Déclaration de la DAF (Action Anarchiste Révolutionnaire) de Turquie sur la guerre en Syrie et la crise des réfugiés
La guerre en Syrie s’intensifie.
Les développements tant attendus ont commencé à se produire à Idlib, où est le dernier point de la guerre [en Syrie] et le dernier point où ont été bloqués les gangs djihadistes soutenus par l’armée Turque (TAF, Turkish Armed Forces). Les troupes de l’armée turque ont été attaquées par des frappes aériennes dans la nuit du 27 au 28 février – peu de temps avant l’expiration de l’ »ultimatum » que la République Turque (Türkiye Cumhuriyeti) avait fixé à l’Armée syrienne pour se retirer des lieux qu’elle occupe à Idlib – Selon des chiffres officiels turcs, 34 soldats sont morts à la suite de cette frappe aérienne effectuée par l’aviation Syrienne toujours selon des sources turques. De son côté, le ministère russe de la Défense à fait une déclaration, envoyant un message à Ankara : les éléments des forces armées turques ne doivent pas quitter les postes d’observation établis conformément à l’accord de Sotchi. Le message « frappant » dans cette déclaration était que « l’armée de l’air syrienne a chercher à frapper des cibles du HTS (Hayʼat Taḥrīr al-Shām, Comité de libération du Levant), zone dans laquelle les troupes armées turques n’étaient pas censées se trouver « . Avec ces déclarations, la Russie a pointé avec insistance le partenariat de la République Turque avec le groupe HTS, groupe issu d’Al-Qaïda et qui est reconnu comme organisation terroriste par le monde entier.
La guerre se développe rapidement, avec le martellement par l’Etat d’un langage sur « l’héroïsme », avec les médias qui à tout vitesse s’équipent avec des uniformes de guerre et avec le fait que la quasi-totalité de l’opposition s’adapte rapidement à cette situation. La dernière frappe aérienne est l’un des tournant historiques de la guerre en Syrie depuis 2011. Nous avons connu l’un de ces tournants historiques le 13 mai 2013, après l’attentat à la bombe à Reyhanlı, qui a coûté la vie à 53 personnes. Après le massacre de Reyhanlı, Erdogan – qui était alors Premier ministre – a déclaré: « Vous savez, maintenant nous sommes en guerre en Syrie ».Bien qu’il n’ait pas dit avec qui ni pourquoi nous étions en guerre en Syrie, nous avons ressenti d’autres reflets choquants de cette guerre dans notre géographie très proches après les massacres de l’aéroport de Suruç, Ankara, Reina, Istanbul Yeşilköy les années suivantes.
Guerre et Opportunisme de l’État
Si la guerre de Syrie a provoqué des conséquences dévastatrices pour les peuples, en revanche, en termes son utilité pour les États de la région ou du monde – et en particulier pour la République Turque – est extrêmement évidente. La République Turque a instrumentalisé la guerre civile en Syrie pour augmenter le nationalisme dans la politique intérieure et pour instaurer l’état d’urgence qui a permis de supprimer de l’opposition de la rue et d’autres pratiques de répression similaires. De même, avec sa présence militaire et administrative dans des régions telles qu’Afrin, le Bouclier de l’Euphrate et Serekaniye, Erdigan a effectivement rempli les promesses du « néo-ottomanisme » envers sa base nationaliste-conservatrice.
Nous savons que les guerres sont les processus permettant aux États de supprimer l’opposition à l’intérieur de leurs frontières, de faire taire les voix contre le pouvoir, d’arrêter les manifestations et d’habituer la société à des pratiques d ‘ »état d’urgence ». En période de guerre, les pratiques « démocratiques » de l’Etat sont mises de côté. La pression sociale et la passivité augmentent.
Le processus de guerre en cours sera utilisé pour mobiliser davantage encore les mécanismes de pression croissants contre la société. Toute parole forte et toute actions contre le fonctionnement actuel seront punies et la violence d’État deviendra plus évidente. D’une part, l’État façonnera ces processus comme bon lui semble, tandis que d’autre part, il utilisera la guerre à ses fins économiques.
La guerre comme solution à la crise économique
La crise économique détruit la vie des opprimés ; mais la guerre permet de mettre sous le tapis la crise économique !
En décembre, le salaire minimum a été amené à 2 324 livres turques TL (340 euros) ! Selon les déclarations des syndicats, les dépenses alimentaires mensuelles minimales (« seuil de faim » ou seuil de pauvreté extrême) nécessaires à une famille de quatre personnes pour être en bonne santé, avec une alimentation équilibrée et adéquate sont de 2219,45 TL. Soit seulement 105 TL de plus que la seuil de faim ! 43% des travailleurs en Turquie travaillent pour le salaire minimum. Mais rien que pour 2019, le budget dépensé par l’État turc pour les forces armées est de 19 milliards de dollars. Selon les données de 2019, la richesse des 25 patrons milliardaires de Turquie est de 43,1 milliards de dollars. Le nombre de travailleurs qui se sont suicidés parce qu’ils n’ont pas pu subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille au cours des 6 dernières années est de 351 !
Alors que les patrons ajoutent de la richesse à leur richesse, un travailleur e la construction s’est immolé par le feu devant le parlement en criant « Je ne peux pas survivre » ; un ouvrier s’est suicidé parce qu’il ne pouvait pas acheter de pantalon pour son fils ; un jeune travailleur s’est brûlé devant le maire de sa ville parce qu’il n’a pas pu trouver d’emploi, un ouvrier industriel s’est finalement jeté dans une chaudière de fonte à 1600 degrés parce qu’il ne pouvait pas aller jusqu’à la fin du mois avec son salaire.
Pour ceux qui travaillent, souvent la somme qu’ils reçoivent dans la main [les payes sont données en liquide] n’est pas suffisante pour vivre ; ceux qui sont à la recherche d’un emploi n’en trouvent pas et deviennent dépendants d’une bouchée de pain. Alors que la crise économique a amené les opprimés au point de pouvoir leur ôter la vie, les riches ont ajouté de l’argent à leur argent en transformant la crise en opportunité et en créant de nouvelles guerres, sans craindre de rien perdre de leur richesse. De nouvelles guerres signifiaient de nouvelles opportunités pour eux. C’était pour eux le moment de faire des discours de guerre sur les plateaux de télé, de décorer des soldats et de pleurer les « martyrs » et d’augmenter leurs parts du gâteau avec des marchés publics de guerre qui ne peuvent être contestés.
Détails de la guerre: les immigrants
Il a été signalé qu’après l’attaque aérienne contre les forces armées turques dans la région d’Idlib en Syrie, l’État a décidé de ne pas empêcher les migrants de passer en Europe par voie terrestre ou maritime. Le porte-parole de l’AKP, le parti d’Erdogan, Ömer Çelik a déclaré: « Notre politique en matière de réfugiés est la même, mais il y a une [nouvelle] situation, nous ne sommes plus en mesure de retenir des réfugiés ». De nombreux immigrants à Izmir, Canakkale et Istanbul ont été dirigés vers les plages et la Thrace. Depuis longtemps l’Europe était menacée par l’accélération des mouvements de migrants vers l’Occident en provenance de Turquie, en cas d’aggravation de la situation à Idlib. L’État utilise les immigrants comme une carte dans son jeu à chaque occasion, il a donc joué avec enthousiasme cet « atout » après le 27 février. Le gouvernement turc, qui ne souhaite pas adresser ouvertement son message à l’UE et à l’Occident, le fait par l’intermédiaire de supporters en Syrie, qu’il va chercher menaçant leur vie. L’État turc n’hésite pas à utiliser les immigrants pour assoir sa position stratégique et il sert son message au monde par le biais de ses médias. L’Etat turc essaie de s’ouvrir un espace [géopolitique], celui d’un Etat qui mènerait le heu, et non un Etat qui subirait la partie.
Position stratégique entre les États
La stratégie de guerre de l’État turc, qui est devenue publique après la guerre, n’est pas seulement axée sur les gains politiques et économiques dans la région actuelle. L’objectif est également d’être l’un des États qui a une « influence » dans l’arène politique interétatique. Le gouvernement turc, qui vise à prendre position dans ce domaine en s’impliquant directement ou en soutenant une des parties dans les guerres qui se poursuivent en Libye, à Chypre, en Égypte et en Syrie, tente également d’étendre sa politique intérieure «auto-décrétée» au-delà de ses frontières.
Cette politique « auto décrétée » a évolué vers une « politique de conquête » avec des intentions nationalistes, et avec le soutien en toutes circonstances des partisans intérieurs de la mentalité conservatrice nationaliste. Le gouvernement essaie d’obtenir sa légitimité en dessinant l’image d’un État qui a une influence sur la politique étrangère et en essayant d’atteindre ce statut par des politiques agressives.
Mais pour eux qui expriment des objectifs à long terme (comme 2023, 2071 (1°) avec une rhétorique épique à chaque occasion, ni les événements du 27 février, ni la perte d’aucune vie à tout autre moment ne sont importants. Alors que chaque projet mégalomane, pétri et façonné conformément aux discours étatistes, est vendu avec des intentions nationalistes et religieuses, le récit des vies perdues dans la guerre n’est pas remis en question et se fond dans l’ambiguïté du martyre de l’État. Quant à ceux qui sont considérés comme des « détails » au nom des intérêts de l’États, ils ne seront pas commémorés ni dans la semaine, ni le mois ou ni l’année à venir.
Ceux qui détiennent le Pouvoir n’hésitent pas à piller la vie de millions de personnes pour leurs propres intérêts et, comme dans chaque guerre, ils essaient d’écraser ceux qui sont opprimés dans cette guerre. Ce que nous devons faire en tant qu’oppressés, ce de ne pas être des pions dans la guerre du Pouvoir. Ce que nous devons faire, c’est défendre nos vies qu’ils essayent de piller, continuer notre lutte contre toute propagande de guerre et construire un monde libre.
Action révolutionnaire anarchiste
NdT : 2023, centenaire de la République turque. Par ailleurs le roi (reis) Erdogan a fixé un objectif à échéance à ses sujets : 2071, le millénaire de la victoire turque sur Byzance, doit témoigner de la naissance d’une nouvelle ère de domination turque. Les « amis de 2071 » admettront « naturellement » la nécessité d’une fusion charnelle entre la nation et son chef : le reis doit puiser sa légitimité dans la nation pour incarner son passé et son futur, honorer ses « martyrs » dont le sang « a transformé la terre en patrie » et le « tissu en drapeau », et doter le pays d’une puissance digne de son rang.
https://anarsistfaaliyet.org/bildiriler/suriyedeki-savas-buyuyor/