Extrait de « ESPAGNE LIBERTAIRE (36-39), L’œuvre constructive de la Révolution espagnole » de Gaston LEVAL
L’auteur de ce livre est obligé de rappeler que, quoiqu’ayant suivi, jour par jour, à certains moments heure par heure, et toujours passionnément les événements sociaux qui agitèrent l’Espagne pendant les années 1924-1936, il ne vivait pas dans ce pays durant cette période. Mais de loin, par ses écrits, son apport continuel du point de vue théorique, économique et constructif, il prenait une part active aux événements qui s’y produisaient. Comme dans son observation des faits marquant l’évolution de l’Europe et des autres nations européennes, il avait, d’Amérique du Sud, une vue panoramique qui lui permit peut-être de mieux comprendre certains processus d’ensemble mais qui l’empêcha de pénétrer à fond des détails importants. Du reste, eût-il résidé en Espagne comme il l’avait fait pendant les années 1915-1924, cette étude des détails aurait été impossible, telles furent auparavant les circonstances de sa vie. Seuls des spécialistes disposant de moyens adéquats, et surtout de calme, ainsi que de temps nécessaire auraient pu enregistrer le foisonnement de luttes, d’initiatives, d’organisations créatrices locales auxquelles donna lieu le combat multiforme dans lequel il ne fut, pendant une dizaine d’années, qu’un simple militant.
On comprendra donc l’insuffisance des antécédents historiques qui expliquent, du moins en partie, la vaste entreprise de socialisation de la médecine et des institutions sanitaires réalisée en 1936-1939. Mais si, comme on le verra, la Fédération nationale des services sanitaires, section de la CNT-AIT, put compter, dès 1937, 40.000 adhérents, il va de soi que de tels effectifs n’auraient pas été aussi rapidement réunis, sans que de nombreux jalons eussent été auparavant posés.
Certains précédents expliquent aussi, toujours en partie, la poussée créatrice qui va se produire. On trouvait des médecins parmi les meilleurs militants libertaires espagnols. Tel le docteur Pedro Vallina, figure d’apôtre et combattant héroïque (1), qui joua un rôle si important dans les luttes sociales de l’Andalousie ; tel le docteur Isaac Puente, de loin son cadet, qui fut une des personnalités les plus marquantes apparues dans le mouvement libertaire pendant les années qui suivirent l’établissement de la deuxième République ; telle encore la doctoresse Amparo Poch y Gascon, la femme la plus cultivée de ce mouvement, tel le docteur Roberto Remartinez, au savoir encyclopédique, et Félix Marti Ibañez, brillant représentant de la jeune génération de médecins-sociologues, humaniste, spécialiste des problèmes sexuels et psychanalytiques, et excellent écrivain. A côté de ces médecins les plus connus par leurs écrits et leur activité publique, le nombre était élevé des autres, qui adhéraient aux conceptions constructives de l’idéal libertaire, d’une civilisation nouvelle, d’une organisation plus rationnelle et plus juste de la société. A l’échelle locale, ces hommes firent, souvent en contact avec les Syndicats ouvriers, un excellent travail de solidarité humaine. Nous avons, dans nos chapitres sur les Collectivités agraires, signalé des cas de sociétés de secours mutuels fondées ou administrées par les libertaires dans les villages ou de petites cités provinciales. La collaboration désintéressée d’un ou deux médecins, parfois plus, leur était souvent acquise. Quelquefois, cela allait même beaucoup plus loin. Ainsi, à Valence, alors troisième ville d’Espagne, se trouvait le siège d’une « Mutua levantina« , ou Société de secours mutuels du Levant, fondée par des libertaires que l’auteur a connus dans sa jeunesse, et qui réunissait de nombreux médecins de diverses spécialités, des professionnels des différentes activités sanitaires. Plus que d’une simple société de secours mutuels, il s’agissait, au fond, d’une association de praticiens de la médecine qui s’étendait sur la région entière du Levant et où dominait l’esprit d’entraide en ses implications les plus humaines (2).
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Quand la guerre civile éclata, il n’y avait pas de Syndicat de médecins spécialement organisé à Barcelone, mais un « Syndicat de professions libérales » avec des sections diverses : journalistes, écrivains, professeurs, avocats, médecins. Combien de ces derniers ? Nous l’ignorons, mais leur nombre devait être assez élevé, à juger par la rapidité des réalisations qui se firent jour, le moment venu.
Deux raisons l’expliquent. Tout d’abord, les problèmes sanitaires, les questions d’hygiène sociale, la mortalité infantile, la lutte contre la tuberculose, les maladies vénériennes et autres, étaient des sujets couramment traités dans notre presse, particulièrement dans la revue libertaire Estudios qui comme nous l’avons déjà dit, tirait jusqu’à 75.000 exemplaires (dans un pays de 24 millions d’habitants, avec une moyenne d’au moins 40 % d’illettrés, ne l’oublions pas). L’esprit de nombreux militants était donc éveillé à ces problèmes (3). Ensuite, la désorganisation des services sanitaires administrés par le personnel religieux, qui après le 19 juillet, disparut du jour au lendemain des hospices, des dispensaires, et autres institutions de bienfaisance, fit improviser de nouvelles méthodes d’organisation et fonder de nouveaux établissements non seulement pour continuer de donner aux malades, aux aveugles, aux infirmes, les soins nécessités par eux, mais pour opérer, panser, soigner les blessés de la guerre civile qui affluaient sans cesse.
L’initiative individuelle et collective intervint donc ; des demeures seigneuriales furent réquisitionnées où l’on organisa des salles, on installa des lits, et non pas dans le désordre, car la CNT-AIT avait donné l’habitude de l’organisation, ce qui fut un facteur essentiel dans de nombreux cas. Puis l’importance du problème sanitaire apparut, dans toute son ampleur, et si vaste que la Fédération des services correspondants figura très vite parmi les seize grandes divisions organiques dans lesquelles l’ensemble de la vie du pays était divisé selon un plan national peut-être excessivement organisateur.
C’est ainsi qu’à Barcelone le Syndicat des services sanitaires apparut en septembre 1936.
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Mais avant d’aller plus loin, nous devons, par souci d’objectivité, mentionner l’apparition, à la même époque, d’un élément nouveau dans cette vaste improvisation. En ce mois de septembre 1936, devant l’exigence publique d’une unification des forces antifranquistes, la CNT-AIT décida, d’une part, d’entrer au gouvernement national présidé par le leader socialiste Largo Caballero, et d’autre part – un peu avant même – d’entrer au gouvernement catalan. Parmi les trois « conseillers » catalans qu’elle nomma, l’un d’eux, Garcia Birlan, le collaborateur le plus connu de la presse libertaire espagnole (sous le pseudonyme de Dionisios) fut désigné pour occuper le ministère de la santé. Il choisit ses collaborateurs parmi ses camarades d’idées, et c’est ainsi que le docteur Félix Marti Ibañez, déjà nommé, fut nommé directeur général des services sanitaires et de l’assistance sociale de Catalogne.
On comprend qu’un gouvernement où étaient représentées les diverses tendances politiques antifranquistes : républicains centralistes (deux partis), républicains fédéralistes, catalanistes de gauche, catalanistes de droite, socialistes, communistes, trotskystes (ou trotskysants) du POUM, enfin libertaires représentant la CNT-AIT, devait se préoccuper de la santé publique. Il y eut donc un ministère correspondant. Mais il convient de signaler que c’est à des libertaires qu’il s’adressa pour accomplir la besogne nécessaire. Une étude approfondie montrerait que le cas s’est répété très souvent. Aussi, toujours en Catalogne, l’œuvre du ministère de l’Instruction publique fut accomplie, dans ses réalisations pratiques, et souvent très belles, par des instituteurs et pédagogues militants libertaires de la CNT-AIT. Ainsi, dans les Asturies, le contrôle des activités se rapportant à la pêche, un des facteurs économiques les plus importants à l’époque, fut confié à un organisme gouvernemental spécialement constitué, mais à son tour cet organisme chargea les militants et les Syndicats de la CNT-AIT de faire le travail pratique.
Une des raisons qui explique cette attitude officielle envers les services sanitaires officiels fut aussi que la CNT-AIT pouvait, grâce à son audience dans les masses prolétariennes, et son esprit constructif et organisateur, être un auxiliaire précieux, et même nécessaire, quoique le gouvernement, ou ce qui en tenait lieu, avait l’avantage de disposer de ressources financières que l’on n’avait pas du côté révolutionnaire.
La conséquence de la situation créée en Catalogne fut que l’existence de ces deux formes d’activité, à la fois divergentes et convergentes, allait provoquer une rivalité fraternelle et inévitable. Nous en avons le témoignage dans le livre intitulé Obra (Œuvre) que le docteur Marti Ibañez publia en novembre 1937. Dans ce livre, l’auteur, que les manœuvres staliniennes obligèrent à quitter son poste, expose ce que ses collaborateurs et lui-même avaient réalisé. Description enthousiaste, impressionnante, et convaincante. Son ministère fit plus en dix mois, que n’avaient fait les autres ministères catalans en cinq ans de république. Il est vrai que la situation révolutionnaire, et la participation des militants cénétistes – qui réalisaient sur les deux tableaux – permettaient d’accélérer la cadence des réalisations.
Nous n’en sommes que plus intéressé à établir un parallèle entre l’action de l’organisme gouvernemental et celle de l’organisme syndical, tous deux aux mains de libertaires. A ce sujet, le docteur Marti Ibañez commence par rendre hommage à l’élan créateur des membres de la CNT-AIT, dont il était. Dès le premier jour du combat, dit-il, « nous, médecins de la CNT-AIT, avons constitué, grâce à l’Organisation sanitaire ouvrière le premier contrôle sanitaire qui fut aussi le premier effort de cohésion organique des services sanitaires de Catalogne. Quand le moment sera venu, nous décrirons ces journées frénétiques au cours desquelles le contrôle sanitaire de la CNT-AIT improvisait, à une vitesse vertigineuse, les solutions que réclamaient les innombrables problèmes qui surgissaient sans discontinuer ».
Cette activité « frénétique » de notre mouvement indépendant continua, et elle explique le puissant démarrage du Syndicat constitué par la suite. Et que le bilan des deux modes d’organisation soit tout en faveur de la création directe, selon les principes de la CNT-AIT. Car, tout d’abord, comme nous l’avons vu, c’est du mouvement syndical, des militants syndicaux, même si l’organisation sanitaire spécifique n’était pas encore constituée, que tout partit, en somme Garcia Birlan et Félix Marti Ibañez ne firent que transférer au ministère de la Santé ce qui vivait déjà dans la pensée, dans l’âme des utopistes impatients de changer l’utopie en réalité.
Puis, en approfondissant un peu les choses, nous constatons, indépendamment des avantages financiers dont put disposer le ministère, et de l’aide qu’il reçut de l’organisation syndicale grâce à la fraternité d’action des militants se connaissant entre eux, et des industries apportant les éléments techniques nécessaires, que les nouveaux hôpitaux placés sous l’égide de caractère gouvernemental n’étaient que d’anciens établissements dont on avait changé le nom, alors que ceux, beaucoup plus nombreux revendiqués par le Syndicat furent, avec infiniment moins de moyens, créés de toutes pièces.
Nous ne soulignons pas ces faits dans un but mesquin qui n’apparut pas du reste dans l’esprit et les relations de nos camarades situés d’un côté et de l’autre, mais pour que l’on comprenne mieux l’importance de l’œuvre réalisée par notre organisation syndicale. Revenons à ce sujet.
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Nous avons dit que le Syndicat des services sanitaires se constitua à Barcelone en septembre 1936 (4). Cinq mois plus tard il comptait 1.020 médecins, de toutes spécialités ; 3.206 infirmiers ; 330 sages-femmes ; 633 dentistes ; 71 spécialistes en diathermie ; 10 spécialistes indéfinis; 153 herboristes ; 203 stagiaires ; 180 pharmaciens ; 663 aides-pharmaciens ; 335 préparateurs de matériel sanitaire, un certain nombre de masseurs dont nous n’avons pas le chiffre exact, et 220 vétérinaires. En tout, plus de 7.000 personnes organisées selon les normes libertaires et industrielles des Syndicats de la CNT-AIT, de façon à intégrer; toutes les activités concourant à une oeuvre d’ensemble et à harmoniser leurs différents aspects (5).
Pour mieux préciser la valeur de ces chiffres, signalons que la Catalogne comptait alors 2.500.000 habitants.
Une fois de plus s’amalgament le principe moral de la solidarité humaine et celui de la coordination technique visant à la plus grande efficacité. Ce qui s’explique d’autant mieux qu’il s’agit à la fois de faire face à une situation passagère très grave, et aussi de réorganiser fondamentalement, sous l’inspiration d’un grand but social, toute la pratique de la médecine et des activités sanitaires.
Tâche alors bien nécessaire en Espagne où sur 24 millions d’habitants il mourait annuellement, pour des causes presque exclusivement sociales, 80.000 enfants de moins d’un an ; où, par exemple, dans le 5e arrondissement de Barcelone, district spécifiquement ouvrier, le pourcentage de la mortalité infantile générale était plus du double de celui enregistré dans le 4e arrondissement, spécifiquement bourgeois (6). Les données démographiques de l’époque montrent que pour l’ensemble de la population la mortalité atteignait à 18-19 pour 1 000 : un des pourcentages les plus élevés d’Europe, malgré la salubrité du climat.
Aussi nos camarades posèrent-ils, dès le début, les bases d’une restructuration générale des services sanitaires. Je n’ai pu savoir, en détail, compte tenu des activités absorbantes des animateurs, comment fut réalisée cette oeuvre de base, ni quelle en fut l’ampleur véritable. Je ne pourrai donc que la résumer imparfaitement, montrer une partie des résultats atteints, résumer les plans établis pour l’avenir au moment où je pus me livrer à cette étude, enregistrer les données certaines que j’ai pu recueillir.
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En Catalogne, la région fut d’abord divisée en neuf grands secteurs : Barcelone, Tarragone, Lérida, Gérone (7), Tortosa, Reus, Borgueda, Ripoll, et la zone pyrénéenne quelque peu perdue dans les montagnes. Puis, autour de ces neuf centres furent constitués 26 centres secondaires répondant à la densité de la population et aux exigences de la santé publique. En tout, 35 centres plus ou moins importants, couvrant l’ensemble des quatre provinces, de façon à embrasser le tout, si bien que pas un village, pas un hameau perdu, pas une ferme ou un mas isolé, pas un homme, une femme, un enfant n’était privé de protection sanitaire ou d’assistance médicale.
Parallèlement, et complémentairement, chaque grand secteur comptait un centre médical technique, un centre syndical dont le comité cantonal contrôlait, et en partie dirigeait les services.
A leur tour, les comités cantonaux étaient ramifiés, selon le principe fédéral, à Barcelone qui disposait de plus de moyens techniques et d’établissements spécialisés, et où l’on transportait par ambulance ou par taxi les malades nécessitant des soins urgents ou un traitement exceptionnel.
Les sections constituées par spécialités étaient autonomes quant à leur mode d’organisation au sein du Syndicat, mais leur autonomie n’impliquait pas indépendance absolue, encore moins isolement ou indifférence devant le besoin de coordination. Chaque semaine, le Comité central de Barcelone, que l’assemblée plénière renouvelait périodiquement, – ou modifiait, selon les cas – se réunissait avec les délégués des neuf premières zones. Techniquement et géographiquement, l’esprit d’ensemble était toujours présent, le fédéralisme toujours constructif.
Très vite, la population reçut le bénéfice de cette vaste initiative. En un an, à Barcelone seulement, six hôpitaux nouveaux avaient été créés : l’Hôpital prolétarien, l’Hôpital du peuple, l’Hôpital Pompée, deux hôpitaux militaires pour les blessés de guerre, et le Pavillon de Roumanie. Simultanément, neuf sanatoriums étaient apparus en différents endroits de Catalogne : le Sanatorium maritime de Calafell, celui de La Florida, le Pavillon Idéal de Valvidrera, le Sanatorium de la Bonanova, celui de Tres Torres, l’Hôtel de Montserrat, celui de Terramar, à Sitges, et le Sanatorium de San Andrés.
Ces sanatoriums étaient généralement implantés dans des propriétés dont on avait pris possession, et qui se trouvaient en pleine montagne, au milieu des pins, sur des hauteurs d’où l’on dominait la campagne ou la mer.
L’organisation interne des hôpitaux fut moins facile. Il fallut improviser des installations nouvelles répondant aux exigences et aux besoins sanitaires les plus immédiats.
Résumons pourtant : il y avait à Barcelone, à l’époque à laquelle nous nous référons (juin 1937), 18 hôpitaux gérés par le Syndicat de la Médecine (dont 6 créés par lui), 17 sanatoriums, 22 cliniques, six établissements psychiatriques, 3 asiles, une maternité à quoi il fallait ajouter deux pavillons adjoints à l’Hôpital général, jusqu’alors appelé Hôpital San Pablo ; l’un pour la tuberculose osseuse, et l’autre pour l’orthopédie. « Cela, me disaient mes camarades avec fierté, fera de cet hôpital un des meilleurs du monde. »
Des polycliniques furent installées dans toutes les localités catalanes d’une certaine importance, auxquelles étaient rattachées les localités mineures. Elles comptaient des spécialistes des différentes branches de la médecine, et étaient dotées de matériel sanitaire permettant d’éviter l’entassement des malades ou des blessés dans quelques grands centres.
Tout comme les autres travailleurs, les médecins étaient envoyés où le besoin s’en faisait le plus sentir. Si, auparavant, ils étaient en surnombre dans les villes les plus riches, cette situation avait disparu. Quand les habitants d’une localité en sollicitaient un au Syndicat, celui-ci s’informait d’abord des besoins locaux, puis il choisissait sur la liste de ses membres disponibles, le praticien qui, par sa formation, pouvait le mieux répondre à l’état sanitaire de l’endroit. Et il fallait avoir des raisons vraiment sérieuses pour refuser la place offerte. Car on considérait que la médecine était au service de la société, non la société au service de la médecine. Le devoir social demeurait au premier plan.
Le Syndicat manquant d’argent, les ressources financières des hôpitaux étaient fournies en partie par le gouvernement catalan et en partie par les municipalités. Celles des polycliniques fonctionnant dans les petites villes et les villages provenaient de l’apport local des municipalités et de l’ensemble des Syndicats, qui soutenaient aussi, et administraient les cliniques dentaires.
Telles étaient les premières réalisations de la socialisation de la médecine.
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Toutefois, après un an, il n’avait pas encore été possible de faire disparaître – et peut-être, dans l’intérêt des malades, n’était-ce pas tout à fait souhaitable – le médecin exerçant individuellement. Mais déjà le Syndicat avait extirpé les abus, hier si fréquents. Il avait fixé les tarifs des consultations et des opérations, et il exerçait un contrôle rigoureux grâce à la méthode que nous avons vu pratiquer pour d’autres services à Castellon de la Plana, à Alicante ou à Fraga. Les malades qui avaient recours à un médecin ou à un chirurgien particulier payaient les services obtenus par l’intermédiaire du Syndicat qui tenait une comptabilité vigilante.
Dans les cliniques nouvelles, on opérait gratuitement ; et, gratuitement aussi, on soignait les malades dans les hôpitaux psychiatriques.
Quelle a été l’attitude des médecins devant ce bouleversement ? On peut donner des réponses différentes, voire contradictoires. Mais, m’ont expliqué mes camarades, il y a essentiellement deux groupes : celui des « vieux », qui constituaient la classe privilégiée – dont une partie a abandonné la Catalogne et franchi la frontière française – pour qui la médecine était avant tout une source de profits abondants ; ce groupe, comme on s’en doute, n’est guère satisfait du changement survenu. L’autre groupe, non encore « arrivé », laisse faire, et même collabore d’assez bon gré à cet ensemble d’innovations.
En échange, les jeunes ont adhéré d’enthousiasme. Pour beaucoup, l’avenir était un problème. Ils devaient, après avoir atteint leur doctorat, travailler à peu près gratuitement dans les hôpitaux et les sanatoriums. Dans les cliniques, le médecin officiel, très grassement payé, ne venait presque jamais ; un médecin plus jeune le remplaçait, espérant la mort du « patron » pour prendre sa place. Près de lui, un médecin plus jeune encore servait de secrétaire et attendait l’ébranlement de la hiérarchie pour s’élever à son tour.
Maintenant, tous les médecins des hôpitaux touchent cinq cents pesetas par mois pour trois heures de travail quotidien (8). Ils ont, de plus, leurs malades particuliers qui les rétribuent dans les conditions que nous avons vues. Ce n’est pas encore l’égalité économique et nous le savons très bien, mais, dans les limites du possible, un très grand pas a été fait. Il n’y a plus de « señores doctores » touchant des rétributions énormes et des médecins vivant presque dans la pauvreté. Dans les hôpitaux, les cliniques, etc., nul ne peut toucher deux traitements. Plus de la moitié des praticiens collaborent gratuitement à des activités de leur ressort, en dehors du temps de travail payé.
Et ils le font avec plaisir, d’accord avec le Syndicat, même quand ils ne sont pas syndiqués, et sans qu’il soit besoin d’user d’autorité. « Ce qui est le plus beau, me disait le secrétaire de la section des médecins, un Basque enthousiaste et infatigable, c’est la révolution morale qui s’est produite dans la profession. Tout le monde fait honnêtement son travail. Le médecin renommé que l’on envoie une fois par semaine travailler sans rétribution à un dispensaire de quartier n’y manque jamais. Le personnage important qui, autrefois, parcourait les salles de l’hôpital suivi d’une demi-douzaine de confrères de qualification inférieure, l’un portant la cuvette, l’autre la serviette, le troisième le stéthoscope, le quatrième ouvrant la porte, le cinquième la fermant, et tous s’humiliant devant une autorité qui n’était pas toujours scientifique, ce personnage a disparu. Aujourd’hui il n’y a que des égaux qui s’estiment et se respectent. »
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Après avoir vu ce qui a été fait pour la seule médecine, et les activités connexes, voyons les projets qui s’élaboraient dans les Syndicats et dans les commissions par eux spécialement nommées. Une des mesures prises concerne l’organisation générale de tout ce qui se rapporte aux produits pharmaceutiques. A la fin de 1937, un plan avait été établi, qui distribuait les activités s’y rapportant en quatre groupes : laboratoire et centre de recherches ; fabrication, distribution générale massive ; distribution aux usagers (9).
Les quatre secteurs en état d’organisation sont représentés dans une Commission d’étude qui assume la responsabilité totale des travaux tendant à satisfaire aux besoins de la population. Mais on veut que l’Union générale des travailleurs – l’UGT – prenne aussi part à ces efforts, car beaucoup de pharmaciens – boutiquiers se sont inscrits à l’organisation rivale qui, officiellement, s’oppose à la socialisation.
Le rôle de chacun de ces secteurs a été précisé comme suit : le laboratoire de recherche doit être l’axe autour duquel se développeront les initiatives générales. Il coordonnera l’ensemble des études et disposera des moyens techniques dont l’emploi sera concentré par lui.
Disposant des moyens nécessaires, la section de fabrication groupera les laboratoires et les fabriques de produits pharmaceutiques, coordonnant et planifiant leurs activités.
Le magasin général, ou central, sera destiné à contrôler les centres de fournitures en gros ; il doit aussi centraliser l’administration de l’ensemble.
Enfin, la section de distribution régularisera l’implantation des points de vente locaux d’après les besoins de la population, et naturellement en accord avec les distributeurs au premier degré.
Mais de nouvelles initiatives se font jour à tout moment. On projette l’amélioration des soins donnés aux accidentés du travail selon le genre de blessures ; dans les usines et les fabriques importantes, des services médicaux permanents sont organisés, ce qui permettra d’échapper en partie à l’emprise des compagnies d’assurance. Les blessés incurables et les décès passeront à la Caisse nationale de prévoyance qui est aux mains de l’Etat (10).
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Nous avons vu jusqu’à maintenant ce qui a été fait en Catalogne, avec, pour moteur principal, le Syndicat de Barcelone qui groupait plus de sept mille professionnels divers (et sans doute leur nombre augmenta-t-il par la suite) de la médecine et des activités connexes. Il est certain que, toujours dans la même région, on est allé beaucoup plus loin, mais l’auteur n’a pu faire plus de recherches sur place. Toutefois, un élément d’appréciation d’une très grande importance nous permet de voir davantage. L’Espagne en lutte contre le franquisme comptait alors environ la moitié de la population espagnole, soit douze millions d’habitants desquels il fallait retrancher, si nous ne cédons pas à la démagogie de l’époque, ceux qui avaient voté à droite (11) et qui étaient plus ou moins pro-fascistes. Or, au mois de février 1937, se tint à Valence le congrès de la Fédération des Syndicats uniques de salubrité.
Ces Syndicats, répandus dans les différentes villes de l’Espagne dite républicaine, étaient une quarantaine en tout, et groupaient quarante mille adhérents, dont les divers effectifs de celui de Barcelone nous font comprendre la composition. Cela permet de supposer combien de tâches furent assumées, et d’initiatives prises dans cette effervescence créatrice.
Mais, même si nous n’avons pas pu aller, de ville en ville, d’hôpital en hôpital et de clinique en clinique, pour écrire un livre volumineux, des éléments, des matériaux originaux nous sont parvenus ou nous furent remis, que nous avons pu, en grande partie, miraculeusement sauver. Ils nous prouvent une fois de plus que sans cette prise en charge des services médicaux et sanitaires par les Syndicats de la CNT-AIT auxquels s’étaient souvent joints les Syndicats locaux de l’UGT dans une émouvante fraternité d’esprit, non seulement l’organisation publique et privée des services hospitaliers et sanitaires ne se serait pas développée, mais celle existante aurait, en grande partie, périclité.
Car, en cette matière, l’initiative officielle à l’échelle nationale fut nulle à 95 pour cent (et nous laissons une marge par souci d’objectivité). Ce sont les Syndicats, et les syndiqués, qui se chargèrent, souvent avec les responsables militaires, d’organiser les hôpitaux de campagne à l’arrière des différents fronts. Ce sont eux qui forcèrent les pharmaciens récalcitrants, crypto-fascistes ou fascistes, à ouvrir leurs boutiques, ou qui saisirent ces dernières quand leurs propriétaires s’étaient éclipsés. Ce sont les Syndicats sanitaires de la CNT-AIT qui organisèrent, ici souvent encore avec les services correspondants de l’appareil militaire, l’évacuation d’un grand nombre de vieillards, de femmes et d’enfants menacés dans les zones de guerre ; eux qui fondèrent les brigades antigaz, et, très souvent aidés par les municipalités, des postes de secours immédiats ; eux qui prirent part à la construction de refuges contre les bombardements.
Et naturellement, bien que nous n’ayons pas de renseignements chiffrés, il est certain que grâce à eux bon nombre d’hôpitaux, de dispensaires, de cliniques, de maisons de repos ont surgi dans le Levant, en Castille, dans les Asturies, etc. L’Etat s’est, à ce sujet, caractérisé par son incapacité, et le ministre de la Santé, inapte et inepte, passait davantage son temps à prononcer des discours démagogiques qu’à remplir la mission dont il était chargé. Il y aurait bien des anecdotes à raconter à ce sujet (12).
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C’est sous l’inspiration de cet esprit que se tint, en février 1937, le congrès national de la Fédération des Syndicats uniques de Salubrité dont nous avons déjà parlé. Cela avait lieu exactement sept mois après le déclenchement de l’attaque franquiste. Retenez-le bien.
Voyons les principales résolutions de ce congrès. Voici d’abord le premier paragraphe de la motion qui fut alors présentée par les fédérations sanitaires de Catalogne, du Centre et du Levant, sur les Fonctions générales et spécifiques des Syndicats uniques de la Santé publique (13) :
« Les Syndicats uniques de la Santé publique ont pour mission primordiale la mise en pratique d’un Plan sanitaire et d’assistance sociale dans la région où ils se trouvent, de telle façon que, dans cette organisation d’ensemble, les fédérations cantonales et locales constituent les maillons d’une chaîne générale ; sur ces bases, le plan national se constituera et sera mis en vigueur en tenant compte des initiatives approuvées par les fédérations locales, cantonales et régionales, le tout se ramifiant dans l’organisme supérieur.«
On ne peut pas dire plus en si peu de mots. Et nous ne croyons pas non plus qu’aucun régime, de libre entreprise ou d’Etat n’ait jamais énoncé des buts aussi précis, ni spécifié un plan aussi général, aussi concret, et la manière de le réaliser.
La résolution insistait ensuite sur le but social recherché et sur les principes d’organisation adoptés ainsi que sur les problèmes posés par la structuration générale des services sanitaires et la défense de la santé publique. Mais en élargissant les uns et les autres :
« Il s’agit dans l’ensemble d’établir des services ayant pour but de protéger ou de rétablir la santé, d’une part en fomentant la prospérité économique et en augmentant le bien-être, d’autre part en faisant disparaître ce qui est préjudiciel à la santé publique ; dans ce but, les Syndicats uniques de la Santé publique proposent l’union des ouvriers, des techniciens et des savants, union indispensable pour cette Santé publique et pour l’économie nationale.«
Conception sociologique de la médecine ; elle embrasse tout ce qui y est attaché, tout ce qui en dépend et dont elle dépend. La solidarité de tous les aspects de la vie sociale est ici présente. Et la résolution, qui n’oublie rien, aborde d’autres facteurs qui conditionnent l’atteinte des buts poursuivis : elle demande « la réorganisation de l’enseignement technique » « afin d’élever le niveau intellectuel des travailleurs de la Santé publique » ; « l’organisation de cours, d’écoles et d’ateliers d’orientation professionnelle » ; « l’éducation sanitaire de la population et la divulgation de connaissances sur les soins urgents » ; la formation « de spécialistes pour anormaux, aveugles, etc.« . Enfin elle recommande « l’organisation dans les Syndicats sanitaires d’un Conseil économique » et de « Comités de contrôle technique et administratif des cliniques, des sanatoriums et autres institutions connexes, ayant des sections de statistiques, prenant des mesures adéquates pour stimuler l’organisation collective, et organisant des centres de travail pour fomenter le développement des diverses sections et des divers services.«
Les tâches des Syndicats ont été divisées en quatre groupes principaux :
a) L’assistance médicale générale.
b) L’hygiène et la salubrité sociales, en rapport avec l’organisation générale de la société dans son ensemble.
c) L’inspection sanitaire.
d) L’assistance sociale.
Les différents aspects des tâches de l’assistance médicale globale sont énumérés en vingt et un points dont nous citerons l’assistance à domicile, en dispensaires, en cliniques chirurgicales spécialisées, en cliniques pédologiques, psychiatriques, gynécologiques, et dermo-vénériennes. Les cliniques seront organisées à l’échelle locale, cantonale et régionale, ainsi que les maternités, sanatoriums, préventoriums, instituts Roentgen, les maisons de convalescence, etc. L’ensemble de ces établissements spécialisés devrait constituer un réseau par lequel tout serait rationnellement coordonné.
La résolution adoptée sur le deuxième point à l’ordre du jour prévoyait aussi l’organisation sanitaire aux différents échelons géographiques ; la création d’instituts d’hygiène ; la généralisation de l’éducation physique avec stades, piscines, gymnases, etc., la lutte contre les rongeurs et contre les insectes nuisibles, toutes choses partiellement réalisées certains autres pays, mais pas en Espagne dans et surtout ne pouvant réussir que d’après un plan social impossible dans un régime d’économie individualiste, ou dans lequel la bureaucratie domine à peu près tout.
Cette vision d’ensemble et des différents aspects complémentaires des problèmes explique que les soins donnés aux animaux, et la façon de les nourrir aient été considérés comme une des tâches de la salubrité publique, faisant partie des responsabilités sociales de la Fédération. A nouveau nous sortons du cadre corporatif, et si certaines assimilations peuvent choquer, elles apparaissent justifiées au regard de l’intérêt général.
A ce même congrès furent présentés des projets et des plans de lutte contre diverses maladies, surtout les maladies contagieuses. Parmi celles-ci figurait en premier lieu la tuberculose. La délégation catalane, par l’intermédiaire de son secrétaire basque, présenta un projet qui, après examen attentif, allait servir de modèle aux autres régions. Sa lecture nous permet de mesurer l’intensité et l’ampleur de l’effort qui aurait été accompli si le fascisme n’avait pas triomphé.
Après un exposé illustré de nombreuses statistiques sur la gravité du mal, les formes et les causes sociales de la contagion, les auteurs exposaient les divers aspects de la lutte préventive : surveillance des futures mamans, développement général de l’hygiène, large emploi « du pic et de la truelle » pour démolir tant de maisons insalubres et des quartiers croupissants, véritables bouillons de culture, et reconstruire selon les normes dictées par l’hygiène ; transformation des locaux scolaires, à situer de préférence en dehors des villes.
Puis venait l’énumération des moyens de lutte directe contre le mal.
En ce qui concernait les villes, grandes, moyennes et petites, l’élément de base accepté fut celui des dispensaires antituberculeux établis stratégiquement, toujours selon un plan d’ensemble répondant à la fois à l’importance des foyers détectés, à la densité et au mode de vie des populations. Grâce aux médecins spécialisés dont ils disposeraient, ces dispensaires se livreraient à un dépistage systématique dans les Collectivités, particulièrement juvéniles (écoles, instituts, universités, ateliers, casernes) (14). Les médecins ainsi détachés garderaient un contact nécessaire et obligatoire, établissant des rapports et des fiches qui seraient soigneusement classées et utilisées.
Les villes seraient le siège de dispensaires centraux qui coordonneraient les activités de ceux établis dans les localités moins importantes, afin de suivre méthodiquement les résultats obtenus et de modifier ou améliorer les modalités d’action selon les leçons de l’expérience. Chaque faubourg de Barcelone devrait compter au moins un dispensaire, et il était en outre proposé d’en fonder un dans les villes catalanes de Gérone, Tarragone, Lérida, Badalone, Mataro, Seo de Urgell, San Feliu de Guixols, La Bisbal, Manresa, Solsona, Cardona, Tremp, Sort, Viella, Balaguer, Tarrega, Cervera, Igualada, Villafranca, Vendrell, Vilanova, Reus, Tortosa et Gandesa.
Tous ces centres devaient être en contact organique avec le contrôle épidémiologique établi dans la capitale catalane, afin de suivre dans toute la région les progrès de la lutte menée.
Pour les tâches immédiates suivait une statistique précise du nombre de tuberculeux admis dans les hôpitaux de Catalogne, du nombre de lits disponibles installés et de ceux dont l’installation était urgente. Il avait été possible de recueillir et de coordonner ces renseignements grâce au travail des syndicats et à la fédération qui englobait le tout.
Ces recherches restaient à faire et ces initiatives devaient prendre corps dans les autres régions d’Espagne. Nous ne savons quand on y serait parvenu dans le Levant, en Castille, en Aragon (où le fléau stalinien n’avait pas encore fait de ravages). Mais, si la société nouvelle avait été établie, une telle organisation n’aurait pas tardé à surgir partout. Car la médecine n’était pas seulement une initiative des médecins militants libertaires. Partout où nous avons pu étudier les villages, les petites villes transformées par la révolution, la médecine, les hôpitaux existants avaient été municipalisés, agrandis, placés sous l’égide de la collectivité. Et quand il n’y en avait pas, on en avait improvisé. La socialisation de la médecine devenait le fait de tous. Elle constituait l’une des réalisations les plus remarquables de la révolution espagnole.
(1) Mort récemment en exil, au Mexique.
(2) En 1970, cette Société continue d’exister malgré le franquisme, comme continue d’exister la Verrerie coopérative de Mataro, en Catalogne, verrerie fondée bien avant 1936, et dont l’animateur fut Juan Peyro, ministre de l’industrie dans le gouvernement de Valence, que Hitler livra à Franco (il s’était réfugié en France) et que ce dernier fit fusiller devant son refus de prendre la tête des syndicats phalangistes.
Il est du reste remarquable qu’à plusieurs reprises l’offre fut faite à nos camarades emprisonnés d’être mis en liberté s’ils acceptaient de prendre la tête du syndicalisme « vertical » fasciste. Naturellement elle fut repoussée et nos camarades restèrent dans les bagnes ou les prisons.
(3) Signalons en outre que de nombreuses conférences avaient, pendant des années, été données par des médecins sympathisants dans les Centros Obreros (Centres ouvriers) équivalant aux bourses du travail françaises, à l’architecture moins imposante, mais à l’esprit plus militant.
(4) Des organismes semblables surgirent certainement à la même époque dans d’autres villes d’Espagne : les chiffres du Congrès de Valence permettent de le supposer. Mais l’auteur ne put mener son enquête plus à fond.
(5) En plus du nombre d’adhérents directs, il faut compter le concours apporté par nombre de médecins, infirmiers, etc., qui ne crurent pas utile d’adhérer au Syndicat.
(6) Ces différences n’étaient pas particulières à l’Espagne, mais elles y étaient plus prononcées que dans d’autres pays, et poussaient davantage à changer l’état de choses existant.
(7) Ces quatre villes étaient les capitales des quatre provinces catalanes.
(8) Elément de comparaison : toujours à Barcelone, au moment considéré (juillet 1937), un bon ouvrier gagnait, en moyenne, de 350 à 400 pesetas par mois pour huit heures de travail par jour.
(9) On retrouve ici ce qui est peut-être plus une tendance humaine et une éthique qu’un principe rationnel d’organisation, de la coordination et de l’harmonisation continuelle des efforts.
(10) Que des libertaires aient pensé à une telle solution qui implique la reconnaissance de l’existence de l’Etat (mais reconnaître l’existence d’un fait n’entraîne pas son approbation) peut surprendre et faire se récrier les théoriciens ignorant les faits pratiques. Mais d’abord le Syndicat et tous les Syndicats ne possédaient pas les fonds accumulés par les services d’Etat grâce à une législation spéciale, et qui devaient représenter des sommes énormes. Ensuite, comme nous l’avons maintes fois répété, nous étions dans une situation mixte, et terriblement complexe, où l’Etat, le gouvernement, les partis politiques, des restes du capital privé, de la propriété individuelle et du commerce privé subsistaient, où l’économie, même socialisée, payait des impôts, etc. Dans cette situation, de nombreuses activités échappaient à notre contrôle.
(11) Nous n’avons pas sous la main les statistiques des voix obtenues par les droites, réactionnaires et fascistes ou semi-fascistes aux élections de février 1936, dans les provinces qui composaient l’Espagne « républicaine » dans la période 1936-1939, mais il est évident qu’il y en eut un nombre assez important. D’autre part, les antifranquistes vivant dans les provinces occupées par Franco étaient réduits à l’impuissance. Si l’on admet qu’au bout de la première année Franco dominait la moitié de la population espagnole, l’avantage numérique était déjà de son côté, contrairement à ce qu’affirmait une démagogie d’autant plus stupide que ses auteurs y croyaient.
(12) En voici une, que nous relatons sans plaisir, mais qui en dit long sur la corruption morale qu’entraîne l’exercice du pouvoir. Deux infirmières libertaires avaient organisé, au prix d’efforts inouïs et d’ingéniosité, un hôpital de campagne dans la petite ville andalouse de Ronda, province de Malaga. Comme il leur manquait des ressources financières pour se procurer certain matériel, elles décidèrent d’aller à Valence, voir le ministre de la santé, qui appartenait au même mouvement qu’elles. Elles se présentèrent à son domicile, mais n’y trouvèrent que le chauffeur qui les prit dans la voiture du ministre et les conduisit au cabinet de ce dernier. La seule réaction du ministre fut d’invectiver le chauffeur qui avait amené ces deux femmes dans son automobile et sans sa permission. Alors nos deux Andalouses se déchaînèrent, et le ministre en entendit pour son grade. Mais les deux Andalouses revinrent les mains vides.
(13) Et signées respectivement par José Ibuzquiza (le Basque dont il a été question), Candido Peña et F. Tadeo Campuzano.
(14) Nous n’étions pas encore à la fin de la guerre.
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Pour approfondir, série de Brochures sur la santé pendant la révolution espagnole :
LA SANTE PAR LA REVOLUTION, LA REVOLUTION PAR LA SANTE
LES ANARCHOSYNDICALISTES ET LA SANTE PENDANT LA REVOLUTION ESPAGNOLE (1936-1938)
Les brochures peuvent être téléchargées en ligne en cliquant sur les liens ci-dessous. Chaque brochure peut être commandée au format papier (séparément 8 Euros chaque frais de port compris, ou bien 20 euros pour les quatre), chèques à l’ordre de CNT-AIT (mention brochure Santé au dos) à adresser à CNT-AIT, 7 rue St Rémésy 31000 Toulouse
I. Un exemple de réponse anarchosyndicaliste à une crise sanitaire et politique soudaine et inédite
- INTRODUCTION : la Santé par la Révolution, la Révolution par la Santé
- Quelques précurseurs : critiques anarchistes de la médecine
- Bref Panorama historique de la santé anarchiste en Espagne
- Sur le rôle des techniciens en période révolutionnaire
- Anarchosyndicalisme et santé à l’arrière et au front : le cas de Valence et de la Colonne de fer dans la guerre civile espagnole ((1936-1937)
- « Santé, performance et activité » ! L’Organisation Sanitaire Ouvrière, la CNT-AIT et la collectivisation des services médico-sanitaire au déclenchement de la révolution à Barcelone
- L’hôpital de campagne de la CNT-AIT de Villajoyosa (Alicante)
- « À l’hôpital …»
II. La mise en place d’une santé publique anarchiste :
- L’anarchisme espagnol dans le débat sur la santé en Espagne: santé, maladie et médecine (1930-1939)
- Vers une définition de la Santé Anarchiste : le Congrès National de la Santé de mars 1937
- La santé dans la Révolution sociale et libertaire de 1936
- La Santé et l’Assistance Sociale pendant la Guerre Civile par Federica MONTSENY (1986)
- Psychologie et Anarchisme dans la Guerre Civile espagnole : l’œuvre de Félix Martí Ibáñez
III. La légalisation de l’avortement pendant la Révolution espagnole, Suivi de Les anarchosyndicalistes et la vasectomie dans les années 1930
- Histoire de l’avortement en Espagne: le décret de la Generalitat de Catalogne, 25 décembre 1936.
- Y a-t-il eu des avortements légaux en Espagne pendant la Révolution ? Les entraves des médecins à la mise en place du Décret de 1936.
- Décret de la réforme de l’avortement approuvé en 1936 par la Generalitat de Catalogne.
- Sexologie populaire : l’oeuvre de vulgarisation scientifique des anarchistes espagnols.
- Les anarchosyndicalistes et la vasectomie dans les années 1930, réseaux internationaux, pratiques et débats
- Le mouvement eugéniste sans l’état : l’engagement des anarchistes catalans avec l’eugénisme.