Si la tendance ultra libérale n’est pas un fait nouveau dans les modalités du développement du capitalisme contemporain, on ne peut ces temps derniers que constater partout sa confirmation, et l’accélération de ses effets. Et remarquer localement certains agents très zélés de sa mise en œuvre : ici Christelle Morançais (anciennement membre UMP puis Les Républicains, depuis peu vice présidente d’Horizons (le parti d’Edouard Philippe), groupe d’élus « Aimer et agir en Pays de la Loire »), présidente de région, pour qui l’austérité en matière de politique publique n’est pas un vain mot, fait figure d’avant garde dans le contexte économique général .
Feu le gouvernement Barnier demandait 40 millions d’euros d’économie aux régions, elle et son administration assument d’en faire 100 millions (décision actée lors du vote du budget le 20 décembre), par l’entremise d’une coupe drastique dans les subventions allouées aux secteurs « Culture, sports, vie associative, solidarités et égalité femme/homme ».
Sont donc impactés -par des coupes sévères voire totales- pèle mèle festivals de cinéma, de théâtre, de musique, structures et pôles culturels, compagnies de théâtre, clubs et associations sportives, structures associatives à vocation sociale – pour ne citer qu’elles Les missions locales, Le Planning familial, Union Régionale Solidarités Femmes… soient 13000 emplois directement menacés, dont 2400 pour le seul domaine de la culture, et 100 postes de fonctionnaires. Soit un plan de licenciement massif à l’échelle de la région, et les services et les personnes qui en bénéficient mises au rencart.
« Soyons lucide, la France est shootée à la dépense publique ! » martèle la très thatchérienne C Morançais.
Foin de keynesianisme à papa, elle expose très clairement le programme au gré de quelques formules choc dans son interview de mi-mandat: «il serait temps que la classe politique apprenne à raisonner comme une famille ou une entreprise» (elle fut un soutien fervent de la «manif pour tous», on imagine bien l’idée qu’elle se fait de la famille…).
Elle appelle de ses vœux «une société où la responsabilité individuelle est première, où le travail constitue la clé de voûte du contrat social, où les droits n’excèdent pas les devoirs, où la réussite n’est plus une source de jalousie ou d’aigreur, mais un motif d’encouragement et de fierté»… « Soutenir l’innovation et la compétitivité », « une politique du développement de l’offre », le B.A BA de l’ultra libéralisme est mobilisé à satiété : le managering comme modèle de gestion politique, le soutien toujours prioritaire au capital, le travail aliéné comme vertu première et l’individu seul rendu responsable de sa réussite ou de son insuccès.
Le tout ripoliné du sacro-saint vernis de la transition écologique (par l’innovation technologique et l’investissement, le tout numérique et l’IA), et d’une ode à la jeunesse « pleine de ressources, d’envie et d’ambitions » (et tant pis pour les 45000 jeunes qui ne seront plus accompagnés par les missions locales).
Son admiration récemment déclarée pour le « génial Elon Musk », à propos du réseau social X, démontre clairement, si c’était encore nécessaire, son appartenance à la grande famille des fossoyeurs capitalistes actuels.
Il est par ailleurs notable que le pragmatisme entrepreneurial de la présidente de région cède parfois complètement le pas à l’idéologie, quand on sait les retombées économique que représentent par exemple certains événements culturels qui sont destinés à pâtir des coupes budgétaires… Pas besoin de la lucidité à laquelle Christelle nous invite pour observer que la méthode à l’oeuvre n’est que la possible et désormais très habituelle variante de la gestion du capitalisme en période de « crise » (sinon les gros actionnaires ne se sont jamais aussi bien portés, merci pour eux).
Pendant des doctrines d’économie politique fondées sur l’idée d’un état garantissant l’ordre social et économique, qui maintient une forme de stabilité en régulant le marché, en instituant une plus grande redistribution, un service public plus confortable et en permettant l’existence de corps intermédiaires, elle n’en est que le miroir déformant. Si la bourgeoisie, à d’autres moments de l’histoire du développement capitaliste dans les pays riches (moments qui conjuguaient promesse de croissance et l’existence d’un rapport de force potentiellement en sa défaveur), s’est assurée la nécessaire collaboration des travailleurs par la séduction, en une série de concessions leur permettant d’accéder à une consommation plus performante de sa marchandise, elle sonne quand ça lui est nécessaire la fin de la récré en coupant les robinets des secteurs de l’économie jugés moins essentiels – que les tenants du libéralisme ne manquent pas de fustiger, alimentant dans la confusion une clientèle sensible à leur idéologie réactionnaire et avide qu’on leur désigne les derniers coupables : migrants, chômeurs, assistés, «saltimbanques» du spectacle, associations «sous perfusion»… Le mouvement dans sa totalité reste le même, celui du système capitaliste, mais les effets produits sont différents, en l’occurrence une plus évidente violence sociale et la perte d’acquis ou de services…
De fait, beaucoup vont y laisser des plumes, la colère et le désarroi sont palpables dans les secteurs indiqués.
Différentes mobilisations se sont donc tenues, plus ou moins suivies (de 3000 à 4000 personnes à quelques centaines selon les journées à Nantes), 4 jours de rassemblement devant l’hôtel de région, le 25 novembre, le 16 (missions locales et associations) et les 19 et 20 décembre (jours de vote du budget), et 2 jours de manifestations en ville, le 5 décembre (avec les profs en grève) et le 12. Les animateurs principaux en ont été la sempiternelle intersyndicale, avec une prédominance de la CGT-Spectacle (le milieu professionnel de la culture étant particulièrement mobilisé), une apparition des tracteurs de la Confédération Paysanne et les élus des partis de l’opposition (majoritairement gauche du capital, EELV, PC, LFI et consort). On a même vu Ayrault y aller de son soutien au mouvement (l’ancien artisan PS de la tentative d’aéroport à Notre Dame Des Landes)…
Rien de très nouveau ni de moins spectaculaire (c’est de circonstance) que d’usage, si ce n’est l’absence notoire du désormais très habituel « cortège de tête », dorénavant élément incontournable et caution « radicale » du folklore de la manif nantaise. La flicaille, venue en force les 19/20 et protégeant les accès de l’hôtel de région à grand renfort de barrières anti-émeute, s’emmerdait donc ferme- malgré une tentative de blocage des lieux avant l’arrivée des élus (vite avortée, les gens étaient trop peu nombreux) et un timide tour à l’arrière des bâtiments après le vote du 20 (idem.). L’ambiance festive des derniers jours de mobilisation (barbeuc’ paysans, chansons et théâtre..) peinait malgré tout à masquer la lassitude et le désespoir des manifestants.
Et pour cause, comme dans la plupart des mouvements sociaux récents, même la seule perspective d’une forme de « retour à la normale », soutenue par les revendications réformistes des syndicats et partis, devaient leur sembler parfaitement incertaine. (Surtout qu’il n’y avait pas de doute quant à l’orientation finale du budget..) La conscience de l’accélération de l’émiettement de nos conditions matérielles sur fond de spectacle du chaos globalisé, dans l’attente confuse d’une prochaine catastrophe produisent ce sentiment désabusé.
La stratégie principale mobilisée ici par les partis et syndicats (quelque soient leurs orientations politiques ou même l’anticapitalisme relativement flou dont certains se revendiquent) d’interpeler les élus , d’organiser les mobilisations selon leurs agendas est celle de leur qualité d’accessoires intégrés à la logique du capital et du « pouvoir séparé » (G Debord), et elle ne peut conduire à une prise de conscience ni à une pratique de lutte plus radicale chez les travailleurs des secteurs concernés. Pire, elle entretient comme toujours l’état d’anomie du prolétariat et sa difficulté croissante à se réapproprier l’autonomie nécessaire à une vision totale du système capitaliste et à la lutte révolutionnaire qu’il doit lui opposer.
Il est de notre ressort malgré nos petits moyens de continuer à produire et transmettre les idées qui permettront peut être un dépassement de cet état catatonique généralisé ; de créer du désir de révolution. La perspective d’une révolution sociale, et avant ça la conscience de sa nécessité, c’est tout « le courage de la clairvoyance » qu’on peut se souhaiter pour 2025 et au-delà !
Un adhérent de la CNT-AIT « Grand Ouest »

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Sur le même thème des luttes dans le secteur du spectacle :
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