Tahar HADDAD, pionnier du syndicalisme Tunisien et féministe sacrilège

Tahar HADDAD

Né le 4 décembre 1899 à Tunis dans une famille pauvre originaire du sud tunisien ( El Hamma de Gabès), Tahar HADDAD (الطاهر الحداد) est un penseur et un syndicaliste tunisien de premier plan.

Ayant fait des études à l’Université de la Zitouna, l’un des haut-lieu de l’enseignement supérieur islamique, il rejoint à la sortie de ces études à 20 ans le Parti Destour (nationalistes tunisiens) où il était membre de la Commission Propagande, portant la  propagande nationaliste dans les centres reculés de la Tunisie.

Le révolutionnaire syndicaliste

Toutefois, il quitte le parti en 1924, les nationalistes du Destour s’intéressant modérément à la question sociale : ils ne voulaient pas remettre en cause le patronat indigène et refusaient la création d’un syndicat tunisien. En effet, conscient de l’exploitation dans laquelle vivaient les ouvriers indigènes tunisiens, tant de la part des patrons colons que des patrons tunisiens, Tahar participe en 1924 avec Mohamed Ali El Hammi et des militants syndicalistes révolutionnaires et communistes à la fondation de l’Association de Coopération Économique ainsi qu’à la création de la Confédération Générale des Travailleurs Tunisiens (CGTT).

A peine crée, le jeune syndicat s’attire les foudres du patronat colonialiste comme du Protectorat qui le frappe durement en inculpant ses principaux animateurs, Mohamed Ali Hammi, Jean-Paul Finidori, Mokhtar Ayari, Mohamed Ghannouchi et Mohmoud Kabadi, de complot contre la sûreté de l’État. Ils sont condamnés au bannissement et exilés.

Cette dure épreuve  inspire à Haddad son premier livre, Les ouvriers tunisiens et l’apparition du mouvement syndical, saisi par la police avant sa mise en vente. Dans ce livre, il défend l’idée d’un syndicat qui soit tout à la fois un creuset des revendications ouvrières pour améliorer les conditions de vie et de travail (augmentation des salaires, meilleurs logement, …) mais aussi un cadre de solidarité et d’organisation de la production et de la distribution des biens produits, sous forme de sociétés coopératives doublées de mutuelles et de caisses sociales pouvant épauler la classe ouvrière dans sa lutte pour sa subsistance et sa dignité. On retrouve là l’influence syndicaliste révolutionnaire.

Le Féministe sacrilège

Cette épreuve passée, T. Haddad s’engage dans un nouveau combat : la lutte pour l’émancipation de la femme tunisienne. Le terrain est déjà balisé. A la fin dans années vingt, Tunis vibre au rythme d’un débat qui n’en finit pas sur le progrès de la femme tunisienne : la scolarisation des filles, le port du voile, le code du statut personnel deviennent, pour ainsi dire, des thèmes récurrents dans la presse de l’époque. Attentif aux courants féministes en vogue en Turquie et en Égypte, les intellectuels tunisiens sont divisés sur la conduite à tenir face à cette question. Et pour cause. Le modèle de l’émancipation de la femme européenne est là, mais pour la majorité d’entre eux c’est un contre –modèle. Sans doute admet –on que l’équilibre de la société est fonction du sort fait aux femmes, mais on n’en continue pas moins de considérer que le progrès de celles-ci doit s’ancrer  aux  traditions religieuses, ultime rempart  contre un monde occidental  jugé trop envahissant.

En face des conservateurs, un petit courant féministe, proche de la mouvance socialiste,  s’esquisse péniblement à Tunis, mais presque sans femmes. Les rares militantes qui osent défier l’ankylose ambiante sont des Européennes ou des Tunisiennes passées par les écoles françaises. Les nationalistes, eux, affichent une opposition sans nuance à l’émancipation des femmes, jugée trop prématurée.  Se démarquant de cette position, Haddad publie, dès 1928, dans le journal destourien Essawab, nombre d’articles sur la condition de la femme. Reprenant la problématique de l’évolution  de la société, il développe une approche inédite de la question de la femme. En septembre 1930 il publie son deuxième ouvrage : Notre femme devant la Charî’a et la société.

Première publication du livre de T. Haddad en arabe en 1930

L’essai de T. Haddad sur la femme fait date par l’audace de ses propositions innovantes. Une  idée- clé  guide la trame du livre : l’évolution de la société tunisienne  est impossible sans la participation de la femme. Reprenant le débat sur l’évolution de la société, Tahar Haddad en vient à examiner la question de la femme sous l’angle des normes religieuses et des mutations sociales. Affirmant la comptabilité de l’Islam avec le progrès social, il propose une relecture moderniste des textes sacrés. C’est tout un programme.

L’auteur de  Notre femme devant la Charî’a et la société   plaide pour la levée des discriminations à l’égard des femmes, dénonce la répudiation, appelle à l’égalité des hommes et des femmes  en matière d’héritage, demande la reconnaissance des droits des femmes à l’exercice de tous les métiers y compris les charges judiciaires. C’en est trop pour les Oulémas  de la Zitouna.

Manifestement Tahar .Haddad est  un auteur qui dérange.  Son livre  fait scandale tant dans le milieu politique tunisien – officiels du Bey (le Sultan tunisien), riches colons français (les « prépondérants »), militants nationalistes du parti Destour – qu’auprès des érudits de la grande Mosquée de la Zitouna.

Un conseil supérieur religieux, présidé par Cheikh al Islam,  se réunit illico presto pour statuer sur son cas. Considéré comme subversif, le livre de Tahar Haddad est désigné à la vindicte publique.  Son auteur, accusé de sacrilège, est condamné au retrait de son titre universitaire et empêché d’exercer le notariat Ne pouvant plus exercer son métier, empêché de passer l’examen qui devait lui assurer une promotion professionnelle, cela revenait à le condamner à mort socialement …. L’excommunication de Haddad (Takfir) est ouverte : la quasi-totalité des journaux tunisiens, le vieux Destour, et notamment son directeur, Moheddine Klibi, et même les intellectuels formés dans les universités françaises, tels que Tahar Sfar et Mahmoud  Matri, adoptant, certes, un discours plus nuancé,  se jettent dans la mêlée et condamnent vigoureusement le livre. Habib Bourguiba, lui, se mure dans un silence prudent, même si il s’opposa par la suite aux campagnes contre le voile car il considérait que cela ébrancherait le sentiment d’appartenance nationale, et donc s’opposait à la lutte anticoloniale.

Seuls quelques rares esprits libres, amis intimes et quelques esprits éclairés de la gauche française qui se comptaient sur les doigts d’une main, le soutinrent sans faille, sans toutefois parvenir à endiguer le mouvement.de rejet contre lui. Son esprit moderniste lui coûta dénigrement, réclusion et ostracisme des conservateurs et de ses propres amis politiques. Son isolement social le poussa à partir en exil. Il mourra de la tuberculose, seul et dans une extrême pauvreté, le 7 décembre 1935, à 36 ans.

Son apport à la réflexion sur la question féminine n’est pas oublié, mais  il a fallu attendre un quart de siècle pour que  son héritage intellectuel soit enfin  reconnu par la Tunisie indépendante.

Plus de 80 ans plus tard, les milieux réactionnaires continuent à lui vouer une hostilité infinie : en mai 2012, en pleine et période de confrontation politique en Tunisie, la presse révéla que sa tombe avait été profanée. Puis en 2015, sa statue fut dégradée à El Hamma à Gabes, vraisemblablement par des islamistes.

(D’après plusieurs textes dont celui de Noureddine Dougui, universitaire paru en 2015 sur le site internet « Leaders  Tunisie»)

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Texte extrait de la brochure « Les traditions oppriment les femmes »

« Quand les hommes sont oppressés c’est une tragédie,

quand les femmes sont oppressées, c’est une tradition »

32 pages format A5, PDF à télécharger en cliquant ici : Télécharger

Pour recevoir la brochure au format papier, envoyer 5 euros à CNT-AIT, 7 rue St Rémésy 31000 TOULOUSE (port compris)

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