Le compagnon Mandla Khoza ( « MK », somme ses amis et camarades le connaissaient) est décédé le vendredi 26 juillet 2019 dans sa ville natale de Siphofaneni, au Swaziland (Eswatini). Il souffrait depuis longtemps de diabète sucré. Il laisse quatre enfants. Il fut l’un des membres pionniers de la Fédération Anarchiste Communiste Zabalaza (ZACF) fondée en Afrique du Sud le 1er mai 2003.
MK était engagé dans une révolution sociale qui placerait le pouvoir et la richesse entre les mains de la classe ouvrière, des paysans et des pauvres. Comme il le disait souvent: «Peu importe que vous changiez qui siège sur le trône: vous devez vous débarrasser du trône lui-même.» Cette notice nécrologique commémore sa vie de militant.
MK est né le 22 mai 1974 à Siphofaneni au Swaziland. Ce petit pays est tenu d’une poigne de fer par la famille royale swazie, administré par le régime [quasi-féodal] des « Tinkhundla » et dominé sur le plan économique par l’Afrique du Sud voisine et par la Grande-Bretagne. Siphofaneni est proche de la grande ville de Manzini et des plantations de canne à sucre. Comme beaucoup de Swazis, MK est venu en Afrique du Sud pour échapper à la misère qui sévissait dans son pays. MK et son cousin, Mandla Dlamini (également membre pionnière de la ZACF), travaillaient dans une usine de Coca Cola mais ont perdu leur emploi. Les deux vivaient dans le camp de squatters de Motsoaledi à Soweto, Johannesburg en 2001.
La maison du père de Mandla Dlamini servait de spaza shop (petite épicerie informelle) et de shebeen (taverne clandestine), et les deux cousins y donnaient quelque coups de main. Un ami se souvient que « les deux cousins assistaient les écoliers dans leurs travaux scolaires, aidaient les voisins dans leurs tâches ménagères et étaient très appréciés par les gens ».
Ils se sont joints à des camarades sud-africains pour former le Group anarchiste d’action noire (« Anarchist Black Action Group ») à Motsoaledi, qui a ensuite contribué à la fondation de la ZACF en 2003. Ensemble, ces camarades ont également créé le projet communautaire Phambili Motsoaledi dans le camp de squatter (en 2002). Ce projet comportait un jardin potager, une bibliothèque et un centre de réunion, un bulletin appelé « Vuka Motsoaledi », puis une structure d’action communautaire appelée Motsoaledi Concerned Residents (MCR; les Résidents concernés de Motsoaledi, fondé en 2005). Tout comme la ZACF, à laquelle ces deux structures étaient étroitement liées, elles faisaient partie du Forum anti-privatisation (Anti-Privatisation Forum , APF). L’APF était une vaste coalition de syndicats, de groupements de townships et de formations de gauche, fondée en 2000. Elle couvrait une grande partie de la province de Gauteng, le centre industriel de l’Afrique, y compris Soweto.
MK est périodiquement retourné au Swaziland, où la ZACF avait établi une petite présence, pour y distribuer du matériel. Par exemple, en 2003, ZACF était en contact avec des dissidents du Swaziland Youth Congress (SWAYOCO, Congrès des Jeunes du Swaziland), branche jeunesse du PUDEMO (People’s United Democratic Movement , Mouvement démocratique unifié du peuple) qui était alors interdit. Certains jeunes et révolutionnaires à venir étaient intéressés pour aller au-delà d’un agenda réformiste. À une occasion, un camarade sud-africain de la ZACF a été arrêté à la frontière côté swazi, au retour d’un rassemblement organisé le 1er mai au Swaziland et portant du matériel politique anarchiste.
MK s’est impliqué dans le mouvement d’opposition clandestin du Swaziland, rejoignant le SWAYOCO pour y promouvoir l’anarchisme. Si la ZACF était claire sur le fait qu’une démocratie parlementaire ne résoudrait pas les problèmes du pays, elle serait néanmoins préférable à la dictature et ouvrirait la voie à davantage de luttes. C’est pourquoi il a plaidé en faveur de réformes démocratiques, notamment la fin du régime des Tinkhundla [gouvernement local quasi féodal], l’amnistie politique, la suppression des privilèges, l’égalité des sexes et la réforme agraire, le plein droit des syndicats et une campagne en faveur du salaire décent dans les plantations, les usines et les fermes, en vue de contre-pouvoir qui pourrait apporter des changements plus radicaux. [1]
À partir de 2005 environ, MK et son cousin Mandla Dlamini ont commencé à passer la plupart de leur temps au Swaziland, malgré des conditions extrêmement difficiles. Par exemple, le samedi 1er octobre 2005, MK a participé à une manifestation de la SWAYOCO à Mazini contre le système absolutiste dirigé par le roi Mswati III. La manifestation fut attaqué par la police royale swazie. Il fit partie des huit militants du mouvement SWAYOCO arrêtés ce jour-là et enfermés au Centre de détention de Zaklehe sous l’accusation de « perturbation de la paix sociale ». À la suite de pressions populaire, les huit personnes furent libérées sous caution avant de comparaitre devant le tribunal le 7 novembre 2005.
La répression s’intensifia lorsque la ZACF fut accusée à tort dans la presse swazie au début de 2006 d’avoir placé des bombes sous des véhicules de police. La ZACF s’est alors opposé au virage vers la lutte armée qui attirait alors une partie du mouvement clandestin et a plaidé en faveur d’un mouvement populaire de masse incluant les syndicats. Il préconisait la lutte « pour aller au-delà de la trahison bourgeoise habituelle, ce qui impliquait une destruction de l’État capitaliste Swazi et son remplacement par des assemblées populaires décentralisées » [2]. Néanmoins, MK organisa des campagnes de solidarité avec les personnes emprisonnées pour de telles actions, soulignant qu’elles étaient des étapes désespérées en réponse à l’oppression qui tourmentait le royaume. La répression augmenta encore, avec des arrestations et des procès réguliers des militants du PUDEMO et de la SWAYOCO, souvent fondés sur de fausses accusations de « terrorisme ». À un moment donné, MK a été contraint de fuir pour se cacher de l’autre côté de la frontière, dans la province de Mpumalanga, en Afrique du Sud, en raison du harcèlement et de l’intimidation dont il faisait l’objet de la part des Service spéciaux swazi (Swazi Special Branch) en raison de ses activités politiques.
MK était en Afrique du Sud pour assister au congrès de la ZACF de décembre 2007, qui a restructuré l’organisation afin de rationaliser ses opérations. [3] L’une des principales décisions a été de remplacer la peu commode (risquée) structure multi-pays de la ZACF, à cheval entre l’Afrique du Sud et le Swaziland, par un groupe anarchiste autonome du Swaziland, allié à la ZACF. Il participa au congrès suivant de la ZACF, un an plus tard, en faisant état de progrès modestes.
Un cercle d’étude anarchiste s’était formé à Siphofaneni avec des camarades de la SWAYOCO. Il y a eu de nombreux voyages de camarades basés à Johannesburg au Swaziland, apportant du matériel, entretenant des contacts et rencontrant des personnes du PUDEMO et de la SWAYOCO. MK souhaitait lancer un projet communautaire destiné aux personnes opprimées et exploitées. Il ressentait un sens profond du devoir. Ainsi il apparait dans le documentaire de 2007 « Without the King » (« sans le roi ») consacré au mouvement pour la démocratie au Swaziland. Il y est interviewé masqué en tant que «militant politique anonyme » : « C’est très, très rude pour nous ici… Je dois changer le système parce que je ne peux pas partir. Et si je peux partir, qu’en est-il des autres, que peuvent-ils faire? Nous devons nous battre ensemble pour changer le système [ici], afin que tout arrive ici même. »
Sa position était celle d’un révolutionnaire: « Si nous nous gouvernions nous-mêmes, nous pourrions être organisés. Il n’y a nulle part où la machinerie gouvernementale aide. S’il n’y avait pas le Programme alimentaire mondial (World Food Programme de l’ONU), nous serions déjà morts depuis longtemps, très longtemps … Lui [le roi Mswati III], il possède et tout contrôle tout … les gens eux-mêmes doivent comprendre ce que le gouvernement leur fait, puis les gens eux-doivent rejeter les éléments du gouvernement qui sont répressifs ou oppressifs pour eux. Quand ils les rejetteront, cela voudra dire qu’ils voudront renverser le gouvernement « .
L’interview peut être vue ici: https://youtu.be/12YAgDa0xqY
Les résultats de ces années de militantisme ont été limités la situation était toujours très difficile : MK était au chômage et pauvre, et cherchait un moyen de gagner sa vie tout en luttant contre la maladie. Ces dernières années, les contacts sont devenus plus sporadiques. Sa disparition est une leçon que nous sommes forts les uns par les autres, que nous devons prendre soin les uns des autres et nous devons nous écouter les uns et les autres. Un ami se souviens que MK savait que pour être libres, les gens devaient agir par eux-mêmes : « C’est pour cela qu’il était anarchiste-communiste et ne croyait pas à la substitution d’un gouvernement par un autre ».
Traduction CNT-AIT Paris, d’après un commniqué de Zabalaza.
Nous avons pris contact avec Zabalaza pour savoir si quelque chose peut être fait, même symboliquement, pour les orphelins de Mandla Khoza. Si certains souhaitent participer, qu’ils nous contactent.
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Remarques:
[1] ZACF, 26 janvier 2006, « Solidarité avec le mouvement pro-démocratique au Swaziland », http://anarkismo.net/article/2195.
[2] Lettre de la ZACF au rédacteur en chef, « Times of Swaziland », 18 janvier 2006 : http://anarkismo.net/article/15535.
[2] La ZACF a été fondée initialement sous le nom de « Fédération anarchiste communiste de Zabalaza », mais lors de ce congrès fut reconstituée en tant que « Front anarchiste- communiste de Zabalaza », reflétant une structuration plus resserrée.