(Article paru dans le journal de la CNT-AIT Toulouse, été 1998)
Algérie : En Algérie, dans cette sale guerre qui ne veut pas dire son nom, il y a des rumeurs qui courent. Et la rumeur, c’est aussi une stratégie de guerre. Mais toutes les rumeurs n’ont pas la même destinée.
Certaines sont amplifiées. Médiatisées et d’autres passées sous silence, transmises seulement de bouche à oreille entre copains, entre gens de quartiers, lorsqu’on se connaît, lorsqu’on est presque sûr.. Il en est justement une qui m’est parvenue par des copains algériens de passage en France.
Ca se passe à la Casbah, haut lieu de combat pendant la guerre de libération. Son architecture lui confère certaines particularités. Si on n’est pas du coin, on s’y perd dans ses ruelles en labyrinthes. Mais si on est du coin, et si la population vous soutient, alors la casbah offre mille possibilités de se planquer et de disparaître par les terrasses, si jamais on est poursuivi.
Fief islamiste ayant voté majoritairement FIS lors des fameuses législatives de 1992, le quartier est sous haute surveillance militaire et policière depuis 94. La zone est quadrillée 24 heures sur 24, et les habitants sont systématiquement contrôlés et fouillés à l’entrée et à la sortie. Pourtant, les islamistes et leurs branches armées sont restés dans la casbah, de plus en plus actifs. Les attentats à la bombe contre les conunisariats, les assassinats de flics, les sabotages… étaient monnaie courante. Les quadrillages et les opérations de police n’avaient que peu d’impact sur l’activité des islamistes.
Et là, justement, mes copains me racontent -ce qu’on n’entend jamais par ailleurs- qu’à la casbah, comme dans beaucoup d’autres coins « chauds » (Ben talha, Shaoula, Blida, Médéa … ) les islamistes oeuvrait avec la complicité de la population. Les gens s’organisaient en assemblées générales, constituées aussi bien de la population civile que des intégristes. On y décidait collectivement des actions à mener..
Mais depuis 1996, la situation a changé. L’armée a réussi à « nettoyer » le quartier, alors qu’elle en était incapable entre 94 et 95. Le nombre d’attentats et de meurtres dans la casbah a considérablement chuté. Il y a bien sûr, la mise en place d’un système de lutte contre la guérilla urbaine de plus en plus perfectionné, ayant pour objectif d’éradiquer les intégristes, mais aussi de terroriser la population entière et l’obliger par la peur à changer de camp. Mais, une des raisons que mes amis avancent, et qui leur semble tout à fait essentielle, serait que la population s’est désolidarisée du mouvement intégriste, à partir du moment où ce dernier n’a plus respecté les décisions prises en A.G., concernant notamment le rejet des assassinats de civils et de commerçants qui refusaient de se faire racketter (dont une famille entière de Mozabites)…
Tant qu’il s’agissait de porter atteinte à l’appareil de l’état et à ses représentants, la population était solidaire ; elle n’a pas accepté que la branche dure du F.I.S. fasse passer ses propres « valeurs », sa propre logique avant la sienne. Ce n’est peut-être qu’une rumeur comme les autres, c’est possible. Mais de celles qui sont tues. Elles ne sont pas dans l’ordre des choses dans un pays où les militaires font régner leur conception très particulière de la démocratie. Et pourtant, elle pourrait bien être éclairante sur les relations (réelles ou supposés) des algériens avec les intégristes, puisqu’elle casserait la légende entretenue par certains médias d’un « peuple d’intégristes ».
Fadila