(Relayé dans le Combat Syndicaliste de la CNT-AIT à Toulouse , en 2002) Alors qu’en Kabylie la répression frappe le mouvement révolutionnaire des aarchs (assemblées et comités de villages et de quartiers), le silence fait en France sur ce mouvement, depuis des mois, n’est rompu que par quelques rares informations, presque toujours assorties de mensonges et de calomnies.
Ainsi quand le RCD, et plus tardivement encore le FFS, finissent par adopter, contraints et forcés, la consigne de boycott des élections, on nous l’annonce dans Libération ou Le Monde sans même mentionner que ce sont les aarchs qui avaient décidé depuis trois mois le rejet actif des élections, et commencé à le mettre en pratique, en brûlant les urnes, en détruisant les documents administratifs et en appelant tous les Algériens à se rallier à leur mot d’ordre. De la part des dirigeants de l’État français, droite et gauche confondues, aucune ignominie ne peut étonner : on sait quels liens de pétrole et de sang les unissent aux maîtres de l’Algérie. Mais au-delà des plus directement intéressés à la perpétuation d’un état de choses si profitable, c’est avec la bienveillante discrétion de tous ceux qui ont ici le monopole de la parole (politiciens, intellectuels et médiatiques divers), et dans l’indifférence du reste de la population (trop occupée sans doute à s’abrutir par tous les moyens qu’on lui fournit à cet effet : 400.000 jeunes postulants à l’incarcération dans Loft Story 2 !), que le pouvoir algérien peut emprisonner, torturer et assassiner. Depuis l’époque où les Parisiens laissaient sans broncher la police massacrer dans les rues les Algériens, jamais la honte d’être français n’avait été aussi forte qu’aujourd’hui. Nous ne pouvons laver cette honte qu’en dénonçant et en combattant par tous nos moyens les complicités de toutes sortes que trouvent ici les ennemis de l’auto-organisation des insurgés de Kabylie. Ces ennemis, comme chacun le sait sur place, ce sont aussi les propriétaires de l’opposition, bureaucrates des partis politiques totalement discrédités, mais qui espèrent toujours à la faveur de la crise être appelés à siéger dans un «gouvernement d’union nationale».
L’État algérien en arrive à mettre à nouveau en œuvre tous ses moyens policiers après avoir vu échouer l’une après l’autre ses manœuvres «d’apaisement» et en particulier la mise en scène d’un «dialogue» avec des délégués «Taiwan» (comme on les appelle là-bas, au sens de contrefaçon).
Le trompe-l’œil du déplacement de quelques brigades de gendarmerie, tout comme la «reconnaissance» de la langue berbère, ne pouvaient leurrer personne en Kabylie, et certainement pas suffire à tous ceux qui ont goûté à la liberté en commençant à prendre directement leurs affaires en mains dans les assemblées de villages et de quartiers. Ainsi que le résumait le 24 mars un émeutier de Tizi-Ouzou : «Nous avons eu tout le temps de réfléchir depuis une année : c’est tout le pouvoir qui doit partir, sinon nos problèmes ne seront jamais réglés.» Ce pouvoir bureaucratico-militaire, qui, à travers ses mutations par cooptation et purges mafieuses, aura réussi à survivre quarante ans, s’était installé tout d’abord en réprimant les tentatives d’autogestion des premiers mois de l’indépendance.
Maintenant, après toutes ces années de mise en coupe réglée du pays au nom de l’intérêt national, de chaos meurtrier au nom de l’ordre et de paupérisation générale au nom de l’efficacité économique, la seule solution qui reste pour prendre effectivement en charge les problèmes de la société algérienne, en Kabylie et partout, c’est l’auto-organisation à la base par la participation directe de tous aux affaires communes. «La solution des aarchs est la structuration de l’Algérie à l’horizontale avec une présidence tournante, pour assurer un système démocratique», déclarait pince-sans-rire Ali Gherbi, délégué d’El-Kseur, quelques jours avant d’être arrêté.
L’exemple donné au monde entier par les aarchs de Kabylie : la liberté, mais aussi la fermeté, la dignité et le courage fondés sur l’exercice collectif de la responsabilité dans une lutte commune, voilà ce que ni la répression, ni les calomnies, ni la confusion médiatiquement organisée ne parviendront à nous faire oublier.
Nous non plus, nous n’avons pas la mémoire courte. Et si un électeur informé par Internet nous dit que de telles formes d’organisation collective et de solidarité n’ont plus aucune place dans une société vraiment moderne, nous répondrons que c’est précisément pourquoi cette société mérite selon nous de disparaître.
Paris, le 6 avril 2002
Quelques amis français des aarchsc/o Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances
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