L’ODYSSEE PELICANE, Feuille d’info des travailleurs de l’aéronautique d’orientation anarchosyndicaliste
L’autre jour, il y a un mois … (ça me semble un siècle, c’était avant le confinement officiel) je suis allé manger un kebab dans un fast-food du coin, avec mes collègues de boulot. Je bosse dans le secteur aéronautique, dans une PME.
En attendant nos menus, comme d’hab’ nous avons papoté et regardé nonchalamment la télévision du restaurant, qui était bien sûr allumée sur BFM tv. Pendant des plombes tout semblait s’être arrêter autour du coronavirus, et l’inquiétude des journalistes pour les conséquences de cette épidémie l’économie française sur. Pour le business, nous étions à les entendre au bord de la fin du monde. Mais pendant tout ce temps, rien ou si peu sur la santé des gens et l’impact sanitaire que ça laissera dans la société. Seulement l’impact financier pour les entreprises et pour la bourse, en boucle non-stop.
Et puis de fil en aiguille le coronavirus s’installe comme le sujet numéro 1. Dans les médias bien comme il faut, tout le monde s’inquiète pour le climat des affaires. Ainsi le journal le monde s’inquiète du krach boursier, comme étant la pire journée de l’histoire de la bourse de Paris !
Et voilà que la une de ce journal parle de Christine Lagarde, qui fait des pieds et des mains pour rassurer les investisseurs, et donner des leçons de morale aux Etats de l’Union Européenne. Nous sommes content d’apprendre que toutes les grandes place financière d’Europe et des U$A ont vécu tous leurs pire journée de leur histoires, heureux d’apprendre les plans de sauvetage des entreprises par la BCE (la banque centrale européenne), nous voilà bien soulagés d’entendre cela. Bon et après toutes ces bonnes nouvelles (ou mauvaise, ça dépend d’où on se place), dans quel journal télévisé ou papier ils parlent de la situation des gens malades et de l’empoisonnement de leurs vie à cause de cette épidémie ??
Nous pouvons constater que l’Etat Français n’a rien fait pour anticiper cette crise sanitaire. On nous dira que l’Etat ne peut pas penser à tout. Mais ce même État a déboursé en juin 2019 pour le Ministère de l’intérieur, pour je ne sais combien de million d’Euros pour acheter 25 millions de cartouches de fusil d’assaut et de 40 000 grenades de désencerclement pour les 4 années à venir. Par contre seulement deux mois après le début de l’épidémie du coronavirus, l’État n’avait toujours pas constitué de stock de ffp2. La santé de la population ou la préservation de son pouvoir… Chacun ses priorités !
Nous vivons donc une époque formidable, en décembre dernier s’est déclaré une épidémie en Chine, tout le monde s’en foutait un peu, « la Chine c’est loin », « y’a régulièrement des épidémies là-bas », « l’hygiène des marchés Chinois », et puis « ces Chinois ils mangent n’importe quoi tout de même »… (Tout ça entendu dans l’émission tv « C dans l’air »).
Donc l’épidémie arrive ici en Europe, et même ici en France. Alors nous n’étions pas encore au stade de l’hystérie, et puis d’après le gouvernement Macron ce n’était qu’une simple grippe. Donc aucun signal particulier à mon boulot, pas de plan particulier pour notre sécurité sanitaire dans un premier temps.
Les jours passent, et voilà qu’un beau matin le CHSCT, nous conseille de ne plus nous serrer les mains ni de se faire la bise entre collègues. Faut avouer, que leur recommandations, du genre se saluer à la Japonaise, ou à l’Indienne, balancées sans aucune explication, ça avait tendance à prêter à sourire, ça faisait surréaliste.
Nous avons dû continuer à gagner notre vie comme ça sans aucune autre recommandation particulière. Les jours passent l’épidémie s’envenime, nous n’avons toujours pas de masques, toujours pas de gel hydro alcoolique, mais nous continuons à bosser. Et puis un beau matin certain d’entre nous décident de voir leur médecin pour avoir des infos et demander si besoin des arrêts maladie puisque la direction veut que nous continuions à produire, encore et toujours !
Au même moment le soir même Macron nous fait son discours apocalyptique, comme quoi nous serions en guerre contre des envahisseurs venus de la planète Mars, et là j’ai décidé de faire valoir mon droit de retrait, puisque la société dans laquelle je bosse est un sous-traitant d’Airbus et qu’elle ne réagit qu’en fonction de ce qu’Airbus décide de faire, et pas en fonction de l’intérêt de ses salariés. Oui l’industrie de l’Aéronautique à un coté féodal, il y a le Grand Seigneur Airbus et une multitude de PME vassales …
Les conditions de mon droit de retrait ont été celle-ci :
– toilettes communes, et pas désinfectées, donc un nid à choper éventuellement le virus
– lavabos à main, et non à commande à pied ou un système quelconque qui nous dispense de nous servir de nos mains, transformant le robinet manuel en vecteur pour choper ce que nous n’avons pas encore.
– les essuies mains en tissus et non en papier jetable.
– pas de masques
– pas de gel hydro-alcoolique
– impossibilité de tenir la distance de sécurité de 1 mètre (dans les métiers d’ouvriers c’est généralement difficiles)
– pas de gants.
J’informe le service R.H, soulignant que tout ça n’est pas conforme aux règles de sécurité coronavirus que préconisent pourtant le gouvernement.
Donc après ce fameux discours apocalyptique de Macron je suis resté confiné chez moi. Je vaquais à mes occupations quand je reçois un coup de fil d’un collègue pour me dire que la boite ferme pour 1 semaine, parce qu’Airbus ferme pour 1 ou 2 semaines.
La semaine passe et Airbus décide de rouvrir ses sites. Il y a un roi au-dessus du Grand Seigneur, l’État, qui a dit qu’il fallait retourner bosser. Alors Airbus se doit de montrer l’exemple … et les petits vassaux n’ont pas d’autres choix que de suivre. Pour ce faire Airbus annonce qu’ils ont installés un dispositif de sécurité apparemment super chiadé où paraît-il, ils respectent toutes les normes de sécurité, au point qu’ils ont reçu 20 000 masques ffp3 c’est à dire la formule 1 des masques chirurgicaux, 10 000 pour les sites en France et 10 000 pour l’Espagne, Quand on connaît la pénurie de ces masques dans les hôpitaux, ça fait rêver !
Du coup mon employeur a repris le boulot aussi – et moi aussi par la force des choses : comme il paraît que l’employeur respecte les consignes du Gouvernement, le droit de retrait n’est plus autorisé … Bref j’arrive le matin, pour voir : on nous prend notre température pour détecter d’éventuelle fièvre, distance de 1 mètre chacun. J’arrive ensuite à l’atelier, je vérifie les sanitaires : rien de changé, juste qu’ils ont supprimé l’essuie main tissus par rien du tout. Inutile de faire un commentaire sur les masques, le gel hydro-alcoolique, les distances de 1 mètre impossible à tenir …
Pendant ce temps les syndicats officiels n’appellent pas à la grève. Les syndicalistes font jouer la démerde individuelle, ils nous disent « allez voir votre médecin qu’il vous mette en arrêt maladie »
Le sentiment des collègues est que nous sommes sacrifiés sur l’autel de la rentabilité et de la production, que nous sommes de la chair à canon. Une colère froide semble traverser les ateliers, personnes n’a envie de rigoler, surtout quand nous savons que les grands donneurs d’ordre sont en télétravail. Macron a dit que c’est la guerre, il n’a pas complètement tort … Messieurs les officiers de la direction donnent des ordres depuis leur maison en télétravail et les ouvriers-soldats sont priés de monter au front du travail pour se sacrifier.
Comment tout ça va évoluer je n’en sais rien, mais en tout cas rien de ce qui vient de la direction n’est pris au sérieux, nous sommes conscients que nous prenons des risques pour notre santé et celle de nos proches. Mais que vaut la vie des ouvriers de l’industrie ou du bâtiment qui partent au boulot la peur au ventre, pour produire des trucs qui ne sont pas essentiel et urgent, dans la situation sanitaire dans laquelle nous vivons.
Ce que nous vivons est un mépris magistral de ce que nous sommes dans la société.
Il faudra s’en souvenir pour après, pour que tout cela change …
Icare
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