L’AUTRE ALGERIE : CELLE DES LUTTES SOCIALES (Sept 1999)

L’Algérie est toujours en guerre (article publié en Septembre 1999). L’Armée, les Affairistes de la politique et les Integristes de tous poils continuent de prendre la population en otage, de pratiquer le meurtre et la terreur. Dans ce climat de peur et d’oppression, des syndicalistes se battent pour défendre encore un espace de liberté et des conditions de vie décentes. L’un a écrit à la CNT-AIT de Toulouse, pour parler des luttes dans le domaine de l’éducation. Bien que nous ne partagions pas toutes ses analyses sur le rôle du syndicalisme et ses modes d’action, nous publions sa lettre car elle parle d’une Algérie inconnue des grands médias et de luttes gardées sous silence…

ALGERIE : LUTTES SOCIALES

Le conflit CNES (Conseil National des Enseignants du Superieur) – MESRS (Ministere de l’Enseignement Superieur et de la Recherche Scientifique) dure depuis 1991, toujours autour de revendications salariales principalement. En novembre 1991 déjà, les enseignants universitaires étaient sortis dans la rue et avaient essaye de faire un rassemblement pacifique devant le siège du gouvernement ; ils ont été déloges à coups de matraques par les forces de l’ordre.

Las de voir leur situation sociale se dégrader, et ne pouvant plus de ce fait assumer pleinement leur travail, les enseignants ont déclenché fin 1996 un mouvement de grève a l’échelle nationale ; la grève s’imposait, en l’absence d’écoute des pouvoirs publics. Malgré la durée de la grève (3 mois en pleine année universitaire), les responsables du secteur et les autorités du pays ont utilise tous les moyens possibles et imaginables pour casser le mouvement de grève et le syndicat autonome des enseignantq : intimidations, mises en demeure, blocage des salaires, tentatives de division… Les enseignants ont arrete leur mouvement de grève a la mi-janvier 1997 pour sauver ce qui restait de année universitaire, sans que leurs revendications ne soient reellement prises en charges ; seul acquis arrache lors : une augmentation négligeable des salaires et la promesse ferme des autorités de tutelle d’elaborer avant la fin de année universitaire le statut particulier de l’enseignant-chercheur universitaire.

En 1998, la situation sociale et les conditions de travail de l’enseignant se sont encore dégradées. Sur cette base, les délégués syndicaux avertissent les autorités de tutelle qu’en absence d’une prise en charge sérieuse des doléances des enseignants, une grève nationale serait déclenchée à la rentrée suivante (octobre 1998). La grève a donc démarré le 17 octobre 1998, avec comme principales revendications la revalorisation des salaires et l’élaboration du statut particulier de l’enseignant-chercheur.

Pendant 3 mois, : silence radio de toutes les autorités du pays malgré les appels répétés du CNES a des négociations, malgré des marches et des manifestations des enseignants dans plusieurs villes universitaires, malgré trois rassemblements pacifiques (réduits à cela à cause de l’interdiction, y compris par la force, des marches prévues) des enseignants en plein centre d’Alger. A signaler que les enseignants ont même été empêchés par la force d’accéder à leur ministère de tutelle le 11 décembre 1998, date de leur premier rassemblement a Alger. Au cours des manifestations, des enseignants et des enseignantes qui brandissaient leurs stylos pour signifier que c’était la seule arme dont ils disposaient, ont été tabasses par les forces de l’ordre. A signaler aussi que des bus emmenant des enseignants de l’interieur du pays a ces rassemblements ont été interceptes sur le périphérique et empêches de rejoindre Alger et le lieu du rassemblement.

Pendant trois mois donc, tout se passait du coté des pouvoirs publics et même des médias du secteur public, comme s’il ne se passait rien. La quasi-totalité des établissements universitaires du pays bloquée ou fortement perturbée dans leur fonctionnement, près de 10 000 enseignants (sur 15 000 au total) en grève, la majorité des 500 000 étudiants de l’université prives de cours, tout cela était apparemment négligeable, en tout cas pas assez important pour amener les responsables du secteur à se pencher sérieusement sur les revendications des enseignants et à essayer de trouver une issue au conflit. La seule initiative prise par le pouvoir pendant ces 3 mois a été le blocage, à partir de novembre, des salaires des enseignants, et cela en totale contradiction avec les lois régissant les conflits du travail. En effet, une circulaire ministérielle datant de 1991 prévoit dans ce type de conflit une ponction de 3 jours de salaire par mois pendant toute la durée de la grève, si celle-ci est légale, ce qui était le cas. Il faut relever ici la légéreté avec laquelle les premiers responsables du pays bafouent les lois qu’ils ont eux-mêmes élaborées. Se rendant compte de leur erreur, et en réponse a la plainte déposée par le CNES auprès du tribunal, ils ont façonné dans la précipitation une autre circulaire, datée du 25 novembre 1998, qui leur permet de suspendre totalement les salaires.

Pendant cette période, les enseignants se sont organises (au moins une assemblée générale hebdomadaire dans chaque établissement) pour subvenir à leurs besoins et ceux de leurs familles. Des bons de solidarité ont été édités et distribues par les enseignants eux-mêmes dans leur entourage. Les fonds ainsi collectes ont permis de parer au plus presse pour les plus nécessiteux d’entre eux (distribution selon les besoins). Sinon, les circuits habituels de solidarité (amis, commerçants, familles, connaissances … ) ont permis à de nombreux enseignants de tenir le coup. Un espoir de voir le conflit se terminer est ne fin janvier 1999, avec nomination d’un nouveau Premier ministre qui a donne instruction au ministre de l’enseignement supérieur de recevoir et écouter les enseignants. Ce qui fut fait, mais après plusieurs réunions, il fallait se rendre à l’évidence : les pouvoirs publics ne voulaient rien ceder et tenaient invariablement le meme discours « reprenez le travail et on verra ». Assez rapidement, l’analyse suivante s’imposait ce qui dérange les autorités, ce n’est pas tant de répondre, au moins en partie (le CNES était prêt à faire des concessions), aux doléances des enseignants, mais c’est surtout le fait de satisfaire les revendications d’un syndicat autonome, un cadre d’organisation érigé par les enseignants en dehors des rouages du système ; une « victoire » aurait donne à réfléchir à d’autres travailleurs, d’autres secteurs…

Apres l’échec des réunions CNES-MESRS, les responsables du secteur se sont souvenus (après 4 mois de grève !) de l’existence d’une législation du travail qui prévoit, dans ce type de conflit, un règlement reposant soi-disant sur une médiation, en fait sur une procédure contrôlée par l’Etat et son complice l’UGTA [1]. La décision rendue par la CNA (Commission nationale d’arbitrage) a été la suivante : il était ordonne, dans une premiere partie, aux enseignants grevistes de reprendre immediatement le travail. Dans la 2eme partie, il était ordonne à la tutelle la mise en application d’un certain nombre de mesures en faveurs des enseignants. Le texte de cette 2eme partie reprend en fait mot a mot une série de propositions – plutôt simulacres de propositions – faites par la tutelle aux délégués du CNES un mois auparavant, lors des réunions MESRS-CNES, et rejetées alors en bloc par les représentants des enseignants.

Cette procédure était en fait qu’un moyen pour les pouvoirs publics de casser le syndicat autonome des enseignants universitaires ou tout autre syndicat qui ne suit pas la voix de son maître et de museler toute tentative de mouvement de grève et de soulèvement social dans les autres secteurs. Les enseignants ont repris leurs cours le 28 février 1999, prenant acte de la décision de la CNA, mais résolus à continuer leur combat sous d’autres formes, autour de leur syndicat, le CNES, et ce, jusqu’a l’aboutissement de leurs revendications.

Nidal


[1] UGTA = Union Générale des Travailleurs Algériens (syndicat sous la botte complète du pouvoir).

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