dimanche 5 août 2007
On habitait loin des centrales nucléaires, à bon vent. Les tours et les grillages, on ne les voyait que les jours de manif à Golfech. Et Tchernobyl, c’était des films, des bouquins et des manifs. Et puis, il y eu cette fatigue, cette lassitude, le médecin, la thyroïde, les spécialistes, les examens, le diagnostic, l’opération, le traitement. Et le nucléaire est entré dans la vie de la façon la plus intime, dans la chair. Le poison et l’antidote, le mal et le remède. La radiothérapie qui guérit de l’irradiation. Monde techno-industriel cynique et sans limite. Et trouble, flou, toujours incertain. Les médecins nucléaires répètent imperturbables qu’il n’y a aucune relation entre la catastrophe de Tchernobyl, et l’augmentation des cancers de la thyroïde en France et en Europe. Du fond de leurs blouses blanches, ils assènent leur savoir : La radiothérapie est le seul remède efficace pour ce type de pathologie. C’est Becquerel ou la mort. A vous de choisir. Et en plus, ce n’est pas dangereux, alors pourquoi s’en priver ? Pas dangereux, tu parles ! « Cela m’a rongé l’œsophage » dit une dame dans la salle d’attente. « Et moi, un rein ! » ajoute une autre. Pas dangereux comme dit le spécialiste en médecine nucléaire. « Mais pendant quelques jours, ne dormez pas trop près de votre compagnon, et lavez vous souvent, et évitez d’aller dans une boulangerie avec une femme enceinte. ». Le même médecin qui quelques jours plus tard apostrophe au téléphone un infirmier « La patiente ne prendra peut être pas sa dose aujourd’hui, alors ne t’irradie pas pour rien ! ». Et ces infirmières dans le service de médecine nucléaire qui soignent les patients de loin, pas trop longtemps, pour pas faire clignoter le badge radiosensible. On est en plein dans le monde du nucléaire. La vie quotidienne au temps du nucléaire. Rayons à tous les étages. Patients, personnels, visiteurs, tout le monde vit autour de l’invisible poison devenu remède miracle.
Ainsi donc, tandis que l’on réclame l’arrêt du nucléaire, il est déjà là dans notre vie quotidienne : on mange nucléaire avec des salades « ionisées » pour prolonger leur fraîcheur commerciale, on se soigne nucléaire, on regarde passer les trains chargés de déchets nucléaires, on s’éclaire nucléaire. On n’a pas choisit, on subit. Les marchands et les savants ont décidés pour nous au nom du progrès et du marché.
Cela ne s’arrête pas au nucléaire. Cette terrible emprise de la techno-science jusqu’au cœur de notre vie se retrouve dans la chimie, et depuis plusieurs décennies. Bien au delà de l’amiante, et de la dioxine, les exemples ne manquent pas de l’intrusion sournoise et masquée des folies chimiques de nos savants, si citoyens lorsque les crédits leur manquent. Alzheimer et aluminium, phénol et cancer, nitrate et tumeur. Et l’on s’en va défiler en voiture devant les complexes pétrochimiques. Et ne parlons pas des OGM. On les bouffe, on les boit, en demandant naïfs que l’on ne commence pas à en faire. Comme pour le nucléaire, l’OGM est à la fois le mal et le remède. Pendant qu’un chercheur prouvant les effets pathogènes des OGM sur des rats se fait virer, d’autres chercheurs bien plus en vue, expliquent comment les organismes génétiquement modifiés vont permettre de soigner des maladies incurables. Et le pire est à venir. Les démonstrations médiatisées sur le réchauffement climatique et le rôle prépondérant joué par les productions technologiques occidentales dans ce phénomène montrent de la façon la plus globale combien nos vies quotidiennes sont soumises aux créations hasardeuses et souvent mortifères de la corporation scientifique, élève appliqué et docile de la classe dominante.
Le discours révolutionnaire ne peut plus se satisfaire d’une utopie de l’homme libre, il doit prendre conscience de l’urgente nécessité d’assurer la survie même de l’homme. Engoncé dans notre aliénation au quotidien technophile, nous n’osons pas encore envisager la dureté de l’affrontement qui nous attend. Demain, il ne sera plus seulement question de choix de type de société, de mode vie, il sera question de l’urgence d’abattre non seulement la classe dominante et son système d’organisation, mais aussi et surtout, ces productions, ces marchandises. Les écologistes pro-système (Bové, les Verts et autres écolo-électoralistes) veulent faire croire que la société techno-industrielle peut s’adapter sans modifier le règne éternel du capitalisme. En le faisant, ils participent au prolongement du carnage.