Depuis une décennie, les conditions d’habitat des pauvres ne font que se détériorer. La part des loyers dans le panier des ménages les plus précaires ne cesse d’augmenter. Globalement, il est évalué aujourd’hui autour d’un tiers des ressources. Une proportion énorme, qui compresse les autres postes de dépenses éventuelles.
Les premières « économies » sur le budget familial se font sur les loisirs et les vacances. Or, bien plus qu’une simple distraction, loisirs et vacances sont, dans un monde stressant, une condition nécessaire à l’équilibre des adultes et au développement des plus jeunes. Mais, quand on a payé le loyer, il ne reste souvent que la TV et le décervelage que sa consommation entraîne. Sans le sou pour pouvoir sortir de chez soi, pas d’accès à la culture, peu de rencontres avec autrui. Le quotidien est celui d’un enfermement entre le boulot – pour ceux qui en ont –, et ce modeste chez-soi, si durement payé.
Mais il ne suffit pas de faire sauter les loisirs. Les restrictions sont nombreuses sur les autres postes budgétaires. L’habillement par exemple. Pas facile, surtout avec quelques adolescents dans la famille, d’habiller tout le monde à peu près dignement et… sauver les apparences.
Finalement, le budget consacré à la nourriture n’échappe pas non plus à une cure d’amaigrissement, cela dans une période où le prix des produits basiques ne cesse d’augmenter. Comment se nourrir convenablement dans ces conditions ? Et ne parlons pas du bio… La question est de plus en plus fréquente dans les ménages.
Avec des loyers qui écrasent le budget, avec ce gouffre sans fond dans lequel disparait un tiers du salaire, la réaction « naturelle » – vers laquelle on est d’ailleurs largement « poussé » – c’est d’aller vers l’accession à la propriété. Banques et agences sont là pour vous indiquer qu’il est préférable de devenir propriétaire, certes en remboursant un « petit » crédit. Si l’idée semble à première vue judicieuse, si elle fait rêver (et les marchands de rêve ne manquent jamais), il ne faut néanmoins pas négliger quelques points.
Tout d’abord, quand on n’a pas de patrimoine, quand on n’a qu’un salaire, bref, quand on est pauvre et que l’on est reçu en cette « qualité » par les banques, on ne se voit prêter que des sommes plutôt faibles. Vu le prix de l’immobilier, l’achat ne pourra se faire qu’à distance du centre-ville, en général fort loin du lieu de travail. Et là, le rêve commence à se transformer en cauchemar. Outre le temps perdu dans les embouteillages, outre le « charme » des transports publics aux heures de pointe, le budget « transports » va flamber. Ainsi se vérifie l’adage que, moins l’on possède d’argent, et plus on paye.
Et puis, il y a le crédit en lui-même. N’oublions pas que les banques ne prêtent que parce que cela leur rapporte. En fonction de leurs divers calculs et prévisions, elles vous vendront le crédit qu’elles jugeront le plus avantageux pour elles. L’ensemble des petits emprunteurs se trouve essoré de façon optimale. Il entre dans le calcul des banques une bonne part de machiavélisme. Elles savent qu’un certain nombre d’emprunteurs rembourseront pendant des années et puis, qu’un jour, ils ne pourront plus. Mais, même en cas de non-recouvrement partiel de leurs prêts, elles resteront bénéficiaires, les saisies étant là pour continuer à les engraisser. Aussi n’hésitent-elles pas à sacrifier quelques pauvres sur l’autel de la rentabilité. Ce sont des manœuvres de ce type qui ont pour parti conduit à la « crise » que nous connaissons actuellement, et qui après avoir démarré aux États-Unis, embrase maintenant l’Espagne. Pour les banques, tout va bien, puisqu’encore une fois, c’est le contribuable, donc le pauvre, qui paye l’addition.
Revenons-en aux loyers. Pour le payer, encore faut-il trouver un logement. Vite dit, pas vite fait ! Pour en trouver un, de nos jours les conditions sont telles que, même avec un salaire correct, mais unique, un adulte ne peut se porter garant de lui-même pour prétendre à un contrat locatif ! Ainsi, même après avoir travaillé, dix ans, vingt ans à un salaire raisonnable, nous voilà infantilisés et obligés de demander à nos proches de se porter caution pour nous. Et encore faut-il avoir des proches solvables…
Delà aussi, les « solutions » type collocation. Cela peut paraître comme sympathique… un temps. En fait, quand on est contraint à la collocation parce qu’on ne peut pas faire autrement, la restriction de liberté, l’atteinte de l’espace intime que cela suppose devient vite pesante.
Le coût exorbitant des loyers, les exigences des bailleurs en termes de caution, tout ceci explique l’augmentation du nombre de personnes qui, en 2012, n’ont pas de toit, ont été jetés à la rue. Selon l’INSEE, il y avait en France en 2001 près de 86 000 SDF, on en dénombrait en 2011 près de 133 000, soit une hausse de plus de la moitié en dix ans.
Après la stupéfaction, il y a la colère, oui la colère quand on pense aux nombres de logements vides, « vacants » selon la terminologie appropriée. Toujours selon l’INSEE, il y en aurait plus de 2 millions ! D’un côté des personnes, des familles qui vivent dans la rue, dans des tentes de camping, dans des bidonvilles, de l’autre, des logements inoccupés. Des centaines de milliers de logements inoccupés. Encore ces chiffres ne prennent-ils pas en compte les bâtiments administratifs et publics laissés à l’abandon, les locaux industriels ou commerciaux vides qui fleurissent un peu partout tant dans les cœurs de nos villes et villages que dans leur périphérie, autant de lieux utilisables plutôt que d’être à la rue. Mais les propriétaires ne l’entendent pas de cette oreille, l’État non plus qui maintient le système d’une main de fer.
Face à tout cela, il devient nécessaire de trouver des réponses collectives. Des actions concertées et solidaires face à l’oppression spéculative il y en a déjà eu. Parmi les exemples les plus fameux, on peut citer les « grèves des loyers » à Barcelone en 1931 ou encore en Italie dans les années 70. Ce ne sont bien sûr que des exemples. Aujourd’hui, il faudrait en inventer – ou en réinventer – d’autres.