L’organisme intitulé « Secours rouge » ne perd pas une occasion lorsqu’il s’git de masquer son hypocrisie en matière de défense des emprisonnés et des persécutés politiques.
Aujourd’hui il lui prend la fantaisie de réclamer l’amnistie pour mon cas. Le « Secours rouge » s’attache à démontrer ainsi son indépendance politique, tout comme il s’attache à démontrer le plus souvent possible un internationalisme qui n’exclut pas une soumission servile au gouvernement de Moscou qui torture et emprisonne les meilleurs révolutionnaires dans les bagnes de Russie.
Que le Secours rouge sache bien que, anarchiste convaincu, je ne tolérerai jamais que ma défense soit prise par les enfants de chœur du fascisme rouge qui sévit en Russie, pas plus d’ailleurs que par tout autre polichinelle politique qui viendra crier aujourd’hui amnistie pour m’enfermer lui-même demain ?. Ma carcasse est suffisamment dure pour résister à plus d’un séjour dans les geôles des régimes blancs ou rouges qui pourront porter atteinte à ma liberté. Ce n’est pas pour cela que j’irai implorer la pitié de gens qui ne sont que des rabatteurs de certains politiciens et les valets d’un régime qui ne le cède en rien au régime capitaliste.
Dans le journal La Défense du 31 décembre, les bons apôtres du Secours rouge consacrent quelques lignes à ma personne. A l’avenir, je les dispense entièrement d’une formalité aussi hypocrite ; je ne pourrai que mépriser une telle sollicitude tant qu’elle ne s’étendra pas aux victimes de Staline.
Mohamed SAIL
MOHAMED SAIL : UN LUTTEUR INTRANSIGEANT
Mohamed SAIL a passé en tout pas moins de 11 ans en prison : pendant la guerre de 14 en tant que déserteur insoumis, puis régulièrement dans les années 30, toujours pour des motifs d’incitation à la révolte et à la désobéissance, ainsi qu’à la démoralisation de l’armée.
En 1925, il est arrêté et emprisonné à Alger, alors qu’il tient des propos hostile à l’intervention Française contre la République du Rif d’Abd-El-Krim (la « guerre du Maroc ») dans un café.
Gérant de l’Éveil social (Aulnay-sus-Bois, 29 numéros, janvier 1932-mai 1934) , qui fusionna avec Terre libre en mai 1934, il fut poursuivi début 1933 pour « incitation de militaires à la désobéissance« .
En 1934 il fonda le groupe anarchiste des indigènes algériens et devint le responsable de l’édition pour l’Afrique du nord du journal Terre libre.
Arrêté fin mars 1934 à Saint-Ouen par la police qui saisissait quelques grenades et pistolets, « souvenirs de la dernière guerre » selon le Comité de Défense sociale et une grande partie de sa bibliothèque, il fut condamné à un mois de prison ; à l’expiration de sa peine, il fut maintenu en détention dans l’attente d’un jugement pour détention d’armes de guerre. Cette arrestation était clairement une machination de l’Etat pour donner à l’opinion publique – après les émeutes fascistes de Février 1934 – que les autorités policières étaient capables de sévir aussi bien contre l’extrême-gauche que contre l’extrême droite.
Condamné de nouveau à un mois de prison en juillet, il fut aussitôt libéré ; il avait été détenu pendant quatre mois et demi, temps qui dépassait de deux mois et demi celui de ses deux condamnations.
Pendant sa détention, il envoya un message de sympathie au congrès de l’Union anarchiste, qui eut lieu à Paris les 20 et 21 mai 1934. Lors de son arrestation le journal L’Humanité l’avait dénoncé comme un provocateur qui « A Vincennes où il sévissait, il opérait avec une pancarte où l’on pouvait lire « Ravachol, partout ! ». Il suffit d’une telle formule pour qu’on voit bien de quoi il s’agit, d’un individu qui ne peut rien avoir de commun avec les communistes. C’est bien parce que ce provocateur était connu de la police et, comme tel, il a été arrêté, car il ne pouvait plus servir en liberté, étant brûlé » (4 avril 1934). Sous le titre « Sail Mohamed et les Autruchos-marxistes« , paru à la une de La Voix libertaire (21 avril 1934), le compagnon A. Prudhommeaux dénonça cette infamie communiste, se solidarisera avec Saïl, terminant son article par un appel aux révolutionnaires à s’organiser : « … Le moment est venu de se préparer à la résistance et à la contre-attaque révolutionnaire. Sail Mohamed y avait songé. Faisons comme lui ! Et…cachons nous mieux que lui ! ».
Saïl, lui même, le 29 août 1934, avait adressé à la rédaction de L’Humanité la demande de rectification suivante qui resta sans effet : » Dans le numéro du 4 avril 1934, à la suite de ma détention pour détention d’armes L’Humanité a publié un article par lequel j’étais présenté comme un agent provocateur. Je crois utile de rappeler l’indignation suscitée dans les milieux anarchistes et même dans d’autres milieux antifascistes, par cet article écrit avec une légèreté inconcevable. Cet article portant une atteinte grave à mon honneur de militant sincère, je vous demande de faire la rectification qui convient. Votre information était entièrement fausse, dénuée de la plus élémentaire preuve et il me semble que ma détention qui dura arbitrairement pendant près de cinq mois suffit pour établir ma sincérité aux yeux de toute personne de bonne foi. Je pense donc que vous ne voudriez pas profiter de ce que je suis réfractaire à la justice bourgeoise, c’est à dire désarmé volontairement au point de vue légal, pour étouffer cette protestation, mais que vous tiendrez au contraire à reconnaître votre erreur et à donner satisfaction à un vieux militant qui s’est toujours sacrifié à la cause prolétarienne« . (cf. Terre Libre, n°6, octobre 1934).
Pour avoir, en septembre 1938, distribué des tracts contre la guerre, il fut condamné à dix-huit mois de prison, comme l’indique un article paru dans SIA – Solidarité Internationale Antifasciste. Il est vrai que Saïl Mohamed était dans le colimateur des autorités françaises à la fois pour son antimilitarisme infatiguable, mais aussi pour sa participation comme orateur aux meetings de l’Etoile Nord Africaine de Messali Hadj. Il ne fait pas de doute que l’Etat ne voulait pas prendre le risque de laisser la propagande antimilitariste se diffuser dans les milieux « indigènes », au risque d’entraver la mobilisation des mêmes troupes « indigènes » sur lesquelles l’Etat comptait pour mener la guerre qui s’annonçait …
En 1939, pour le même motif, la République française le fait arrêter et interner à la prison de la Santé ; c’est au cours de cette arrestation que sa bibliothèque, 10 rue d’Amiens à Aulnay, fut saisie lors de la perquisition puis dispersée. Il est vraisemblablement toujours en prison quand l’Etat français (le nom officiel du régime de Vichy de Pétain) le fait interner dans le Camp de Saint-Paul-d’Eyjeaux (87). Ce camp a été fondé en novembre 1940, sur décision ministérielle du 30 octobre 1940, pour accueillir ceux que le régime de Vichy considère comme « indésirables », à savoir les Tsiganes, communistes, Juifs, anarchistes et francs-maçons, et plus tard maquisards.
Il est libéré le 21 septembre 1941, en même temps que d’autres militants syndicalistes, révolutionnaires ou pacifistes, sur décision de René Belin – le Ministre du Travail de Pétain. Belin, lui même ancien militant syndicaliste de gauche anticommuniste, un des secrétaires confédéraux de la CGT d’avant guerre, espérait en libérant ces militants éprouvés formés politiquement à l’action ouvrière, disposant parfois d’une certaine « reconaissance » dans les milieux militants d’avant guerre, pouvoir en faire des cadres pour l’aider dans sa tentative de mettre en place la « chartes du travail » de Vichy.
Si certains de ces pacifistes (notamment Louis Lecoin) et de ces syndicalistes révolutionnaires (notamment des animateurs de la Révolution Prolétarienne comme Robert Louzon) ne surent pas résister aux sirènes du nouveau régime et rejoignirent les officines vichistes (notamment le Secours national et son appendice parisien, l’Entr’aide d’hiver), Mohamed Saïl refusa de collaborer et se tint à distance de toute compromission ou ambiguité. Ses biographes affirment même qu’il participa à la confection de faux papiers pour aider des réfugiés ou des résistants. Il reprit sa place dans le mouvement anarchiste dès la Libération, participation à la création de la Fédération anarchiste en 1945 puis à celle de la CNT-AIT en 1946
La position de refus de collaborer avec le Secours Rouge était commune à tous les militants anarchistes et anarchosyndicalistes avant-guerre. En témoigne cet article paru dans Der Syndicalist, le journal de la section allemande de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), la FAUD-AS ( Freie Arbeiter Union Deutschlands-Anarkosyndikalisten) en 1924.
Le « Secours rouge » et les anarcho-syndicalistes
Le Parti communiste dans tous les pays cherche à rallier nos propres compagnons à son wagon communiste à travers le « Secours rouge ». Ils prétendent que nos compagnons sont également soutenus par eux et veulent encourager nos compagnons à contribuer aux collectes organisées par le « Secours rouge ». L’anarcho-syndicalisme a déjà pris soin de lui-même. Nous avons donc reçu des informations de Düsseldorf selon lesquelles le KPD (Parti Communiste d’Allemagne) s’adressait à nouveau aux compagnons de la FAUD avec des listes de « Secours rouge » et exigeait que nos compagnons dressent ces listes au motif que les prisonniers de la FAUD étaient également soutenus.
Nous considérons ceci comme une affirmation non prouvée. Jamais un compagnon de la FAUD n’a été soutenu par le « Secours rouge » s’il a été emprisonné ou victime de la réaction. Nous avons nous-mêmes soutenu tous nos compagnons emprisonnés et continuerons de le faire à l’avenir. Nous mettons donc en garde tous nos compagnons, tous les membres de la FAUD, contre le « Secours Rouge ». Ne donnez pas d’argent au « Secours Rouge », mais donnez au fonds de solidarité de la FAUD tout l’argent que vous voulez sacrifier aux compagnons emprisonnés.
Extrait de Der Syndikalist, Nr. 3/1925.
Die „Rote Hilfe“ und die Anarcho-Syndikalisten
Januar 1925
Die Kommunistische Partei sucht in allen Ländern durch die „Rote Hilfe“ unsere eigenen Genossen vor ihren parteikommunistischen Wagen zu spannen. Man gibt vor, dass auch unsere Genossen unterstützt werden und man will unsere Genossen veranlassen, zu den Sammlungen der „Roten Hilfe“ beizutragen.
So bekamen wir aus Düsseldorf die Mitteilung, dass die KPD auch dort wieder mit Listen der „Roten Hilfe“ an die Genossen der FAUD herantritt und mit der Begründung, es würden auch Inhaftierte der FAUD unterstützt, unsere Kameraden zum Zeichnen der Listen veranlassen will. Wir stellen es als eine unbewiesene Behauptung fest. Noch niemals wurde ein Genosse der FAUD, wenn er inhaftiert wurde oder sonstwie der Reaktion zum Opfer fiel, von der „Roten Hilfe“ unterstützt. Wir haben alle unsere inhaftierten Genossen bisher selbst unterstützt und werden das auch in Zukunft tun. Wir warnen deshalb alle unsere Genossen, alle Mitglieder der FAUD vor der „Roten Hilfe“. Gebt keine Gelder der „Roten Hilfe“, sondern gebt alle Gelder, die ihr inhaftierten Genossen opfern wollt, für den Solidaritätsfonds der FAUD. […]
Aus: Der Syndikalist, Nr. 3/1925.