Nous republions ici une série d’articles parus dans le Combat Syndicaliste Midi Pyrénées (devenu depuis Anarchosyndicalisme !) en 2002 pour présenter l’histoire du Bund, organisation révolutionnaire juive non sioniste de l’entre deux guerre, ainsi qu’un contre-point critique vis à vis du Bund.
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Première parution : le Combat Syndicaliste Midi-Pyrénées, n° 72 Février-Mars 2002 ; lundi 15 avril 2002
Crée en 1897 en Russie le BUND (Union générale des travailleurs juifs) réunit immédiatement 3500 travailleurs juifs. Alors qu’il a été évincé de toute mémoire collective le BUND eût une influence considérable en Europe de l’Est et dans le monde entier.
Si sa principale influence fut marxiste en Russie, de nombreux anarchistes s’y greffèrent ou militèrent à coté. L’influence des anarcho-syndicalistes juifs fut importante en Angleterre ou aux Etats-Unis où pendant le jeûne de Yom Kippour les militants se promenaient dans les quartiers juifs avec des charrettes remplies de porcs ou organisaient des banquets ouverts à tous. Dénonçant les rabbins alliés des patrons qui au nom de l’unité juive combattaient violemment les mouvements de grève, le BUND s’efforçait aussi de favoriser le yiddish (la langue des ouvriers juifs) au détriment de l’hébreu la langue religieuse.
Le BUND regroupait les ouvriers juifs combatifs qui militaient pour les droits civiques, sociaux ou politiques. Contre les nombreux pogroms antisémite des groupes d’autodéfense étaient organisés. De nombreux marxistes voyant d’un mauvais œil la liberté et l’indépendance du BUND s’efforcèrent de le combattre sans cesse et d’essayer de le discréditer.
Dés 1917 Lénine envoya les principaux leaders du mouvement vers les goulags de Sibérie ou les fit assassiner. A noter que le BUND ne participa pas au coup d’état de 1917, considérant que c’étaient les ouvriers et les paysans qui devaient faire la révolution et non une minorité militaire. Le BUND continua jusque dans les années 30 en Pologne puis fut liquidé définitivement par le parti communiste.
La sale propagande actuelle fait de chaque juif un sioniste en puissance, et nous fait croire que cela est ainsi depuis la nuit des temps. Les partisans de tous bords de la division occultent la vérité et réécrivent l’histoire à leur compte. La vérité c’est qu’au début du siècle les pogroms, la privation de tout droit, la condition d’esclavage, les exactions contre les juifs étaient légion. En ces temps troubles le BUND rassemblant des dizaines de milliers de travailleurs en Europe de l’Est s’élevaient d’une voix forte contre le sionisme de droite ou de gauche (mouvement qui donna ensuite les kibboutz). Lors de son quatrième congrès en 1901 le BUND déclarait : « Le congrès considère le sionisme comme une réaction de la classe bourgeoise contre l’antisémitisme et la situation anormale du peuple juif […]. Le sionisme politique érigeant pour but la création d’un territoire pour le peuple juif ne peut prétendre résoudre la question juive, […] ni satisfaire le peuple dans son ensemble […] et demeure une utopie irréalisable. Le congrès estime que l’agitation des sionistes est un frein au développement de la conscience de classe. Que ce soit dans les organisations économiques (caisses) ou politiques (section Bundistes), il ne faut pas admettre les sionistes« . Le BUND, au contraire des sionistes, prônaient le combat sur place luttant avec les ouvriers immigrés (polonais, ukrainiens…) ou russes, affirmant que c’est là où on se trouve qu’il faut lutter pour la révolution sociale.
Le BUND par sa réflexion, sa maturité était visionnaire sur ce que donnerait la création d’un état juif ; aussi dès 1905 ses militants mettaient en garde les juifs tentés par le sionisme : « ceux qui devraient être expropriés ne se laisseront sans doute pas faire les bras croisés. Le capitalisme en Eretz (Israël) ne préférerait-il pas la force de travail arabe, bon marché ? Est-ce que les sionistes socialistes penseraient établir une zone d’implantation spéciale pour les bédouins et promulguer des lois d’exceptions contre les travailleurs migrants non juifs ? ».
Transposer l’exploitation d’un pays à un autre, voilà à quoi été voué le sionisme !Et aujourd’hui en Israël ? Tout doucement, des opposants à l’état commencent à ressortir l’histoire du prolétariat juif des oubliettes, à ne pas oublier qu’il y a des pauvres et des exploités en Israël. A ne pas oublier non plus que, face à ces derniers, les exploiteurs, que ce soit en Palestine ou en Israël, travaillent, eux, main dans la main !
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LES ORIGINES DU BUND – S. ZOBERMAN
jeudi 23 mai 2002
Les origines du Bund
La formation du Bund (Union Générale des Travailleurs juifs de l’Empire russe), quelles que soient ses originalités à peine esquissées ici [1], suit le modèle qui se dégage de la constitution des mouvements ouvriers européens, dans les conditions particulières d’existence de la judaïcité de l’Europe de l’Est, conditions extérieures d’abord, internes ensuite.
Pour planter le décor, quelques rappels de l’environnement socioéconomique : L’Empire russe est, dans la fin du siècle dernier, le maillon le plus faible du capitalisme européen, n’ayant pas encore transformé ses structures économiques et donc politiques pour atteindre le stade occidental.
Si sa population entre 1812 et 1897 est multipliée par quatre, par contre la population urbaine l’est par dix. Ainsi, le nombre de calories par jour et par personne en 1 880 est de 4000 environ en France et en Angleterre, il est de 1 500 en moyenne pour la Russie et de 1000 pour les Juifs de Galicie, par exemple. En fait, à la fin du XIXe siècle, le niveau de vie décroît presque linéairement d’Ouest en Est et ce fait n’est pas sans influence sur le degré et les modalités des luttes de classes de l’époque.
Pour les Juifs, l’urbanisation est encore plus rapide et plus significative : ainsi, en 1843, si 14% de la population non-juive de la Pologne vit dans les villes, 85% des Juifs y sont déjà installés. La prolétarisation inhérente à ce processus s’accompagne alors souvent d’une sous-prolétarisation, avec les comportements sociaux ambigus qu’une telle modification sociale induit.
Pour les autres couches, changements radicaux aussi : il y a simultanément des déclassements nombreux et des transformations d’activités.
A l’usurier classique, par exemple, ayant son champ d’action supprimé par la création d’emprunts d’Etat, qui est une caractéristique du développement capitalistique, succède l’entrepreneur ; il y a naissance d’une bourgeoisie juive, avec des créneaux d’activité souvent bien marqués (distilleries et meuneries, par exemple). Quant à la prolétarisation, elle s’opère dans les secteurs traditionnels, ceux de l’artisanat passant à la manufacture, comme le textile, ce qui est un phénomène général de la naissance du capitalisme (Manchester, Lyon) et particulier pour la Russie tsariste, avec ses zones de résidence pour les Juifs et l’histoire de ces derniers dans ce pays. Corrélativement, la formation de classes sociales dans la judaïcité russe crée une intelligentsia issue de la bourgeoisie, mais impuissante dans l’Empire (antisémitisme, numerus clausus), qui jouera un rôle fondamental dans l’évolution du mouvement ouvrier juif.
Il est bien évident que cette évolution très rapide n’est pas uniquement endogène : l’industrie non-juive emploie plus de prolétaires juifs, en valeur absolue et relative, que les manufactures juives, d’où la possibilité de solidarité, tempérée cependant par l’antisémitisme ambiant, si bien que Karl Kautsky pouvait définir ces ouvriers juifs comme des « parias ». La laïcisation (etlou la marranisation) de couches entières de la population juive, due aux conditions de leur développement historique, génère, en dépit du fait qu’elle fut à l’origine plus une perte de la religiosité que celle de la « foi », le conflit avec les traditionnalistes, c’est-à-dire les anciens, les patrons et les institutions religieuses. Conditions sociales d’existence, mutation des représentations collectives : les éléments de formation d’un mouvement révolutionnaire sont désormais présents.
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Mais l’histoire du Bund est aussi celle d’un mouvement juif, c’est-à-dire que dès son origine sa spécificité culturelle est inséparable de son action politique : l’une aide et justifie l’autre. Comme les masses russes, les Juifs reçoivent à la fois la formation issue d’expériences quotidiennes et la propagande de l’intelligentsia, dont une partie passe vers les années 1880 du populisme au marxisme, avec l’influence prédominante de G. Plékhanov. Parallèlement à l’existence des Caisses (formes spécifiques des Bourses de travail) chez les ouvriers juifs de la Russie, se créent, vers 1870, les Cercles où intellectuels, étudiants et ouvriers se constituent, petit à petit, en « intellectuels organiques » [2]du prolétariat juif. Il est à noter que même en Pologne, ces Cercles débutent par la langue russe, mais au fur et à mesure que ces groupes s’élargissent aux ouvriers, la langue de ces derniers, le yiddisch, se généralise, au point où certains intellectuels, uniquement russophones, l’apprennent, ne voyant là qu’un moyen facilitant la propagande.
Il n’est donc pas étonnant que les premiers groupes pour la langue yddich se nomment Comités du Jargon ( 1895) ! On assiste alors à une double évolution : si les intellectuels « allant au peuple » utilisent, comme les ouvriers, le yddich, les artisans, eux, vont vers l’universel, c’est-à-dire le russe. Mais tous prônent la culture générale, la philosophie, la littérature, l’histoire. Ne voit-on pas des conférences (clandestines) faites par Kremer (qui deviendra un dirigeant du Bund) sur le mouvement coopératif en Belgique et un exposé de Léo Jogiches, le futur compagnon de Rosa Luxemburg, sur l’anatomie, squelette en main !
Entre deux débats sur les luttes pour la journée de travail de douze heures, on gère les bibliothèques qui sont aussi une « couverture » pour la clandestinité. En fait, pour ces intellectuels que l’on appelle à l’époque, sans ironie, les Philosophes, il ne peut y avoir d’action contre le capitalisme sans culture issue du prolétariat, culture qu’il faut acquérir dans les Cercles et les combats. Le mouvement ouvrier remplace l’école, qui n’est pas obligatoire, ce qui fera écrire Max Weber sur l’ « intelligentsia prolétaroïde » !
Au fur et à mesure que ces Cercles se radicalisent, deviennent des organisations révolutionnaires, au sens contemporain du terme, ils adoptent de plus en plus le yddich : de ce point de vue, la naissance du Bund traduit d’abord l’échec de la russification du mouvement ouvrier juif (ce qui ne sera jamais accepté par la Social-Démocratie russe, bolcheviks inclus, bien entendu) et indique la prégnance de l’organisation formalisée sur la spontanéïté des masses juives. Mais ce processus ne s’engage pas linéairement, des conflits naissent. Ainsi l’ « opposition » dirigée par des ouvriers graveurs, comme A. Gordon et M. Lure, refuse l’action révolutionnaire, dans les années 1890, pour privilégier l’insertion dans la « culture universelle ».
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L’élément essentiel de la formation du Bund est cependant le développement des luttes ouvrières, dont les premières manifestations organisées sont la création des « Caisses » (de secours mutuel) à partir des années 1880.
Préfigurant les organisations syndicalo-politiques, elles sont à l’origine plus ou moins calquées sur les guildes juives de l’Est européen telles qu’elles vécurent depuis le XVlle siècle. Très vite, les ouvriers refusent les organisations communes avec les patrons et créent leurs propres caisses (illégales).
En même temps, elles deviennent les moteurs des grèves qui naissent spontanément (comme à Minsk en 1887, chez les serruriers, pour obtenir la journée de travail de douze heures) ou qui sont organisées par elles (comme à Grodno en 1895, dans la plus grande usine de fabrication de cigarettes [3]. Ce sont les organisations que les militants révolutionnaires des Cercles investissent peu à peu et où les idées socialistes trouvent leur terrain privilégié de pénétration. Même les statuts servent de littérature clandestine de propagande. La formation de groupes politiques non-juifs, comme l’Union des Travailleurs Polonais en 1889, aide la cristallisation politique des mouvements revendicatifs au sein de la classe ouvrière juive.
Utilisant aussi bien l’action illégale, malgré les arrestations opérées par l’Okhrana (police secrète russe), que l’utilisation de certains textes légaux (comme la loi de 1785, promulguée par Catherine Il et selon laquelle les artisans ne peuvent travailler plus de douze heures par jour …), les militants organisent les ouvriers sur des bases concrètes, celles des revendications vitales (durée du travail, salaires, travail des enfants etc.). Mais les militants lancent en même temps le mot d’ordre : de l’économique au politique .
Cette façon d’aborder les problèmes du prolétariat juif est la base du programme des groupes de Vilno puis de Minsk durant les années 1893-1894 et qui est repris par l’ensemble des Cercles, des Caisses, c’est-à-dire par le mouvement ouvrier juif de Russie et de Pologne, qui accélère et généralise cette évolution. Ainsi, l’implantation d’un Cercle conduit rapidement à l’action ouvrière : par exemple, à Gomel et à Vitebsk, la création d’un Cercle en 1893 aboutit à un mouvement de grèves en 1894.
D’une façon générale, on peut noter que de 1895 à 1900, il ya eu 603 grèves « juives », alors que l’on considère que cette époque d’accélération du capitalisme russe a été une période de régression dans le développement du mouvement ouvrier . Symboliquement, le premier rassemblement politique a lieu à l’occasion de la commémoration du 1 er mai : à Vilno, en 1892, Martov prend la parole devant des ouvriers juifs, pour exalter l’internationalisme prolétarien, opération recommencée en 1893. En 1894, toujours à Vilno, une réunion a lieu avec John Mill, A. Kremer, Levinson et Martov pour traiter des problèmes politiques et organisationnels et aboutit à une déclaration où l’on peut lire : « Les ouvriers juifs ne souffrent pas seulement en tant que prolétaires, mais aussi en tant que Juifs. . . Il faut lutter en même temps pour les droits civiques… Ce combat ne peut être mené que par les ouvriers eux-mêmes.«
En 1895, la réunion du 1er mai à Vilno rassemble clandestinement 500 ouvriers et ouvrières [4]. Martov, tirant les leçons des actions déjà menées, indique qu’il faut créer un mouvement et non plus se contenter de groupes localisés. S’appuyant explicitement sur la conception matérialiste de l’Histoire, il déclare que : « le prolétariat juif a l’honneur insigne, hélas, d’être exploité non seulement par la bourgeoisie la plus immonde, mais aussi en tant que collectivité juive… Une classe qui n’est pas capable de se battre pour la liberté ne la mérite pas. »
Mais, ajoute-t-il, le combat ne peut être isolé de celui que mènent les prolétariats russe et polonais. Dans ce discours apparaît la reconnaissance nécessaire du fait juif et le refus du nationalisme.
En juin 1895, une réunion de consolidation se tient à Minsk pour traiter des problèmes d’unification qui est urgente, non seulement par l’évolution des groupes locaux mais par l’amplification des mouvements de grève et par leur coordination nécessaire. Parmi les questions traitées figurent notamment l’utilisation des journaux clandestins existants, de Minsk et de Vilno, la circulation des informations et l’envoi d’agitateurs. La constitution d’un organisme central et la parution d’un organe imprimé sont reportées à une prochaine réunion, pour y intégrer un nombre plus grand de groupes locaux. Mais comme à Vilno, la nécessité d’un« mouvement social-démocrate juif » est proclamée.
En même temps naissent d’autres groupes importants, comme à Varsovie (1894-1895) sous la direction d’une ouvrière gantière, Sivie Hourevitch, puis avec la participation de John Mill, malgré l’existence d’une section juive du Parti Socialiste Polonais (P.P.S.). Le processus d’unification est freiné par les arrestations de 1896 qui frappent les militants dans un grand nombre de villes.
En même temps, se développe la représentativité internationale des groupes révolutionnaires juifs. En 1895, un message de condoléances est envoyé à la Social-Démocratie allemande au nom de mille ouvriers juifs de Vilno pour la mort de F. Engels. La même année, un témoignage de solidarité parvient au Congrès de Breslau. Toujours en 1895, une couronne est déposée au Mur des Fédérés pour commémorer la Commune de Paris avec cette inscription :« Les représentants de trente-deux organisations social-démocrates juives. A bas l’oppression tsariste. Vive la Révolution sociale. »
En 1896, au Congrès de l’Intepnationale Socialiste, ces groupes sont représentés par trois militants, dont deux femmes, le groupe de Vilno ayant mandaté G. Plekhanov qui déclare, à propos de ces organisations,« c’est l’avant-garde du prolétariat en Russie ».
Du 7 au 9 octobre 1897, se tient à Vilno la réunion d’unification ( 1er Congrès) qui rassemble treize participants, représentant cinq villes (Vilno, Varsovie, Bialystock, Minsk et Vitebsk). Huit délégués sont des ouvriers. Un certain nombre de participants sont absents, étant déportés en Sibérie après les arrestations de 1896. L’ordre du jour va du nom de l’organisation centrale, de la constitution du Comité Central, du contenu de la presse clandestine, des règles conspiratives nécessaires, aux relations avec les organisations révolutionnaires de Russie et de l’étranger.
Les interventions politiques lors de ce Congrès sont alors reproduites dans l’Arbeter Schtime (la Voix Ouvrière) qui devient l’organe du Comité Central de la nouvelle « Union Générale des Travailleurs Juifs BUND ».
Conformément aux positions théoriques qui se dégagent et à la pratique nécessaire, il fallait aussi que les groupes social-démocrates russes s’unifient. Après l’échec du groupe de Pétrograd, puis celui de Kiev dans ce domaine, le Bund prit l’initiative de contacts qui ont lieu dès la fin de 1897 et qui aboutissent à l’organisation d’un Congrès d’unification, à Minsk, le 1er mai 1898. Minsk fut choisie par le Bund, qui y a un réseau clandestin solide et à qui la sécurité y semble meilleure. Neuf délégués forment ce Congrès, dont trois représentants du Bund [5].
L’ordre du jour est pratiquement identique à celui du Congrès du Bund à Vilno, avec cependant un point important pour ce dernier, celui de son autonomie à l’intérieur du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie. Celle qu’il y obtient le satisfait, contrairement aux positions des partis polonais et lituanien, séparatistes.
En même temps, la répression s’accroît : les provocateurs et l’Okhrana (dirigée par Zoubatov) agissent avec une efficacité accrue et arrêtent la plupart des dirigeants de la S.D. russe, parmi lesquels les trois membres bundistes du Comité Central. Cette répression, qui désorganise les groupes locaux, supprime la presque totalité des moyens de la propagande, marque un coup d’arrêt au développement de la S.D. russe et du Bund. Mais l’habitude de la clandestinité de ce dernier, la solidité des structures locales, permettent une reconstitution assez rapide de l’organisation entière. De ce renouveau naÎt la deuxième période du Bund, avec de nouveaux cadres remplaçant les « chefs historiques ».
Le 2ème Congrès, qui se tient en octobre 1898 à Kovno, caractérise bien ce renouveau. Douze délégués, dont la majorité est composée d’ouvriers, y assistent, représentant six villes, mais aussi une organisation syndicale clandestine, celle des brossiers, formellement représentée. Si le premier Congrès est un acte d’organisation, le second tire des leçons politiques de l’accentuation des luttes de classes et prépare des actions en profondeur, par des journaux locaux, des traductions en yddich d’ouvrages fondamentaux (par exemple le Manifeste Communiste, le Programme d’Erfurt). Dès1898, la nécessité d’un Comité du Bund à l’étranger se fait sentir (influencer les masses émigrées, trouver de l’argent pour l’action clandestine, populariser la politique suivie) . Ce Comité représentera officiellement le Bund après son 3ème Congrès.
Ce Congrès est le premier où le Bund met un accent particulier, sinon prioritaire, sur la question nationale. Tenu à Kovno en décembre 1899, il compte une quinzaine de délégués (parmi lesquels des membres du 1 er Congrès, revenus de Sibérie) représentant douze villes et le Comité à l’étranger . Bien que formulé prudemment à cause de l’opposition de la S.D.russe – et aussi de celle de certains bundistes – « ( Nous demandons l’égalité des droits civils et non des droits nationaux »), ce Congrès proclame le droit « aux Juifs de revendiquer leur héritage culturel ». En fait, les discussions des austro-marxistes et l’impact du sionisme (l’Etat juif de Herzl date de 1896 et le Congrès sioniste de Bâle de 1897) influent sur les discussions du Troisième Congrès. Il s’agit là d’un véritable tournant : à partir de ce Congrès, le Bund ne sera plus uniquement le représentant du prolétariat juif, il se sentira investi d’une mission « nationalitaire ». Les conditions du conflit avec la S.D. russe sont créées, bien que ce Congrès ne prenne pas formellement position.
Il appartient au Quatrième Congrès, tenu à Bialystok en mai 1901, de concrétiser ce changement en mesurant l’impact de ses thèses sur les populations juives. La nature de l’Etat russe (après la Révolution), qui doit être fédératif, le libre développement des nationalités qui le composent, l’application de ce principe au peuple juif y vivant, sont les thèmes de ce Congrès qui marquera définitivement l’histoire du Bund dans le XXe siècle. Sans renier ses origines révolutionnaires, le Congrès constate que les méthodes appliquées et qui étaient efficaces pour des sections locales doivent être adaptées au mouvement de masse que les succès du Bund forment de plus en plus. La tendance nationalitaire aboutit à la création de groupes juifs d’auto-défense dès 1902, alliant ainsi la tradition révolutionnaire à l’histoire des masses juives non russifiées.
Il est significatif de noter que ce Congrès adopte à l’unanimité – fait rare dans les Congrès du Bund – une résolution déclarant que :
chaque nationalité, en dehors de ses aspirations à ses droits économiques, civils, de liberté politique et d’égalité, a aussi des aspirations nationales basées sur ses caractéristiques propres, langue, coutumes, façon de vivre, culture en général, qui doivent avoir la possibilité de s’épanouir .
A partir de ce moment, deux terrains vont être le champ d’action du Bund, la population juive et les rapports avec les Social-Démocrates russes. Sur le terrain juif, on observe à la fois une amélioration des conditions de vie et une diminution de l’impact des grèves – et de leur succès – .
L’action politique devient un objectif majeur par rapport à l’action purement revendicative.
De plus, le terrain politique n’est pas occupé uniquement par le Bund. Dès 190 1 , se crée un Parti Indépendant Ouvrier Juif ( YUAP) , soutenant les revendications sans s’inscrire dans un projet de transformation sociale et qui reproche au Bund la confusion entre l’économique et la politique. Ré-occuper le terrain oblige le Bund à devenir parti politique à part entière. Jointe au problème de la violence politique, à celui du terrorisme, cette orientation donne au Bund une figure traditionnelle de mouvement ouvrier du X Xe siècle. Cette évolution ne se fait pas sans mal, sans conflits internes qui font éclater, ça et là, des organisations bundistes mais sans atteindre profondément le Bund dans son ensemble.
Le problème des relations avec la S.D. russe obère tout le mouvement ouvrier. Luttes de fractions, accords et ruptures, jalonnent la longue marche qui va, d’abord, provoquer la Révolution de 1905. Bien avant la naissance de l’Iskra, la tactique se heurte à la stratégie dans des luttes sociales radicales et réprimées, dans des débats d’idées qui cachent des impuissances d’implantation, dans la préfiguration de la rupture entre mencheviks et bolcheviks. En 1903, au Congrès de Zurich, le Bund quitte la S.D. russe, qu’il réintègre en 1906 en tant qu’organisation autonome. Participant actif des révolutions de 1905 et de 1917 , admis puis rejeté, souvent marginalisé, le Bund entre dès le début du siècle dans l’ère des espoirs déçus parmi les réalisations éclatantes.
Comme le héros de la « montagne magique », nous le laisserons là, à l’aube d’une immense tragédie et d’un espoir collectif jamais renié.
S. Zoberman
[1] Un essai historique est en cours d’achèvement sur le Bund (du même auteur), portant sur ses origines.
[2] Nous reprenons là la terminologie d’A. Gramsci qui nous semble parfaitement adaptée au mouvement nationalitaire juif, bien que le Bund ne figure pas dans la théorie du marxiste italien .
[3] La première grève « juive » a eu lieu, à notre connaissance, en 1871 chez les ouvriers du tabac à Vilno.
[4] Bien que sortant du cadre de cet article, il faut souligner le rôle des femmes dans l’histoire du Bund, qui ne fut ni subalterne, ni négligeable.
[5] 5. On ne s’étonnera pas que les historiens soviétiques de l’ère stalinienne n’aient pas accordé à ce Congrès constitutif un caractère essentiel, bien que Lénine l’admette expressément…
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LE BUND ET LE SIONISME
John Bunzl
samedi 14 septembre 2002
Cette contribution décrit les conflits qui ont opposé l’ Algemayne Yiddischer Arbeter Bund (Union Générale des Travailleurs Juifs, fondée en 1897, plus communément appelée Bund) et les différents courants sionistes « de gauche » dans la période qui précède la première guerre mondiale. J’ai traité la question du mouvement ouvrier juif de manière plus détaillée dans mon livre « Klassenkampf in der Diaspora » (« Luttes de classes en Diaspora », Vienne 1975)
1. Les courants territorialistes dans le mouvement ouvrier juif .
La nécessité (du point de vue sioniste) de briser l’hégémonie du Bund [1], les difficultés objectives que connaissait le mouvement ouvrier juif et l’incapacité du sionisme bourgeois (et utopique) à s’ancrer dans les masses ont amené des partis sionistes à développer des thèses sur la concentration de la population juive comme étant de l’intérêt de la classe ouvrière.
Après les nombreuses tentatives des sionistes « prolétariens » de se séparer de l’organisation sioniste (Z.O.) et de se constituer en une tendance autonome, trois fractions se formèrent lors de la révolution de 1905 :
- les Sionistes-Socialistes
- le Parti Socialiste-Sioniste (SERP), appelé également « sejmistes »
- le Parti ouvrier social-démocrate juif « Poale Sion » [2].
Ils avaient en commun d’analyser la question juive sous ses aspects socio-économiques et pensaient que, faute d’un territoire, le développement national du prolétariat juif serait impossible et sa lutte de classe inefficace. Ils refusaient toutes propositions pour la Diaspora, « l’Exil », et soutenaient qu’il fallait concentrer ses forces sur la revendication territoriale. Ils fondaient cette analyse (commune à tous les territorialistes) sur la structure sociale anormale du peuple juif (Borochov [3] parlait d’une pyramide inversée, qui se caractérisait par l’absence de paysannerie et la prépondérance des éléments bourgeois) [4].
Le Poale Sion [5] qui fut le seul à jouer un rôle historique voulait « corriger » cette structure anormale avant que le peuple juif n’entame une transformation vers le socialisme. Borochov revendiquait pour le peuple juif un territoire sur lequel il aurait pu se constituer en classe afin de mener la lutte de classes dans des conditions « normales ». Le Poale Sion prêtait une attention toute particulière aux mouvements d’émigration [6]. Cette émigration devait abandonner son caractère chaotique et inconscient et se concentrer sur la Palestine par une colonisation planifiée, afin d’accélérer le processus de production des masses juives et de l’enraciner territorialement. Il prétendait que leur choix de la Palestine n’avait pas été dicté par un sentiment religieux. Parce que cette région était totalement différente des pays traditionnels d’émigration, elle se prêterait mieux à une autonomie territoriale et politique.
« Au lieu d’aller dans des pays au développement économique trop élevé pour les immigrants juifs, il faut partir dans des pays dont le niveau de développement est largement inférieur à la production juive, de sorte que les juifs prennent une position dominante dans ce pays et ne restent pas confinés dans des travaux marginaux comme c’était le cas dans les anciennes communautés juives et les pays d’émigration . Il est nécessaire que la transmigration juive se défasse de son caractère de simple immigration et devienne une colonisation » [7]. Pour résumer leur point de vue, l’orientation consciente de l’émigration juive devait isoler celle-ci de l’émigration générale, la diriger vers un territoire semi-agraire et – grâce à une colonisation ouvrière – créer de manière planifiée les conditions politiques et économiques pour l’édification d’un état juif autonome.
Selon Borochov, les juifs émigrant vers la Palestine n’auraient pas à affronter « une concurrence nationale » , la majorité de la population « fellah » devant être assimilée dans une palestine juive (aussi curieux que cela paraisse, pour un farouche adversaire de l’assimilation des juifs !) [8].
2. Analyse du sionisme dans le mouvement ouvrier juif
Toutes les thèses territorialistes se voulaient critiques et rivales du Bund. Comme le sionisme bourgeois n’avait pas de partisans parmi les travailleurs, il ne constituait pas une concurrence pour le Bund. Mais celui-ci pressentait que le sionisme allait bientôt s’adresser aux travailleurs « sous un masque socialiste ».
C’est la raison des critiques acerbes que le Bund lui adressait déjà avant 1905 : une Palestine bourgeoise exploiterait les travailleurs comme la Russie le faisait à la même époque. Mais les Sionistes prêchaient en Russie l’indifférence face à la lutte sociale [9] ; ils considéraient les juifs comme des éléments fortuits [10]. Le 4ème Congrès du Bund condamna les tentatives de propagande sioniste auprès des travailleurs juifs et vit en l’idéologie sioniste (réaction bourgeoise à l’antisémitisme) un adversaire nationaliste dont le but était de détourner les travailleurs juifs de la lutte de classe, de les isoler de leurs camarades de classe non-juifs pour édifier un état bourgeois en Palestine [11]. A partir de 1901 , les Bundistes s’intéressèrent davantage aux activités sionistes, surtout lorsque Zoubatov [12] s’allia avec les sionistes. Dans son rapport à l’Internationale (août 1904), le Bund désigne le sionisme comme le pire ennemi du prolétariat juif organisé, « qui livre son combat sous le drapeau sociodémocrate du Bund » [13], et le définit comme « un mouvement au sein de la petite et moyenne bourgeoisie juive qui se trouve exposée à une double pression – d’une part la concurrence avec le grand capital et d’autre part les lois répressives d’exception et de persécution du gouvernement. Partant de l’idée de la permanence de l’antisémitisme, le sionisme se propose comme objectif la fondation d’un état de classe en Palestine et s’efforce donc de camoufler les contradictions de classe derrière un intérêt national général. » [14]. Pour les Bundistes, le Sionisme représentait, avant tout, l’intérêt de la petite bourgeoisie juive déclassée et d’une partie de l’intelligentsia, mais ne suscitait que de l’indifférence dans le prolétariat et la grande bourgeoisie (qui n’était pas très enthousiaste pour transférer ses capitaux en Palestine) [15].
L’apparition de courants sionistes « ouvriers » et l’influence qu’ils exercèrent, surtout après le pogrom de Kichinev, obligèrent les Bundistes à s’y intéresser davantage. Balakan [16] accusait les militants du Poale Sion de vouloir retirer les prolétaires de leurs lieux de luttes, d’affaiblir ainsi le prolétariat juif en l’intégrant dans sa politique de collaboration de classe (jusqu’à la conquête de la Palestine). Alors qu’un prolétariat juif doté d’une conscience de classe se souciait peu du lieu où devait s’exercer la lutte de classe [17].
Dans un premier temps, le Bund ignora l’argumentation socioéconomique des territorialistes, leur opposant simplement la foi en la conquête des libertés démocratiques en Russie. Ensuite, les Bundistes essayèrent de prouver que les artisans juifs étaient également des prolétaires à part entière dans la mesure où ils ne possédaient pas de moyens de production et étaient obligés de vendre leur force de travail – créatrice de plus-value – au capital organisé dans les manufactures et les industries à domicile. Ces formes du capital n’étant que des formes de transition vers un capitalisme industriel ; l’accès limité à l’industrie lourde s’expliquant par les juridictions politiques (entraves à la liberté de circulation) ; tous ces obstacles (ainsi que les pogroms et l’émigration) devaient disparaître avec la chute de la domination autocratique. « Les juifs savent que leur lutte de classe réalisera le socialisme ici, dans la Galouth ; la Galouth cessant d’être une Galouth, pourquoi s’occuperaient-ils alors de Sion ? » [18]. La lutte pour un territoire ne pouvait être une lutte de classe ; elle ne ferait que détourner le prolétariat de cette lutte. Les territorialistes appréhendaient la situation de manière trop statique, mais le développement capitaliste et une autonomie nationale culturelle, là où vivaient les juifs, surmonteraient le territorialisme qui n’était que l’expression du désespoir actuel [19] . Si la lutte pouvait apparaître dans l’étape actuelle comme opposant les travailleurs juifs au capital juif, l’évolution politique et économique transformerait cet isolement de la communauté et mènerait vers une lutte de classe internationale de l’ensemble des travailleurs. Les difficultés qu’avaient les ouvriers juifs à vendre leur force de travail résultaient aussi d’un manque de conscience de classe du prolétariat non-juif, qui voyait dans les ouvriers juifs une concurrence qui n’était pas justifiée.
Même si les Bundistes n’ont pu arrêter l’influence des territorialistes, ils ont été les premiers à prévoir les difficultés inévitables qui devaient surgir en Palestine. Balakan affirmait (en 1905) : « Ceux qui devraient être expropriés ne se laisseraient sans doute pas faire les bras croisés » [20]. Il citait Max Nordau lors du 7ème Congrès sioniste (1905) :
« Un mouvement qui s’est emparé d’une grande partie du peuple arabe peut aisément avoir des répercussions sur la Palestine. Le gouvernement turc pouvait considérer alors qu’il aurait tout intérêt à disposer en Palestine et en Syrie d’un élément de la population nombreux, fort et bien organisé…qui ne tolère aucune attaque contre l’autorité du Sultan, mais la défendrait au contraire en mobilisant toutes ses forces… même l’Europe pourrait être amenée à vouloir empêcher tout changement violent des rapports de souveraineté par une occupation active de la Palestine.«
On n’entendit aucune voix sioniste s’élever contre le rapprochement avec le pouvoir dominant dans la région. Un autre dirigeant Bundiste [21] soupçonne que le Capital préférerait en Palestine la force de travail arabe, meilleur marché (en 1906 !)… « ou est-ce que les socialistes sionistes penseraient à établir une zone d’implantation spéciale pour les bédouins et à promulguer des lois d’exception contre les travailleurs migrants non-juifs ? » Sans s’attacher plus longuement à la question arabe, les sionistes de gauche maintenaient leur position : l’émancipation bourgeoise n’abolirait pas le ghetto socio-économique et le Bund (avec son programme de l’autonomie nationale culturelle) réduisait la question nationale à une question culturelle (linguistique) ; les causes économiques de l’oppression nationale restaient déterminantes – la culture n’est pas isolée et ne pouvait être considérée que comme le résultat de certaines conditions de vie. Le Bund ne s’en tenait qu’aux conséquences et non aux causes du conflit national.
Pour Borochov, les causes se trouvaient dans le projet stratégique insuffisant du prolétariat juif. Ses limitations et anomalies ne disparaÎtront que lorsqu’un changement radical des conditions de production dans la vie juive aura eu lieu et lorsque le peuple juif aura obtenu son propre territoire, lorsque les juifs travailleront dans les branches de production essentielles et ne produisant plus seulement des biens d’usage mais aussi des biens de production, le prolétariat prendra les rênes économiques dans ce pays. Quand les centres de la vie économique, d’où est issue la production sociale, seront occupés par les juifs eux-mêmes, le rassemblement du prolétariat juif s’effectuera de manière normale et autonome, et il ne dépendra plus fatalement des organisations ouvrières des populations environnantes. Alors la lutte de classe du prolétariat juif ne se fera plus, comme c’est le cas actuellement dans l’économie juive, contre une bourgeoisie impuissante mais contre une bourgeoisie puissante qui organise la production dans le pays. » [22]
Borochov a au moins essayé de déduire ses conceptions sionistes d’une analyse marxiste (et non pas l’inverse) en partant des intérêts du prolétariat juif [23]. De l’isolement économique marqué au départ par « la concurrence nationale », il a conclu à la nécessité d’une organisation spécifique du prolétariat juif mais, puisqu’il ne voyait la solution du problème de la classe ouvrière que dans et par le cadre national, il débouche sur le fétichisme de l’isolement et non pas – comme ce serait la tâche du mouvement ouvrier révolutionnaire – sur l’abolition de cette limitation.
« Tout ce qui contribue d’une manière ou d’une autre à l’isolement de la vie juive renforce le sentiment national du peuple juif » [24]. Certes, l’isolement rendait la lutte des travailleurs juifs relativement faible mais chercher à cause de cela une base « stratégique » séparée ne pouvait que renforcer cet isolement. Au départ, la lutte de classe du prolétariat juif avait pris une forme nationale mais l’élément conscient, l’avant-garde révolutionnaire, devait donner un contenu international à cette lutte et la coordonner, l’unifier au niveau national et international. Malgré le manque d’une base « stratégique » suffisante, le Bund a joué un rôle de pionnier , la force principale de la lutte de libération étant dévolue au prolétariat des régions industrialisées. Créées à cause de cela, des conceptions purement juives, « particulières », auraient été évidemment une erreur. La concurrence et l’oppression nationale correspondaient à des étapes déterminées du développement social, à des rapports de force établis.
Borochov n’a pas donné des perspectives adéquates de renversement de la société. Le Poale Sion a rejeté la perspective d’une révolution qui aurait également aboli les fondements économiques de la misère juive et, par là même, de l’isolement juif, car cette misère lui servait de moyen pour perpétuer cet isolement (même sous forme socialiste) [25].
Cette contribution traite d’une « vieille controverse ». Un grand nombre d’événements fondamentaux doivent aujourd’hui être intégrés à la discussion : l’échec de l’expérience soviétique, l’incapacité du mouvement ouvrier international d’empêcher le fascisme, la signification de l’État d’Israël qui, d’une tentative de solution à la « question juive », est devenu une partie de cette question. Mais même les interrogations et les solutions du passé peuvent nous aider à trouver des réponses nouvelles, humanistes et socialistes, aux questions actuelles.
(Traduit de l’allemand par Sybil Bebermeyer)
Texte emprunté à Mayo 37 : [http://mx.geocities.com/mayo_37]
[1] le plus grand parti des travailleurs juifs.
[2] les Travailleurs de Sion.
[3] Ber Borochov, fondateur et principal théoricien du Poale Sion.
[4] La proportion des travailleurs de la population juive n’était pas inférieure à celle de la population russe.
[5] Les partis israéliens actuels sont issus de ce mouvement ; en effet, les sionistes de gauche constituaient la colonne vertébrale de tout le mouvement sioniste ; ils donnèrent à la colonisation juive sa différence spécifique (par rapport à d’autres formes de colonisation).
[6] Ils pensaient qu’ils sapaient les bases socio-économiques juives : les émigrations antérieures n’avaient pas résolu la question juive et l’avaient seulement reposée dans les pays d’émigration.
[7] Borochov : « Grundlagen des Poale-Sionismus » Reprint, Francfort 1969 p.46
[8] L’ignorance volontaire des Palestiniens s’explique par la focalisation sur la souffrance des juifs européens.
[9] Rapport du Bund au 2ème Congrès de la Social-Démocratie russe (RSDPR), Neue Zeit 1904, vol.2 p.536.
[10] Encore en 1920, Medem se plaignait que les sionistes considèrent les masses juives en Europe comme des étrangers (Johnpoll, The politico of futility, tome 1, 1967).
[11] Tobias, Jewies Bundin Russia, Stanford, 1972 pp.127-128.
[12] Chef de la police secrète tsariste et spécialiste de la lutte contre le mouvement ouvrier révolutionnaire, auquel il opposait un « socialisme autorisé par la police ».
[13] Tobias – op. cité, p.251.
[14] David Balakan – Die Sozial-Democratie und das Judischen Proletariat, Tchernovtsy, 1905 (il renvoie à la ressemblance sociologique et idéologique entre sionisme et antisémitisme).
[15] B.Rosin « Die zionistisch-sozialistische Utopie] », Neue Zeit 27ème année vol.1 1909, p.29
[16] théoricien bundiste.
[17] L’amalgame grotesque répété en permanence par des représentants officiels, antisionisme =antisémitisme, revient à dire qu’une grande partie des masses juives de l’Europe de l’Est aurait été antisémite (et dissimule le fait que justement les sionistes étaient beaucoup plus prêts à accepter la logique des antisémites).
[18] A.L.- Der Poale-Zionismus, Neue Zeit, 24ème année, vol.1 , 1906, p.804.
[19] B. Rosin – op.cit.
[20] Balakan – op. cit. p.36
[21] A.L. Der Poale Zionismus, op.cit.
[22] Borochov, op.cit. p.75
[23] contrairement à ceux qui se réclament de lui aujourd’hui et lui imputent l’intention d’avoir voulu créer un prolétariat juif
[24] Borochov – op.cit. p.95. Même aux émigrants vers les Etats-Unis, il prédisait l’isolement et la naissance d’organisations ouvrières juives séparées. Le caractère international de telles affirmations tombe sous le sens (cf. Elie Lobel « La conception matérialiste de la question juive », Israc no5, Paris, janv-mars 71, p.27).
[25] Les marxistes révolutionnaires n’ont pas nié la dimension économique de ce problème.
En 1919, le responsable du commissariat soviétique pour les Affaires Juives déclare simplement : « Quand nous parlons d’une structure économique juive particulière, nous n’employons pas ce terme dans le sens sioniste qui signifie la création d’une économie juive séparée. Nous intégrons les masses iuives dans la réalité économique russe pour que ces masses participent à la productivité générale du pays dans tous les domaines. » (cité par Z.I. Gitelman dans Jewish Nationality and Soviet Politics, Newdersy 1972, p.243).
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POUR EN FINIR AVEC LE MYTHE DU BUND
Première parution : le Combat Syndicaliste Midi-Pyrénées, n° 73 – Avril/mai 2002
Première publication en ligne : samedi 14 septembre 2002
On n’a jamais tant parlé du Bund que depuis ces dernières années depuis la seconde Intifada, comme si, après avoir été obligés de parler de l’écrasement sanglant de la révolte palestinienne et de la politique génocidaire des sionistes, les libertaires avaient besoin de se trouver une compensation un mouvement juif, mais antisioniste, car, comme le dit l’auteur de l’article sur le Bund du dernier CS, « la sale propagande actuelle fait de chaque juif un sioniste en puissance ».
Mais qu’a-t-on besoin de prouver ? Tout le monde sait que le mouvement libertaire a toujours compté un grand nombre de juifs qui ne se sont jamais référer au sionisme. La liste est longue des Erich Muhsam, Gustav Landauer, Emma Goldman, Voline, etc. Mais apparemment ce n’est pas suffisant. Ce qui manque pour certains, c’est une ORGANISATION spécifiquement juive. D’où l’intérêt pour le Bund. Mais qu’était donc ce fameux Bund ? Plus un parti politique qu’un syndicat, construit sur les principes marxistes autoritaires adoptés par la 1ère Internationale, quand Bakounine et ses amis en furent exclus. Un parti plus révolutionnaire que les bolcheviks par certains côtés, mais par d’autres plus sectaire, car basé sur une appartenance etnnique, ce qui explique que de nombreux juifs (tant marxistes qu’anarchistes) aient préféré lutter dans des organisations plus internationalistes. Et si les bundistes ont été exterminés par les bolcheviks, puis les quelques survivants par les nazis, n’oublions pas que ce fût le cas aussi des trotskistes, pourtant peu sympathiques. Si les vaincus n’ont pas forcément tort, ils n’ont pas non plus forcément raison. Alors, pourquoi donner tant d’importance à ce mouvement tragiquement disparu ?
Il est triste de voir qu’il y a encore des juifs libertaires qui pensent qu’on peut être juif autrement que par hasard, rejoignant ainsi les théories fumeuses sur l’ » exception juive » qu’on s’attendrait plutôt à retrouver chez les théoriciens de l’antisémitisme. Il semble loin le temps où Georges Brassens parlait des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part ».
L’antisémitisme s’est manifesté de bien des façons, mais ce n’est pas de l’antisémitisme que de condamner le sionisme, qui ne fait que perpétuer le mythe des races « supérieure » et « inférieure ». Aucun libertaire, à plus forte raison juif, ne devrait se sentir visé. Ma sympathie va à tous mes frères anarchistes, juifs et non juifs mélangés, qui ont lutté dans la Makhnovtchina, dans les milices révolutionnaires en Espagne, dans les mouvements ouvriers à travers le monde, contre tous les fascismes et toutes les formes de racisme, mais aussi contre la démocratie bourgeoise, ses guerres, son colonialisme et sa destruction des peuples. Des juifs ont été de tous ces combats, non pas entant que juifs, mais en tant que révolutionnaires, et nous nous reconnaissons en eux. Par contre, d’autres ont mené des combats qui n’étaient pas les nôtres, et le fait qu’ils étaient juifs ne doit pas nous égarer. J’ai été époustouflé en lisant un article d’Alternative libertaire où on reprochait aux anarchistes de l’époque de ne pas s’être suffisamment investis lors de l’affaire Dreyfus. En quoi le sort du CAPITAINE Dreytus, fut-il juif, devrait-il intéresser les antimilitaristes ? Détail cocasse, le seul anarchiste de l’époque qui trouve grâce aux yeux d’AL, c’est Kropotkine, qui aurait volé au secours de Dreyfus alors que la majorité des anarchistes se voilaient pudiquement la face. Le même Kropotkine qui fut l’un des seuls libertaires à se prononcer pour la guerre contre l’Allemagne. Pas étonnant qu’il ait tenu à démontrer que Dreyfus n’était pas un espion ! Si les anarchistes veulent, dénoncer l’antisémitisme, ils peuvent trouver des exemples plus intéressants que l’affaire Dreyfus, dont la révolutionnaire juive Rosa Luxemburg, disait que c’était un conflit interne à la bourgeoisie qui ne concernait en aucune façon les révolutionnaires. Autre exemple de cette dérive identitaire : pour fêter dignement le deuxième millénaire de la naissance du Christ, la CNT Vignoles avait organisé une semaine militante avec moult débats autour du 1er mai 2000. En bonne place au menu, les libertaires et le Yiddishland et le Bund. Par contre, pas un mot sur le drame palestinien, ni même sur le sionisme. Pas intéressant, ou trop gênant pour en parler ? Et maintenant, avec l’insoutenable au quotidien, est-ce qu’on va en parler ?
Marius Jacob
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Le BUND en Pologne pourchassé et anéanti par les Communistes en Pologne
Polish Regime Murders Bund
From Labor Action, Vol. 13 No. 14, 4 April 1949, p. 3.
Transcribed & marked up by Einde O’Callaghan for ETOL.
The following is excerpted from the March issue of the Jewish Labor Bund Bulletin:
“The Bund in Poland no longer exists. A party convention held on January 16, 1949, decided to bow to the will of the Communist regime sponsored by the Kremlin bosses, and dissolved the Bund movement in Poland. As we have already stated in our resolution on this tragic matter published in a former issue of our Bulletin, ‘the very forces which seven years ago, in December 1941, murdered in the Soviet Union the leaders of the Polish Bund, Henryk Erlich and Victor Alter, committed this political and moral act of murder of a movement.’
“More than half a century of glorious activities of the Jewish labor movement under the banner of the Bund came to an end in Communist Poland. A movement which withstood successfully severe persecution on the part of the Russian czars, a movement which the reactionary government of pre-war Poland was unable to extinguish, which, during the bleak years of the Second World War, the Nazi hangmen could not eliminate, which went underground to wage war against the Nazi subjugators of Poland and gained immortal glory as a leading exponent of armed uprisings in the ghetto of Warsaw and other cities, was liquidated by the evil power of the Communist usurpers who, unable to confront an independent socialist movement, exterminate it wherever their power of coercion and terror is established.
“… it must be noted, first, that it was the prior liquidation of the Polish Socialist Party which made the Polish Bund’s position wholly untenable; and, second, that the liquidation of the Polish Bund by the Communist regime of Poland came at a time when the Jewish community in that country numbered but a small fraction of its former strength. Out of a quarter of a million Jews who survived the wholesale annihilation of Polish Jewry accomplished by the Germans under Hitler’s direct orders, only 50 to 60 thousand Jews now remain in Poland. 200,000 remnants of the pre-war Jewish community of 3½ million escaped from Poland driven, on the one hand, by anti-Semitic sentiments lingering in Poland even after the end of the war, and on the other hand by their abhorrence of the Communist regime forced upon their country.”