12/15/la-cnt-ait-une-histoire-a-ecrire ou au format papier (modalités indiquées dans les pages introductives)

Par ailleurs, la CNT-AIT et l’anarchosyndicalisme ce n’est pas qu’une histoire passée, c’est aussi une action au présent, pour le futur. Pour être tenu informé de notre actualité, abonnez-vous à notre journal, Anarchosyndicalisme ! (10€ / an, 20 € et plus en soutien), chèques à l’ordre de CDES à adresser à CNT- AIT 7 rue St Rémésy 31000 TOULOUSE, abonnez-vous aussi à notre liste de diffusion par mail : http://liste.cnt-ait.info