Trois interviews empruntés à la revue autonome MACACHE («Macache : expression de la négation, rien. Rien, parce que, de cette société de classe, il n’y a rien à vouloir, de sa démocratie rien à attendre. Rien, parce que, face au capital, il n’y a rien à négocier, face à l’État rien à revendiquer. Rien, rien que la guerre sociale !».)
1.LE MOUVEMENT A BRISE LA PEUR (entretien Salem, fin décembre 2003
2.ENTRETIEN AVEC LE CLA (Conseil des Lycées d’Alger), décembre 2003
3.CHÔMEURS : ON EST ASSIS SUR UN BARIL DE POUDRE !, décembre 2003
LE MOUVEMENT A BRISE LA PEUR
entretien Salem, fin décembre 2003.
S : L’étincelle du mouvement c’est l’assassinat de Massinissa Guerma, le 18 avril 2001. Au sein de l’université de Béjaïa on a eu l’information, q’un jeune a été assassiné au sein de l’enceinte de la gendarmerie de Beni Douala. C’était autour du 20 avril, moment où l’on commémore le mouvement de 1980.
A Béjaïa, il a fallu attendre le 21 avril que des collégiens d’Amizour soit kidnappé en présence de leur enseignant. Cela a déclenché un mouvement très spontané à Amizour dès l’après-midi. Le 22, toute la région, les daira, bouillonait. Le jeunes était très violents, les barricades étaient montées, les édifices publics sont attaqués, la gendarmerie commençait à assassiner…
A l’université nous avons tenté de tenir une assemblée générale, exactement nous avions une AG prévu le 23, nous avons donc intégré les évènements de Kabylie dans l’ordre du jour. On n’a pas pu faire passer la motion dénonçant la repression et de soutien aux jeunes en lutte au nom du CNES. On s’est donc replié sur les étudiants, on a alors lancé l’initiative du AG pour le 25 avril en présence de toute la communauté universitaire. Constatant l’anarchie du mouvement et l’expérience des mouvements antérieurs (ex : après l’assassinat de Matoub, 15 jours d’émeutes et puis plus rien). Il n’y avait pas eu d’explication, ni d’orientation politique du mouvement. Donc, nous avons le devoir d’intervenir, en tant qu’universitaire. (Nous avions prévu de relancer le mouvement social à partir du 19 mai 2001, l’insurrection nous a devancé). A l’AG, nous avons appelé à la structuration de ce mouvement, cad l’organisation de la violence des jeunes, dans le but d’un mouvement populaire national.Nous appellons à la création de comité de quartier. Nous n’appelons pas les jeunes à rentrer chez eux, mais à s’auto-organiser ; pour donner un sens politique à la violence des jeunes qui est légitime, mais qui si elle ne s’organise pas retombera dans le sporadique, le conjoncturelle.
Le même jour, nous proposons une marche populaire pour le 29 avril 2001, avec une réunion de préparation le 28 avril. Les comités ont préparé la marche, le 29 la marche démarre de l’unviersité, au bout d’1 km il y a eu des affrontements avec la gendarmerie et la police. C’est le 1er combat de rue organisé. Le même jour nous avons tenu une AG et nous avons appelé pour une marche pour le 3 mai.
Q : Quel contenu y-a-t-il dans ces assemblées ?
S : Pour le comité populaire, même si la Kabylie bouillonnait autour de la commémoration du 20 avril, et donc des revendications culturelles ; c’est d’abord la misère sociale qui est le moteur de cette insurrection. Les jeunes sur le barricades le disait, « nous n’avons rien à perdre. Ils peuvent pas nous tuer, car nous sommes déjà mort. » « Nous n’avons rien à perde parceque nous n’avons rien eu. » « Nous sommes des chômeurs, et des chômeurs déjà agés » . Le mouvement est fondamentalement social (réclamation de travail, logement), et pour les libertés. Des slogans appellent à en finir avec le pouvoir en place. En plus, on trouve la demande de reconnaissance de l’Amazigh.
Q : Les partis politique se sont fait saccagé leur siège pendant cette insurrection.
S : Oui. Dès le début (le 22, 23, 24). Pour les émeutiers, les partis politiques sont responsables de la misère que chacun vivent. Ils ne se reconnaissent plus dans la classe politique, la nouvelle forme d’organisation, sous forme de mouvement, d’assemblée leur convient alors.
Q : D’où vient la référence aux aarouchs ?
S : Nous avions à Bougi un comité populaire lors du mouvement de 1980. Nous voulions le relancer. Un mouvement pas citoyen ou aarouch, mais un mouvement populaire. Le terme aarouchs est venu un mois après, de Tizi-Ouzou. C’est une trace de tribalisme. La notion de aarch passe sous silence, et même nie, la dimension de la lutte de classe du mouvement.
La presse a bien sûr préféré utiliser le terme de aarch, plutôt que de comité populaire.
Q : Comment les partis ont réussi à se replacer dans le mouvement ?
S : Ils ne l’ont jamais quitté, en fait. Le simple militant ira dans les assemblées, pas au nom du parti bien sûr. Mais au nom de village, de la famille ect. Par démocratisme, ces militants n’ont pas été exclu du mouvement.
Q : Les aarchs sont ils une nouvelle bureaucratie politique ?
S : Les aarouchs sont éclaté, c’est très pluriel. La tendance totalitaire y était de puis le début. Quand dans le comité populaire de Béjaïa réunissait des femmes, des travailleurs, des chômeurs, des intellectuelles. Les aarouchs s’attachaient eux à l’apartenance au village. Ils ont exlu d’abord les femmes, au nom de la tradition. En suite les syndicaliste (en les voyant à juste titre comme une bureaucratie).
On se retrouve alors avec des assembée de notable. Quand les militants du FFS et du RCD se sont fait élire dans leur village, ils ont pu reproduire le pratique politicienne. Aujourd’hui plus personne ne se reconnait dans les aarrouchs. ILs dialoguent avec le pouvoir…
Q : Une des particularité du mouvement c’est d’avoir durée, pendant presque deux ans. Quel sens cela a ?
S : Le mouvement perdure par la plate-forme, l’abscence de classe politique. Dans la conscience des gens ce mouvement a apporté un espoir. Il n’y a pas d’autres alternatives. La crise que nous vivons aujourd’hui est politique. Sans un mouvement qui exprime les intérets des opprimés, des chômeurs, des classes laborieuses, on ne peut avoir de perspectives.
Ce mouvement a brisé la peur, la peur de la gendarmerie, la peur des islamistes, la peur du pouvoir.
ENTRETIEN AVEC LE CLA (Conseil des Lycées d’Alger)
Redouane Osmane, professeur de littérature de français à Bab el-oued, porte parole du CLA (Conseil des Lycées d’Alger.)
R : La grève des enseignants à démarrer sur une accumulation de mécontentements. Face à une administration omnipotente et injonctive et une détérioraton très importante du niveau de vie des enseignants. (par ex : en 1990 je touchais 6000 DA, aujourd’hui j’en touche 1500 DA), même avec l’augmentation que l’on vient de nous donner, suite à la grève, ça ne rattrape pas la perte du pouvoir d’achat des enseignants.
Pour arrondir la fin de mois, les professeurs font maintenant des petits boulots. Toutes ces frustrations laissait présager d’un mouvement de la part des enseignants. Ce mouvement qui est parti de l’algérois, c’est aussi 15 ans de militantisme de proximité. Dans le reste du pays c’est plutôt un mouvement spontané, suite aux grèves à Alger.
Q : Le mouvement revendiquait quoi ?
R : Dès septembre, ce sont des revendications corporatiste, pour une augmentation de salaire, la retraite au bout de 25 ans de travail, et la reconnaissance de la pénibilité de notre travail (statut particulier).
Le corporatisme des enseignants du secondaire, le fait de vouloir s’organiser en tant que tel, s’est heurté aux syndicats traditionnels et par les pouvoirs publics. Un nouvel acteur indépendant dans le champ syndical doit être brisé. L’enjeu était donc, non pas un problème d’argent ou de céder aux revendications, mais comment effacer de l’imaginaire des algériens un mouvement indépendant et offensif devenu un symbole pour l’ensemble de la société.
Q : Comment s’est constitué la coordination des lycées d’Alger ?
R : Une association avec de nombreux contacts au niveau des lycées, regroupant des précaires à lancé un appel. Ce sont des enseignants non-régularisés au niveau de leur fonction qui étaient en opposition à l’intérieur de l’UGTA. Cette association a permis l’avènement d’un texte fondateur, disant « l’enseignement va mal, les enseignants vont mal, que les enseignants doivent sortir de leur invisibilité, qu’ils doivent apparaitre au niveau de la société. Cet appel s’’est très vite propagé, et les enseignants du secondaire se sont donné une identité. Dans les lycées se sont constitué des Assemblée Générale de Lycées (AGR), elles ont élu un collectif, avec une rotation, qui constitue le bureau du CLA. (chaque jour deux ou trois délégués sont élu pour faire partie du bureau). Ensuite, nous n’avons plus demander d’autorisation pour faire des AG, on a bloqué l’administration. On a installé un réseau de contact, par ex pour les piquets de grève, les enseignants allaient les uns chez les autres pour faire les piquets ect.
A Alger nous sommes resté CLA, dans d’autres Daira certains voulaient refaire l’expérience d’un appareil syndical, nous nous avons refusé et nous sommes resté CLA.
Q : Et le CNAPEST ?
R : Entre le CLA et CNAPEST c’est une différence entre le centre et la périphérie… Ensuite, nos pratiques de démocratie dans le mouvement, comme par ex la participation des femmes -très importante sur Alger- n’est ni comprise ni accepté par le CNAPEST et hors d’Alger. Le CNAPEST a un fonctionnement autoritariste, 5 personnes peuvent décider pour l’ensemble, un conseil national peut décider pour l’ensemble des Assemblée Générale. Par ex l’accord avec le ministre signé par le CNAPEST, les grévistes l’ont appris à la télévision. Au CLA, et donc àà Alger, si on va chez le ministre, tout est discuté avant en AG, et tout est redit après. (on s’en méfie comme la peste, d’ailleurs on l’appelle le CNA-PESTE).
Mais dans le reste du pays, des gens sont sur la même dynamique que le CLA, bien que suel le CNAPEST existe dans ces régions. Nous allons lancer des assises nationales pour discuter et coordoner les personnes sur la même identités que nous.
Q : Quelles sont les perspectives du mouvement aujourd’hui ?
R : En Algérie défendre les liberté, c’est très important. Il y a des paradoxes extraordinaire ici. C’est une société extrèmement policée. Quand nous avons interdit les RG à rentrer dans nos réunions, les gens nous prenaient pour des fous. Avec le terrorisme la police était omniprésente, les gens ont perdu leur réflexe même d’une réunion privée. S’il n’ y a pas de recul de la société, nous avions un soutien large pendant cette grève de la société. Nous devons participer à donner la parole à la société, à nos élèves aussi.
La perspective pour le CLA c’est d’organiser le mouvement à l’échelle nationale et de lui donner une identité qui le fera sortir de son corporatisme, c’est de faire reconnaitre un acteur social qui ne soit pas contrôlé.
entretien réaliser à Alger, le 30 décembre 2003, par Nestor Pantruche.
CHÔMEURS : ON EST ASSIS SUR UN BARIL DE POUDRE !
Entretien avec des chômeurs, dans les quartiers populaires de Béjaïa, Décembre 2003. Les prénoms des intervenants ont été volontairement changés.
Moussa : Le 18 avril 2001, Massinissa Guermah a été assassiné dans la gendarmerie de Beni-Douala. Le 22 avril, des lycéens d’Amizour sont kidnappés par la gendarmerie. Ces événements semblent être la cause du printemps noir. En vérité, c’était un ras-le-bol populaire, le marasme social a conduit à ces événements.
Après 1990, la restructuration économique demandait des sacrifices. L’Etat ne les a faits uniquement sur le dos du peuple. Le peuple pense avoir beaucoup trop sacrifié. L’Etat a fait preuve de mutisme face aux demandes du peuple. Nous nous sommes donc tournés vers d’autres formes de revendications. Affronter un blindé avec une pierre, par exemple.
Rachid : Les émeutes ont eu lieu essentiellement en Kabylie, mais c’est une crise sociale qui concerne l’ensemble de l’Algérie. La mort de G et l’enlèvement des collégiens, c’est la goutte qui a fait déborder le vase. W : Les banderoles, c’était : « Vivre un jour debout, plutôt que 100 ans à genoux. » « Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts ». Ce sont des mots qui expriment une certaine mélancolie, un chagrin.
Q : Comment sont apparus les comités de quartiers, de villages ?
Mohamed : Les émeutes se sont propagées très vite, en deux jours la Kabylie était embrasée. L’Etat n’a pas eu le temps de renvoyer des renforts. Le peuple s’est organisé pour assurer la sûreté des quartiers. Ces comités ont aussi la charge de représenter la voix de chaque quartier dans les réunions qui vont se tenir au sein du territoire. Djamel : Les délégués des comités ne font pas partie de la révolte, ce ne sont pas des « faiseurs de révolte ». Parfois même ils sont contre les émeutes, ils te disent qu’il ne faut pas casser ceci ou cela, etc.
Toufik : Mais le jeune qui veut exprimer sa révolte, il n’a pas d’autres moyens de se faire entendre que d’aller affronter un policier ! Les comités se sont constitués afin de canaliser la révolte.
Dans les comités de quartiers il y a 3 ou 4 couleurs politiques qui s’expriment dedans. Le peuple kabyle est très politisé, la façon dont on mange du pain, il y a une tendance politique qui s’en dégage.
Q : Au-delà des affrontements avec la police, des objectifs ont été visés par les émeutiers, les mairies, les partis politiques...
Aziz : On saccage ce qui représente l’Etat, il y a aussi la Sonelgas (EDF-GDF locale), les PTT, etc. On n’a pas touché aux écoles, bien que j’aurais aimé que l’on y touche parce qu’elles ne nous ont rien donné. J’ai besoin de papier, à chaque fois que je vais à la mairie, on me fait attendre, donc je vais saccager la mairie. Je paye depuis 10 ans ma facture d’eau, mais l’eau qui sort de mon robinet 2 heures par jour n’est pas potable, je saccage le siège de l’eau et ainsi de suite.
Kader : Les sièges des partis, c’est une manière de dire, « on ne veut pas de couleur partisane dans notre mouvement ». Les partis sont totalement discrédités, ils n’ont rien apporté. Le mouvement dit « je parle en mon nom, seul, et à ma manière ».
Q : Et le boycott des élections.
Tarik : Les Kabyles sont un peuple boycotteur à la naissance.
Massinissa : ça sert à rien de voter, les élections ne nous ont jamais rien apporté. Un élu, une fois élu, nous tourne le dos.
Q : Et les aarouchs dans tout ça ?
Moussa : Quand on me parle d’aarouchs, j’ai l’impression que l’on me parle de quelque chose qui m’est étranger. Ils sont présentés comme nos tuteurs… Ils représentent la population aux yeux de l’Etat, mais ils ne représentent qu’eux-mêmes !
Les aarouchs sont opposés entre deux pôles, les dialoguistes et les non-dialoguistes. En vérité ils sont 50, divisé en deux.
Farid : Ces délégués ont étouffé le mouvement. Ça sert à rien d’arrêter quand on a 123 jeunes qui sont assassinés, ça sert à quoi de continuer de vivre quand ton frère est mort dans les émeutes, tu y vas. On vivra tous ou on meurt tous. Vivre dignement ou mourir.
Aujourd’hui rien n’a changé, l’étincelle peut reprendre à tout moment.
Moussa : On est assis sur un baril de poudre !