LES CAIDS ET LE CENTENAIRE [Mohamed SAÏL]

Pour commémorer les 140 ans de la naissance de Mohamed SAÏL, le 14 octobre 1894 à Taourirt-Beni Oughlis, nous publions un inédit, qu’il écrivit à l’occasion des commémorations du centenaire de la colonisation de l’Algérie, et publié dans le Libertaire du 31 mai 1930. Dans le même numéro, un article (que nous publions à la suite) de son amie Marguerite ASPES, de la CGTSR-AIT d’Alger, dénonçait l’hypocrisie de la gauche républicaine, qui célébrait en grande pompe et main dans la main avec l’Eglise, la colonisation.

Mohamed SAÏL animait en « métropole » la section algérienne de la CGTSR-AIT dans sa campagne contre les célébrations du centenaire (cf. le tract : En Algérie conquise – Pendant que les Officiels commémorent… – La section algérienne de la CGT-SR https://cnt-ait.info/2022/08/09/centenaire-algerie-cgtsr/) Quant à Marguerite ASPES, à ALger, elle luttait pour l’émancipation de tous les travailleurs, qu’ils soient indigènes, migrants (notamment espagnols ou italiens, qui avaient trouvé asile en Algérie pour fuir les persécutions politiques ou fascistes dans leurs pays respectifs) ou français. Sont activité lui valut d’être emprisonnée à plusieurs reprise puis expulsée après qu’elle ait tiré sur des policiers à la bourse du travail (cf le texte de Mohamed Saïl demandant sa mise en liberté : Peuple algérien, debout ! https://cnt-ait.info/2019/03/16/peuple-algerien-debout)


LES CAIDS ET LE CENTENAIRE

Le Libertaire, 31 mai 1930, Numéro 258

Le cheval de gaada (soumission) offert par au Président Doumergue à l’hipppodrome du Caroubier par Djelloul Ben Lakhdar

Au président Doumergue qui était allé glorifier un siècle de domination barbare, les caïds ont fait cadeau d’un cheval. [1]

Qu’est-ce qu’un caïd ? Ni plus ni moins qu’un mouchard, un être vil et répugnant qui achète sa charge pour satisfaire son orgueil et sa cupidité. Devant un Français, le caïd est un chien rampant, mais, profitant que ses compatriotes sont soumis au régime odieux de l’indigénat, ce vendu officiel le rançonne au vu et au su de l’administration française.

Le caïd est moins qu’un flic. Il n’est ni patriote, ni politicien, mais une simple bourrique, fort devant les faibles, tremblant devant le plus fort.

Le président n’a donc pas de quoi être fier d’un cadeau qui lui a été offert par de pareilles gens qui. au surplus, sont pour la plupart aussi bêtes que des ânes.

***

Mais, on nous annonce une amélioration : la suppression des tribunaux répressifs. C’est un os que l’on jette aux chiens, un crachat en l’air, un simple attrape-nigaud.

Non, Messieurs les Gouvernants, pour ma part et pour tous ceux qui pensent et souffrent comme moi, nous ne demandons aucune pitié.

Contre votre iniquité, contre votre ignoble barbarie, nombreux sont mes compatriotes qui se joindront à moi pour piétiner vos lois et qui crieront : « A bas les bourreaux et leurs valets, Vive l’anarchie. »

Saïl Mohamed, petit-fils d’un caïd.

[1] Note de la rédaction : Offrir un cheval est un symbole par lequel un « indigène » défait militairement acte sa soumission (gâda) au vainqueur. Jonas Matheron. Les Commémorations du “ Centenaire de l’Algérie ” en 1930 : Des représentations coloniales aux réactions “ Indigènes ”. Sciences de l’Homme et Société. 2014. dumas-04148591

Le président de la République française reçoit l’hommage des chefs indigènes à Alger lors des commémorations du centenaire

ALGER, Ou socialistes politiciens et calotins assassins sont pris la main dans le sac

Nous avons eu dernièrement la visite des plus hauts représentants de la sainte et très catholique République française, mais cela ne suffit sans doute pas encore aux fêtards colons et indigènes puisque c’est maintenant au tour des « Hauts dignitaires » ecclésiastiques de faire la parade et de chanter un « Te Deum » en l’honneur des massacres et des barbaries commises sur cette belle terre d’Afrique il y a un siècle au nom de la civilisation. Aussi nous trouvons avec eux, pour ainsi dire la main dans la main, ceux qui se sont toujours dits pour la défense des plus chères doctrines républicaines et en particulier pour la cause laïque.

Voici ce que nous trouvons dans un journal radical-socialiste, ou socialiste, le seul grand journal officiel de gauche de la ville d’Alger : l’« Echo d’Alger » du 14 mai (décidément tous les « écho » a se ressemblent !) :

« Aux fêtes du Centenaire, il fallait un « Te Deum » d’actions de grâces qui sera chanté dimanche soir dans l’église métropolitaine, en présence d’un cardinal, de vingt archevêques ou évêques et de nombreux prélats et dignitaires de l’église. Nous les saluons respectueusement parce qu’ils sont les chefs vénérés de l’Eglise Catholique et aussi parce qu’ils sont de grands français, portant presque tous à leur boutonnière le ruban rouge de la Légion d’honneur qui témoigne de leur valeur, de leur loyaliste et, pour beaucoup d’entre eux, de leur héroïsme durant « la grande guerre. »

Ce n’en, certes pas au moment des élections que ces gens-là oseraient parler de telle manière.

Ah ! C’est vous le bloc des gauches, vous qui les saluez respectueusement ! Et l’Entr’aide féminine laïque d’Alger, vous la saluez aussi respectueusement, sans doute ! Hypocrisie que tout cela ! Comment, vous êtes du parti de la démocratie, vous osez dire cela ! Mais vous n’êtes même pas des républicains ! Vous êtes de toutes les sauces. Vous osez ajouter que leur bout de ruban rouge témoigne de leur héroïsme durant la grande guerre. La grrrrande guerrrrrrre ! La guerre que tout le monde, même les plus militaristes, reconnaissent aujourd’hui comme une calamité ayant été provoquée par des capitalistes dans un but purement vénal ! Et le .Cinquième commandement ![1] Et les préceptes des évangiles, vous les oubliez sans doute ?

Quel illogisme ! C’est à croire que c’est une bande de fous, car on ne peut s’imaginer une telle hypocrisie, si l’on a son cerveau bien en place. Cela fait honte à l’espèce humaine.

Marguerite SEPSA [ASPES].

Marguerite ASPES

[1] NDLR : Cinquième commandement de la Bible « Tu ne tuera point ! »


Voyage en Algérie du Président de la République Gaston Doumergue (4-14 mai) [WIKIPEDIA]

Le 3 mai 1930, le président de la République Gaston Doumergue embarque à Toulon sur le croiseur « Duquesne » à destination d’Alger et les huit ministres ainsi que le Maréchal Franchet d’Espérey qui l’accompagnent embarquent à bord du « Colbert » et du « Suffren ».

Le 4 mai il arrive à Alger. Une grande partie des forces navales, environ quatre-vingts navires, mouillés sur deux lignes parallèles, l’accueillent : sur la 1re, le bâtiment amiral « Provence », commandé par le Vice-Amiral DurandViel, puis sur la 2e, des croiseurs et des torpilleurs4.

Une fois débarqué, il est accueilli par Charles Brunel, maire d’Alger et le gouverneur général Pierre Bordes. Il se rend ensuite à l’Hôtel de Préfecture puis au Pavois, le monument aux morts d’Alger, afin de rendre hommage aux morts de la Grande guerre. Il rejoint ensuite le Palais d’Eté où il est reçu par les autorités civiles et militaires. Le khalifa Djelloul Ben Lakhdar présente au Président les principaux chefs algériens musulmans puis Doumergue déjeune avec le gouverneur général Pierre Bordes.

Doumergue se rend ensuite à l’Hippodrome du Caroubier pour assister à un spectaculaire défilé militaire réglé par le colonel Paul Doury. A cette occasion Djelloul Ben Lakhdar lui offre, au nom de tous les chefs algériens, le traditionnel cheval de Gada. Tout d’abord défile les troupes actuelles : la Légion Etrangère, les tirailleurs algériens, les cavaliers puis une reconstitution du Corps de débarquement de 1830 avec des représentations des soldats du comte de Bourmont et des marins de l’amiral Duperré et enfin des éléments de l’Armée d’Afrique de 1830 à 19134.

Doumergue quitte ensuite l’Hippodrome pour aller inaugurer la statue de René Viviani, œuvre de François Sicard .

En fin d’après-midi, invité par Charles Brunel, Doumergue rejoint l’hôtel de ville, et la journée se termine au Palais d’été par un feu d’artifice.

Le 5 mai, il se rend à Boufarik, à trente kilomètres à l’ouest d’Alger. Il visite la Mitidja, ses vignobles et ses champs de tabac. Il est ensuite reçu par le maire de la ville, Amédée Froger puis inaugure le Monument à la gloire du génie colonisateur de la France, « masse sculpturale impressionnante, grandiose muraille blanche de 40 mètres de large et de 15 mètres de haut, sur laquelle se détachent les héros dont l’Algérie est fière et des bas-reliefs qui évoquent les travaux des premiers colons », œuvre des sculpteurs Henri Bouchard et Charles Bigonet et de l’architecte Xavier Salvador.

Il se rend ensuite à Sidi-Ferruch, afin d’inaugurer le Monument du centenaire du débarquement de l’armée française à Sidi Ferruch le 14 juin 1830, sculpté par Émile Gaudissard avec sa plaque sur laquelle est inscrit « La cause de la France est celle de l’humanité, montrez-vous dignes de votre belle mission. Soyez justes et humains après la victoire. », parole du général de Bourmont, ministre et commandant en chef de l’expédition, à ses hommes après la prise d’Alger.

Le 7 mai il rejoint en train Constantine. Il est accueilli par le député-maire, Émile Morinaud et se rend place Nemours où est érigé le « Tombeau des Braves », monument aux morts des deux sièges de 1836 et 1837. Il inaugure ensuite en présence du président du Sénat, Paul Doumer, du président de la Chambre des députés, Fernand Bouisson et du maire, le monument aux Morts de la Grande Guerre érigé à plus de 695 mètres d’altitude sur une falaise bordant la rive droite du Rhummel.

Le 8 mai, il rejoint Bône en train; il y est reçu par le député Gaston Thomson. Il visite notamment le monument aux morts et en fin de journée retourne à Alger sur le « Duquesne » ancré dans le port de Bône.

Le 10 mai est organisée dans la baie d’Alger une grande parade navale. Le Président et les membres du cortège embarquent sur le « Duquesne » pour assister au spectacle. Une soixantaine de bâtiments de tous types (cuirassés, croiseurs, contre-torpilleurs, torpilleurs, sous-marins, porte-avions) forment une grande flotte en trois colonnes. Trois cuirassés, le « Provence », le « Bretagne » et le « Paris », ainsi que le porte-avion « Béarn » composent la 1re. Chaque unité défile devant le « Duquesne » et salue le cortège présidentiel. Plusieurs escadrilles d’avions se joignent à la parade.

Le 12 mai il est à Oran et reçu à l’Hôtel de Ville par le maire Jules Molle. Il visite la ville, le fort de Santa-Cruz ainsi que l’hôpital militaire puis l’exposition du centenaire organisée par la ville dans le Grand Palais.

Il rentre à Paris le 14 mai.

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